Etat des lieux du cinéma d’horreur contemporain, partie 2/3 : Le vu et le non-vu

Là où le film d’horreur a toujours su frapper, c’est dans la tension située entre l’être et le peut-être du hors champ. Le cadre est cette chose englobante qui donne à voir une part du réel, mais qui de fait est un cache pour le reste du monde. Cette opposition, entre cadre et hors-cadre, ou bien même le hors-champ au sein du cadre, fait émerger une tension exprimant d’une part le regard du cinéaste sur le réel, et d’autre part la place du spectateur par rapport aux images qu’il regarde. Et quand il s’agit du cinéma d’horreur, c’est de cette mise en péril du cadre que provient le doute sur le monde environnant, permettant le choc créé par l’imprégnation du fantastique. Et cette année encore le spectateur a  eu peur du noir ! Le film d’horreur est de plus en plus rentable grâce à cette émergence de films à petit budget qui savent user de l’espace comme vecteur de terreur. La mise en scène devient le monstre, elle permet de jouer parfaitement dans la résistance entre le champ et le hors-champ, les grands espaces désertés et ceux en huis-clos. Ainsi dernièrement nous avons pu admirer des films aussi différents que The Jane Doe Identity et Love Hunters, que nous pouvons réunir autour de cette même thématique : monstration et suggestion. Et c’est surtout le cas avec l’une des meilleures œuvres de 2017, It Comes at Night (Trey Edward Shults), véritable bijou cinématographique.

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The Jane Doe Identity, première réalisation américaine du Norvégien André Ovredal, surprend par sa simplicité initiale tant on a l’impression de renouer avec les sources de la peur : l’unicité du temps, du lieu et de l’action, emprisonnant les personnages tout comme le spectateur. Deux médecins légistes doivent disséquer le corps d’une jeune femme,  décédée dans des circonstances mystérieuses. Ici le film se fait protocole expérimental, en se construisant uniquement sur l’autopsie d’un cadavre dont le mystère engendre rapidement la terreur. Le montage se conçoit selon un agencement rythmique méthodique, dont découle l’avancée narrative par segments juxtaposés. Malgré tout, le film déçoit lorsqu’il se détache de cet intérêt pour l’expérimentation quand il sombre dans les facilités du screamer et des apparitions fantomatiques.

Love Hunters, premier long-métrage de l’Australien Ben Young, certes classique et répétitif dans sa forme, surprend lors de quelques scènes inattendues dans le registre du film de séquestration. Ainsi, une atmosphère envoûtante et mystérieuse s’instaure lors de certaines séquences au ralenti, de longs travellings dans la maison vide en plein jour, ou durant les discussions et actions du couple de meurtriers. Le tout se fait dans une mise en scène suffisamment épurée pour que l’on se laisse intriguer par des scènes pourtant montrées à maintes reprises. Ici, j’entends parler du vu et du non-vu dans la manière dont le film se détourne des attentes normatives de ce type de film (celui de l’enfermement et de la torture), pour s’orienter vers des scènes inattendues du quotidien d’un couple de serial-killer autour duquel se joue le dénouement narratif. Ce léger décrochage, par moment teinté d’onirisme, permet de revenir brutalement à une monstration crue et déconcertante.

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Le cinéma d’horreur joue ainsi sur une tension maintenue entre une monstration, plus ou moins débordante, et une disparition, à la fois visuelle et auditive. C’est de cette tension qu’est né  le très attendu, et au combien décevant, Sans un bruit de John Krasinski (sur lequel nous avons déjà écrit). Ce qui énerve dans ce film, outre l’esthétique regrettable du monstre, c’est la manière dont le cinéaste passe à côté de la mine d’or dont il disposait. Faire un film sur un monstre aveugle mais à l’audition surdéveloppée, c’est permettre d’une part de penser l’atmosphère d’une angoisse ininterrompue (nécessitant un silence permanent), et d’autre part d’interroger l’apparition et la disparition de ce monstre dans le quotidien déréglé des 4 personnages (du fait de l’impossibilité de faire le moindre bruit). Or, malgré une ouverture parfaitement réussie, le film est un gâchis monumental, sapant en permanence la qualité des situations mises en place par l’utilisation d’une musique excessive, et d’une mise en scène peu subtile.

