Dans cette troisième partie de mon long constat et questionnement sur le cinéma d’horreur contemporain (en regard des productions de 2017 et 2018), j’aimerais révéler la vraie raison pour laquelle je me démène à produire trois articles sur une même thématique qui peut sembler anecdotique. Et bien mes chers lecteurs, je tente simplement de montrer que face à l’idiotie, à la mièvrerie et au bien-pensantisme d’un certain cinéma contemporain occidental (provenant notamment des Etats-Unis), subsistent de vrais auteurs pensant encore le cinéma comme un lieu d’actions et de créations, d’ordre esthétique ou politique. Le cinéma de genre se révèle être le lieu adéquat pour l’expression de ces véritables artistes qui pensent l’acteur comme un corps, l’espace comme du mouvement, et le cadre comme du devenir. Si ces modalités ne vous sont pas familières, sachez simplement que sous cette analyse du film de genre, je cherche simplement à montrer que dans tous les cas le cinéma parle de nous et de notre rapport au monde.
L’horreur comme prétexte
On se lasse des remakes qui n’en finissent plus. Les années 2017-2018 sont malheureusement celles du nouveau Chucky, Le cercle (remake de remake), Leatherface, et encore une production James Wan parmi d’autres (Annabelle 2). Ces films se reposent sur des effets déjà utilisés, et se contentent de répondre à des attentes dépassées et prévisibles. Ainsi un film comme Annabelle 2 de David F. Sandberg surprend lorsqu’il se situe dans le décalage de la longue chaîne qu’il poursuit. Si on ne veut plus voir de plan-séquence lors de la première entrée dans la maison hantée, et qu’on se met à rire lorsqu’un plan s’attarde trop longuement sur un couloir anormalement sombre derrière l’un des héros, on est en revanche fasciné par la « création » d’Annabelle de la séquence pré-générique, avec cette attention particulière accordée aux gestes de l’homme et aux mécanismes de la poupée. Cette séquence féerique donne à voir de manière subtile les origines du mal, mêlant mécanique(s) artificielle(s) et anthropomorphisme.
Face à la redondance du film d’horreur comme nouvelle figure du blockbuster américain, il y a ces petites pépites qui surprennent maniant les codes du genre dans une perspective novatrice. C’est pourquoi on félicite certains films qui font un usage personnel et unique du film d’horreur. C’est le cas de Get Out de Jordan Peele, délivrant un vrai propos politique. Et on pense surtout à Grave de Julia Ducournau, la révélation de 2017, qui mêle habilement humour noir, gore répulsif et drame avec un regard percutant sur la jeunesse. Ces deux cinéastes pourraient ainsi faire partie de l’avenir du grand film de genre. Les deux interrogent sans cesse leur mise en scène, osant frôler le burlesque afin de mieux sombrer dans la folie, ou s’essayant au teen-movie pour mieux faire émerger le monstre qui sommeille parmi nous. La peur n’est pas un simple phénomène mécanique, comme ont tendance à l’oublier certains films bien trop classiques. Elle est une forme de jeu et de dialogue à laquelle participe le spectateur. Celui-ci ne doit pas simplement subir les images, mais se les approprier. C’est pourquoi le screamer est un effet qui lasse, et le banal psychopathe amène souvent à la bonne rigolade. Au contraire, le suivi d’une adolescente subissant le bizutage de ses camarades et la pression des cours (Grave), ou bien la vie d’un jeune homme de couleur (Get Out) qui arrive dans une famille de petite bourgeoisie américaine (aux coutumes normées et dérisoires, passant du ponctuel bingo aux réunions dominicaines), le tout dans un contexte politique houleux (celui des années post-Obama), les deux sont de véritables trames horrifiques de notre quotidien ayant un effet percutant sur le spectateur. Ces films usent d’un schéma générique codifié pour reconfigurer des thématiques politiques très actuelles. Dans un art guidé par les enjeux économiques, ce renouveau politique (l’interrogation sur l’identité genrée, ou sur le racisme latent imprégné dans la société américaine) ramène le cinéma d’horreur à sa capacité subversive que l’on chérit tant.
