Critique du film Oxygène (12 mai 2021 sur Netflix) d’Alexandre Aja
Oxygène s’ouvre dans l’obscurité. Les premiers plans, grâce aux halos successifs d’une lumière rouge, ne laissent entrevoir dans le cadre que les parties d’un corps attaché, sous perfusion et criblé de capteurs. La séquence est rythmée par une suite d’apparitions et de disparitions visuelles couplées aux sons d’une respiration difficile et d’une fréquence cardiaque émise par un électrocardiogramme. A l’angoisse provoquée par l’enfermement et l’immobilité d’un corps s’ajoute une esthétique qui semble tout droit héritée du giallo – par sa colorimétrie – et des films de monstres hollywoodien. Alors, ce corps projeté dans un espace que l’on devine futuriste est plus proche de la momie de James Whale ou des créatures de Clive Barker que des personnages se réveillant dans les capsules de cryogénisation au début des films de la saga Alien. L’ouverture du dernier film d’Alexandre Aja fonctionne ainsi comme le témoin rigoureux de ce qui en fait sa pertinence : un lien ambigu et anxiogène entre le corps et la machine se retrouve conjugué à un geste de cinéaste identifiable à partir des références qu’il puise dans le genre.

D’emblée, Oxygène s’inscrit dans un sous-genre bien connu, que l’on pourrait appeler l’horreur claustrophobe, et dont la figure de proue récente serait l’ingénieux Buried (2010) de Rodrigo Cortés. Une femme se retrouve enfermée dans une capsule de cryogénisation. Amnésique, elle n’a pour seul compagnon que la voix d’une intelligence artificielle. Si, évidemment, son inaction enclenche rapidement la dramaturgie – “Je veux sortir” -, Aja choisit rapidement d’ajouter au survival une dimension plus métaphysique. Mélanie Laurent ne sait pas qui elle est, et c’est grâce aux souvenirs lui apparaissant par bribes qu’elle pourrait s’en sortir. Au je veux sortir inaugural, bien célèbre et redondant dans le genre, s’ajoute rapidement le qui suis-je ? De cette manière, Oxygène s’éloigne progressivement de Buried pour se rapprocher de certains films de science-fiction horrifiques – on pense évidemment au Cube (1997) de Vincenzo Natali.
Un tel ajout au genre est récurrent dans la filmographie du cinéaste, où l’espace et la mémoire ont toujours été intrinsèquement liés. Chez Aja, il y a d’abord une frontière spatiale, séparant les protagonistes d’un danger qui les guette : frontière liquide dans Crawl (2019) – les eaux déchaînées par l’ouragan qui amènent les alligators -, géologique dans La Colline a des yeux (2006) – les monts désertiques qui séparent les personnages du village minier habité par des dégénérés -, liquide et géologique dans Piranha 3D (2010), où une faille sismique s’ouvre au fond d’un lac, ouvrant alors la voie à des créatures du pléistocène. Et souvent, l’espace dans lequel se déroule la narration fonctionne comme allégorie d’une mémoire hantée par le traumatisme : le spectre du nucléaire dans La Colline a des yeux et la maison dans Crawl – lieu d’où surgissent les souvenirs, souvent par l’intermédiaire des dialogues, d’une fille ayant vécu une enfance difficile aux côtés de son père.


Une dynamique similaire se retrouve dans Oxygène, où l’enfermement est double. Mélanie Laurent, cloîtrée dans sa capsule, est incapable de se mouvoir comme elle est incapable de se souvenir. De fait, à l’immobilité physique du personnage s’ajoute une immobilité d’ordre psychique. Mais si les espaces ont toujours été restreints dans les histoires d’Aja – la partie de campagne de Haute Tension (2003), la maison de Crawl, la petite ville de Horns (2013), le lac de Piranha 3D ou encore la caravane de La Colline a des yeux -, il n’a jamais été aussi réduit que dans Oxygène. Ce qui laisse malheureusement peu de place à Aja pour exprimer le ludisme qu’on lui connaissait. Alors, Oxygène nous cantonne trop rapidement à sa narration.
Mélanie Laurent, en dialoguant avec l’entité technologique chargée de la garder dans sa capsule, parvient à retrouver des indices sur son passé et à communiquer avec l’extérieur via le réseau de télécommunication satellite. Dès lors, le film est rythmé par la baisse progressive du niveau d’oxygène, ainsi que par des twists successifs beaucoup trop prévisibles, venant tout de même étoffer l’univers dystopique du film. Mais la longueur d’Oxygène – plus de 100 minutes – vient progressivement ajouter une certaine lourdeur à cette narration. Aussi, cette double dynamique – enfermement et mémoire – devient malheureusement et rapidement tributaire de la dramaturgie, fonctionnant à la fois comme un geste qui trouve une généalogie dans la filmographie du cinéaste mais qui exprime dans le même temps la limite esthétique de son dernier film.

Pour apprécier Oxygène, il faut prendre le temps de regarder ce qui reste : un acteur et une machine. Mélanie Laurent, contrairement à Ryan Reynolds dans Buried, ne nous surprend guère par son jeu. Poussant des cris, riant de sa situation, se contorsionnant à plusieurs reprises dans la machine, elle danse toujours avec l’extravagance. En réalité, la grande inventivité du film réside dans M.I.L.O, l’ordinateur qui accompagne le personnage. Aja a eu la bonne idée de proposer à Mathieu Amalric d’interpréter cette intelligence artificielle. La voix de cet acteur, souvent teintée d’émotion et de fêlures, est sans doute l’une des plus touchantes, si ce n’est la plus mémorable, du cinéma francophone contemporain. Mathieu Amalric semble prêt à pleurer à tout moment, et en cela son timbre vocal nous touche plus que les autres. Alors, Aja instaure un trouble en insufflant toute cette humanité à la machine, déployant aussi bien une poésie visuelle qu’un danger inhérent aux blockbusters depuis plusieurs années : le corps de l’acteur disparaissant dans une vive lumière bleue.