Par ailleurs, une certaine mode du cinéma américain a vu le jour grâce (ou à cause) du pourtant génial James Wan, notamment réalisateur des films Insidious et Saw, et qui aujourd’hui est reconnu pour son James Wan’s Universe, série de films de plus en plus similaires et pauvres en idées originales. James Wan réussissait avec génie à gérer l’espace selon un procédé rythmique du jeu, c’est-à-dire en dialogue avec le spectateur qui doit s’inscrire dans le décor limité et surcadré d’un espace labyrinthique. C’est le cas dans l’incroyable Insidious 2, sans doute son film le plus réussi, dans lequel il réécrit le découpage du premier film, notamment en créant les contre-champs sur l’invisible du premier volet. Ainsi James Wan, dans son âge d’or, savait jouer de cette tension entre l’alternance des points de vue pour révéler ou effacer des parties du monde très restreint qu’il met en scène. Toutefois aujourd’hui seulement le jump-scare a été retenu par ses poulains, jump-scare qui désormais domine les mécaniques de mise en scène. Tous les dérivés des films de James Wan ne sont plus que de pâles copies d’un procédé d’interaction directe avec le regard du spectateur qui était une vraie révolution dans l’horreur au tournant des années 2010.  Il y a quelques semaines sortait La Nonne de Corin Hardy qui, loin d’être un film totalement déplaisant, ne se conçoit plus que selon un principe de « m’as-tu vu ? » jusqu’à ce que l’on subisse un screamer tristement attendu.

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Ce genre de film, sombrant dans une vaine hypermonstration, révèle un manque de plus en plus fort dans le cinéma d’horreur. Dans les années 1970, avec entre autre l’arrivée du Nouvel Hollywood, le genre était la clé d’un cinéma subversif et expérimental. A ce titre je vous conseille vivement Black Christmas (Bob Clark, 1974) et La dernière maison sur la gauche (Wes Craven, 1972). Or s’est progressivement jouée une édulcoration concordant avec les logiques économiques et esthétiques du gros blockbuster : l’abus de monstration (permise principalement par le numérique) et le surdécoupage. Par ce surplus visuel qui assomme le regard, le film d’horreur témoigne d’un nouveau rapport à l’image contemporaine, et en ce sens ne fait plus confiance dans le doute immanent de l’image cinématographique. Supprimer le noir de l’image consiste à orienter d’emblée le regard vers une information, annulant de fait la capacité réflexive du spectateur. Ainsi au lieu d’être dans une posture active, on ne peut que passivement endurer ce qui jaillit sous nos yeux. Plus qu’un nouvel effet esthétique puéril, ce nouveau cinéma est le symbole de notre rapport consumériste au monde.

Heureusement le génie existe encore comme en témoigne le film It Comes at Night, sans doute l’un des plus beaux hommages que pouvaient mériter les regrettés Wes Craven et Tobe Hooper. On retrouve tout ce qui a fait la grandeur des classiques de l’horreur : une mise en scène choc mais ne laissant jamais l’horreur se dévoiler, un onirisme instillant le doute sur chaque image, des scènes nocturnes empreintes d’une pesanteur étouffante et une direction d’acteur époustouflante. Dans ce film la tension ne baisse jamais et le moindre arbre ou le moindre bruit fait frissonner. Mais si la nostalgie cinéphilique plane sur ce bijou tristement mis de côté lors de sa réception, l’originalité provient de cette tension dramatique qui gouverne tout le film. A contre-courant de la tendance principale du genre, It comes at night se conçoit dans le retardement et la négation. La seule clé de lecture donnée est l’immersion nébuleuse dans un paradigme de l’horreur entendue comme vacillation aveuglante.

Crédits: It comes at night (Mars Film), The Jane Doe identity (Wild Bunch Distribution), Love Hunters (UFO Distribution), La Nonne (Warner Bros)

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