Corps et espace
L’enjeu fondamental du cinéma d’horreur est la nécessaire interrogation permanente du corps dans l’espace. Beaucoup de films de 2017-2018 l’ont parfaitement compris, signifiant à leur manière cet espace. Un film français comme Dans la brume de Daniel Roby, dans l’ensemble plutôt raté (aux canevas scénaristiques grossiers, et à la direction d’acteur douteuse), centre tout de même toute sa vision de l’horreur sur ce souci de l’incapacité des héros à saisir l’espace. Ainsi, tout le film se déroule dans un Paris immergé dans un mystérieux brouillard mortel, auquel les survivants tentent d’échapper, reclus dans les hauteurs d’un immeuble. Le film alterne ainsi entre des intérieurs de plus en plus restreints (par la montée de la brume), et des rues de la capitale auparavant quotidiennes, désormais hostiles. L’ordinaire devient le danger. Et le seul grand moment du film est un beau plan-séquence suivant cette montée progressive du brouillard par les bouches du métro, puis montrant la course frénétique d’un mouvement de foule, jusqu’au cloisonnement du héros (Romain Duris) dans l’espace privé, l’appartement.
Plus l’espace est restreint, plus l’exigence de la mise en scène devient pertinente. C’est pourquoi le huis-clos est le lieu privilégié pour se recentrer sur tout un film : une maison (La maison du Diable, Robert Wise), un appartement (Le Locataire, Roman Polanski), voire un cercueil (Buried, Rodriguo Cortès). Et cette année aura conservé cette tradition en commençant par le sympathique film espagnol de Sergio G. Sachez, Le secret des Marrowbone, drame familial doublé d’un thriller fantastique. Sans réinventer les codes instaurés par ses prédécesseurs, le film joue intelligemment sur la négation du fantastique pour mieux le faire vivre dans certaines scènes par des motifs récurrents, notamment le miroir. Construit sur une trame basique et minime, le difficile quotidien de 4 frères et sœurs dans une maison de campagne, une forme de poésie et de mystère découle d’un enfermement permanent avec les mêmes personnages.
D’une toute autre manière, le huis-clos se retrouve dans le récent Climax de Gaspard Noé. Si les abus esthétiques et égocentriques fatiguent dans ses œuvres précédentes, il trouve ici la parfaite dose d’énergie et de folie pour rythmer cette soirée de jeunes danseurs d’une même troupe, qui vire au cauchemar. Le film se concentre sur un même lieu, la salle des fêtes, découpé en trois zones (la salle de danse, le couloir, et le dortoir). Et cette tripartition permet de générer un flux continu (avec l’utilisation constante de plans-séquences) reflétant la perte progressive des corps dans cet espace très limité, qui semble se clore sur lui-même. Ainsi les allers-retours des jeunes danseurs se font avec une plus grande difficulté, avec plus de lenteur, et de plus en plus de déréalisation. A l’instar de la folie et de l’alcool, la dégénérescence de la mise en scène augmente, tandis que les corps se disloquent (voire se mutilent) dans une frénésie éclatante. Le film se conclut dans un long plan-séquence d’une dizaine de minute, le cadre totalement retourné et en monochrome rouge, ne laissant voir des corps plus que leur éclatement, et de l’espace plus que son évaporation.
Mes 3 coups de cœur du cinéma de genre
A mon sens, trois des films les plus intéressants de l’année sur l’utilisation des corps et de l’espace sont Revenge, de la française Coralie Fargeat, Un couteau dans le cœur, du réalisateur français déjà culte Yann Gonzalez, et Paranoia, de l’éminent Steven Soderbergh.
Le premier est un survival, montrant une jeune femme perdue dans le désert poursuivie par trois hommes qui veulent la tuer. Toute la course-poursuite est magnifiquement rythmée, le suspens est présent et l’action aussi, pour un film choc et haut en couleur. Toutefois le vrai coup de génie se situe dans le dernier quart d’heure. La femme se retrouve dans la maison initiale, immense résidence aux milles fenêtres, avec son ultime traqueur et amant de surcroît. Il se joue une course-poursuite à la Tom et Jerry, où il est progressivement impossible de déterminer qui est le traqueur et le traqué. Tout se joue dans un rythme en crescendo, un tournoiement excessif qui fait perdre tout repère dans cette demeure, pourtant préalablement présentée dans son intégralité lors des scènes d’exposition . Tout l’espace ne devient que couloir, et tout mouvement ne devient qu’un seul flux continu. Le sang jaillissant à maintes reprises dans le film macule ici l’intégralité des murs et du cadre, amenant à une indétermination générale jusqu’à l’explosion finale.
