I Comete : Juste de passage

Critique du film I Comete (Pascal Tagnati, 2021)

Il suffit à Pascal Tagnati d’un simple plan d’ouverture pour déployer et condenser la belle substance traversant son film. Alors que des adolescents se prélassent à l’ombre sur un muret, évoquant avec nostalgie les souvenirs d’un été passé, un adulte entre subitement dans le champ pour discuter avec eux. Si le sujet de leur conversation est des plus banals – une tarte aux concombres -, ce n’est que pour mieux souligner les liens, parfois fragiles, unissant les membres de cette petite communauté éphémère, d’ailleurs indissociable d’un espace, le magnifique paysage corse : situé au centre du cadre, à l’arrière-plan, le sommet d’une montagne semble observer calmement les personnages. Avec rigueur et légèreté – les jeunes et l’adulte finissent par se chambrer -, Pascal Tagnati dévoile le sujet de I Comete, son premier long-métrage : les relations qui unissent ou désunissent les habitants d’un village corse durant la période estivale, entre souvenirs et conflits. 

A la manière des grands cinéastes de l’été, Pascal Tagnati ne se contente pas de tourner pendant cette saison, mais également de la filmer. Filmer l’été, c’est avant tout restituer l’expérience sensible d’un climat et d’une période. Chaleur, torpeur, langueur, habitudes et rencontres sont autant d’éléments qui composent le film estival, lequel transmet alors ce beau et si particulier sentiment de la belle saison. Dans I Comete, des jeunes se baignent dans un lac en parlant de leurs relations amoureuses, dansent durant une fête de village, jouent à la pétanque ou, comme François-Régis et le personnage interprété par Pascal Tagnati, prennent le temps de pêcher. Filmer l’été, c’est aussi s’intéresser à un territoire et une géographie sans lesquels ce sentiment ne pourrait avoir lieu : Annecy et ses environs dans Le Genou de Claire (Eric Rohmer, 1970), Sète dans Mektoub my love : canto uno (Abdellatif Kechiche, 2017) ou encore, plus récemment, Madrid dans le sublime Eva en août (Jonas Trueba, 2020). Dans I Comete, il s’agit de la Corse : un village, ses ruelles, ses ruines, mais aussi les corniches, les prairies, les collines, les rivières et le lac qui l’entourent. Un sentiment et un décor des beaux jours donc, toujours mis en scène avec la même rigueur que dans l’ouverture citée précédemment. Les cadres de Tagnati sont fixes, les plans se distinguent par leur largeur et leur longueur, laissant l’impression d’une alchimie entre les personnages et l’espace. Aussi, I Comete entre en résonance, par sa réalisation, avec un autre film d’été sorti cette année : A l’abordage de Guillaume Brac. Mais si, chez Brac, cette mise en scène permet de progressivement créer du lien entre des personnages venant de milieux sociaux différents, chez Tagnati, la finalité est toute autre. 

I Comete (Acid France, 5 à 7 films, Lotta Films, New Story)
A l’abordage (Geko Films, Arte France, The Party Film Sales)

I Comete – le titre, si bien choisi, est loin d’être mensonger – laisse la part belle au cosmique. Les comètes, par définition, sont juste de passage. Ces corps célestes apparaissent dans les cieux, deviennent de plus en plus brillants, avant de progressivement s’éteindre et de disparaître. Mais également, les comètes reviennent. La plus célèbre d’entre elles, 1P/Halley, réapparaît ainsi tous les 75 ans. Les comètes du film de Pascal Tagnati sont évidemment ces personnages, jeunes ou vieux, qui regagnent chaque année, le temps de la saison chaude, ce petit village corse. De là l’évidence de cette fixité du cadre et des plans larges : il faut laisser l’espace aux corps pour se mouvoir et s’exprimer – physiquement, mais surtout verbalement. I Comete s’impose comme un grand film de paroles. Alors, Tagnati fait de la fixité de sa mise en scène un point gravitationnel laissant émerger, au fil des dialogues, de nombreux astres composant progressivement un monde – aussi bien extérieur qu’intérieur. Ainsi, des conversations de la première partie du film émergent des problèmes politiques : autour d’un café, des amis s’inquiètent de l’emprise financière du Qatar sur le monde du football, une vieille dame évoque, au cours d’un long dialogue philosophique avec son petit fils, aussi bien l’Europe des technocrates que la cause des femen, tandis qu’un adolescent exprime son étonnement produit par la vision d’une femme portant le voile à Nice. Et progressivement, ce monde hors de la communauté disparaît des discussions, pour laisser place à des conflits beaucoup plus intimes : François-Régis refuse de travailler pour la boîte de son père récemment décédé et méprise sa sœur, un agriculteur est menacé d’expulsion, ou de vieilles rancœurs émergent entre des familles séparées. Une progression est à l’œuvre, du monde vers l’intime, générant parfois une certaine inquiétude, comme lorsque Bastien met le feu à une ferme ou qu’un frère, extrêmement jaloux et possessif, s’en va frapper l’amant de sa sœur, pourtant un de ses amis.

I Comete (Acid France, 5 à 7 films, Lotta Films, New Story)

Pour autant, Tagnati ne signe pas un film pessimiste, qui soulignerait l’impossible de la communauté au sein d’un monde en perpétuel effondrement. Suite au déchaînement de rancœurs et de douleurs qui compose la seconde partie de son film, il choisit de laisser disparaître ses comètes en leur donnant un dernier éclat  : au crépuscule, François-Régis enlace tendrement sa grand-mère au bord d’une falaise dans le seul plan rapproché et en mouvement du film, accompagnant leur geste affectueux. Ainsi, le cinéaste n’oublie pas la belle réplique prononcée par Amandine au sujet de la photographie, plus tôt dans le film : “Tu captures, tu captures, tu crées un instant de vie, tu crées un monde”.

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