Critique d’Alice et le Maire (Cannes 2019, Quinzaine des réalisateurs), de Nicolas Pariser
La chouquette est une pâtisserie soufflée à base de pâte à choux et parsemée de sucre perlé. Bien souvent, un amas rutilant de chouquettes vient orner les buffets des dîners mondains et des réceptions politiques. Les goinfres comme les gourmets en raffolent en raison de sa légèreté et de son petit goût sucré. Le génie du cinéaste-pâtissier Nicolas Pariser, c’est d’avoir fait de ce simple dessert le plat de résistance de son film, en y ajoutant un ingrédient secret.
L’enrobage du dessert
Cette fiction politique nous plonge dans la sphère municipale de Lyon, que l’on découvre en même temps que le personnage d’Alice, brillamment interprétée par Anaïs Demoustier. Pour enclencher cette machinerie politique, un soin particulier est accordé à une mise en scène méticuleuse : les mouvements de caméras cadrent les déplacements millimétrés des comédiens qui s’affairent et s’activent comme autant d’abeilles dans une ruche. Le montage-cut, très rythmé, s’accorde parfaitement avec cette ébullition. Le comique, qui fonctionne à merveille, est dû à la performance des acteurs et à la maestria de cette mise en scène. L’image, presque trop nette, donne à voir ce monde à part, parfaitement huilé, où personne n’a le temps (« le maire aimerait vous parler cinq minutes, dans trois minutes ») et où tout le monde fourmille… Pour rien. Le caractère jubilatoire de toute cette agitation réside très justement dans sa vanité profonde, soulignée à maintes reprises dans le film. En réalisant une fiction sur le sommet municipal d’une grande métropole, on demande à des comédiens d’incarner des comédiens. Cette réflexion, menée en profondeur sur la mise en scène, le décor et la notion même d’acteur, permet de subtilement mettre à jour les failles de ce système : cette mairie est un monde d’apparat où le langage et la pensée se meurent au profit de la rapidité et de l’efficacité. Il ne faut pas mener une réflexion pertinente, mais délivrer une punchline convaincante en moins de huit minutes. Cette mascarade n’est pas tant éloignée de la chouquette : sa couverture, doucereuse et appétissante, ne renferme rien, sinon du vent. C’est l’art du paraître et de la formule, un air si souvent brassé par le gouvernement d’aujourd’hui qu’il en devient vicié.
L’ingrédient secret
Cependant, se contenter du constat d’un gouvernement superficiel serait aussi un geste cinématographique somme toute assez vain. L’exploit de Pariser, c’est d’instiller l’art et la pensée dans les engrenages de ce système, de conférer une épaisseur à la chouquette. Comment y parvient-il ? Le succulent Fabrice Luchini joue le rôle de Paul Theraneau, le maire désabusé de Lyon. Celui-ci est en détresse : il est à court d’idées. Son quotidien, affadi par ce déclin, se fait de plus en plus stérile. Il fait appel aux services d’Alice, une jeune femme venant de terminer ses études de lettres. Celle-ci sera projetée à une responsabilité unique et particulière : donner des idées au maire, le stimuler. L’idée de l’idée, c’est la clef de voûte de ce film. Alice, candide et curieuse, insémine une véritable réflexion dans ce système périmé. Elle permet au maire une crise de conscience salutaire, dévoilant la dérision de ce gouvernement infatué tout en essayant des alternatives bénéfiques. Bien évidemment, ces tentatives s’avèrent infructueuses, et plus Alice progresse dans son parcours, plus le parti « progressiste » qui entoure le maire tente de l’évincer. À trop penser, on pourrait gâcher sa future campagne présidentielle. Le final doux-amer se retire justement de la politique pour laisser sa place à l’humain et l’intime, afin de donner au film l’épaisseur recherchée par Alice. Jamais une chouquette n’aura été aussi consistante.
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