Un couteau dans le cœur brille par sa poésie et sa beauté esthétique. Entremêlant avec brio le drame d’une histoire d’amour(s) impossible(s) à la trame policière des ravages d’un tueur en série, ce bijou de Gonzales use des codes du Giallo (avec moult références à Mario Bava et Dario Argento), sans jamais se complaire dans cet héritage. Le film ne cesse de déréaliser un Paris des seventies pour créer des moments de pure poésie romantique, avec de vrais élans fantastiques surgissant de nulle part, tout en amenant le spectateur face à une forme de trivialité extrême comme peut l’être un tournage de film porno gay. Chaque scène semble justifiée par une justesse du propos, et un respect de la forme tout comme des individus composant l’équipe de tournage du porno. L’horreur jaillissant d’une telle magnificence des corps, le drame pénétrant l’épouvante des espaces, tout amène à une forme de sublime atteignant son paroxysme dans le générique de fin, dévoilant une orgie au ralenti dans un blanc d’une pureté aveuglante.
Enfin pour terminer cette année de l’horreur en beauté, je ne peux que vous conseiller d’admirer le dernier coup de maître de Soderbergh. Filmé intégralement avec un IPhone, le film a pour principe la pénétration dans l’intériorité de l’héroïne enfermée malgré elle dans un hôpital psychiatrique, jusqu’à ce que sa subjectivité incruste tout l’espace. A force de cloisonnement, de consommation de drogue et de persécution, la nature même de l’image est happée par cette folie contagieuse. Si le scénario ne suit pas toujours, malgré une vraie volonté de discours politique par la dénonciation du système médical américain et par extension des persécutions des femmes, la mise en scène brille pendant 1H30, ne laissant que peu de temps-mort. Il n’y a que le corps de Claire Foy dans l’espace le plus comprimé qui soit, le format d’un téléphone, mais son besoin de sécurité et de confinement, normalement assouvi par l’espace privé, n’est qu’en constante dégradation. Cette descente en enfer se termine dans une seule pièce aux murs similaires, faisant de l’hôpital non plus un espace labyrinthique, mais celui de l’ipséité. Le cadre de l’IPhone a contaminé ses propriétés au monde environnement. Le format du portrait généralisé dans nos pratiques quotidiennes contraint notre héroïne à n’être plus qu’elle-même face à sa propre folie individuelle. Soderbergh fait corréler le format de l’I-Phone, adopté comme cadre du film, avec la paranoïa de l’héroïne. Ces thématiques de la surveillance et de l’hypercontrôle sont par conséquent nourries par le cadre, épousant un voyeurisme intrinsèque à l’image. Toutes les sphères, de l’intime au public, sont enchevêtrées dans un même espace poreux, rabattant le regard du spectateur non plus en empathie avec les personnages, mais dans une posture de voyeur.
Hérédité, généalogie d’un genre éternel
Si je ne devais vous conseiller qu’un seul film, celui qui a mon sens condense tout le génie de l’horreur contemporain, c’est le chef-d’œuvre Hérédité de l’américain Ari Aster, venant des mêmes producteurs que le déjà très réussi The Witch (2015). Dans ce film est présente toute l’économie narrative d’un Carpenter mêlée à la densité dramatique d’un Cassavetes. Aster livre un drame familial intense, révélant les émois d’une catastrophe familiale, de la perte d’une mère à la perte d’un enfant, témoignant à la fois d’un conflit des générations, de la difficulté de se concevoir comme individu dans un cadre privé, et de celle de se construire comme un membre d’une société elle-même souffrante dans ses rapports humains. Tout est cloisonné dans ce film, tout se confine, se claustre, jusqu’à l’étouffement. L’artificialité des décors, les surcadrages et les décadrages emprisonnent les personnages dans leur folie contagieuse d’où l’horreur peut surgir et éclater. Ni stylisation débordante, ni fantastique maladroit, au contraire ce film est un puissant drame horrifique transformant les conflits familiaux et identitaires en une quête mystique. En résulte un thriller à l’angoisse fracassante comme j’ai peu de fois eu la chance de vivre au cinéma.
Crédits : Grave (Wild Bunch Distribution), Get Out (Universal Pictures), Climax (Wild Bunch Distribution), Revenge (Rezo Films), Hérédité (Metropolitan FilmExport)
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