Critique de Grass (19 décembre 2018) de Hong Sang-soo.
Tout commence par des pots où viennent de germer de jeunes pousses. Un homme fume une cigarette. Il contemple ces plantes, nombreuses et rendues fragiles par une brise les faisant se courber légèrement. Les premières images de Grass viennent synthétiser tout le projet de Hong Sang-soo, simple par la forme et dense par le propos : un regard porté sur des êtres fragiles parvenant tout de même à vivre malgré un poids qui pèse sur leurs épaules.
Ce poids, c’est le suicide. Certains veulent mourir, à l’image d’un vieil homme, ancien acteur de théâtre s’accrochant à la seule chose qui lui reste : une amie. D’autres sont hantés par la mort, comme ces deux jeunes personnes se déchirant en s’accusant mutuellement d’être coupable du suicide d’un de leur proche. Pourtant, malgré ce désespoir, la vie est toujours possible. Comme le dit le vieil homme son suicide a eu lieu. Il s’agit à présent d’aller de l’avant. Il faut changer de manière de penser, cela étant impossible sans l’autre.
Grass, film de basculement. Il a lieu dans la parole. Le cinéaste filme les discussions. Il s’agit de ne rien en perdre. Pas de champ contre-champ. Le montage donne l’illusion de l’artifice, de quelque chose de construit. Il faut aller à l’essence des choses, rendre compte du temps de parole et de sa densité émotionnelle. Place au plan-séquence. Les échanges sont filmés dans leur intégralité. Il faut garder les hésitations, les temps de pause, la gêne, l’expression de la douleur. Et finalement la joie. Hong Sang-soo choisit de poser ses cadres. Les êtres sont d’abord mis-à-distance par l’objectif. Ils nous font face, eux-mêmes l’un en face de l’autre, séparés par une table du café. Puis ils se rapprochent. Le cinéaste choisit de zoomer sur les visages, leurs expressions devenant le point central du cadre par l’intermédiaire du gros-plan. La simplicité de cette mise en scène, alliée à la splendeur du noir et blanc et des symphonies wagnériennes, révèle une beauté des êtres. Ils existent bel et bien, il faut les donner à voir.
Grass, film d’observation. Celle du spectateur, permise par la construction des cadres, mais également par une personne tissant un lien entre toutes les conversations, tous les êtres. Il s’agit du personnage interprété par Kim Min-Hee, une romancière présente dans le café. Elle regarde, mais surtout écoute. Ces scènes quotidiennes deviennent le fruit d’une inspiration. Le quotidien devient fiction. Mais c’est justement ce que veux éviter Hong Sang-soo. Il ne nie pas l’observation. Elle est simplement une étape nécessaire au basculement vers la joie. Cette jeune femme préfère d’abord rester à l’écart des personnes qu’elle observe. Cette mise à distance, elle l’adopte également avec ses proches. En résulte une confrontation avec son frère qui aboutit à une séparation. Elle finit par se rendre compte de son erreur, et se joint aux autres personnes dans le café à la nuit tombée pour parler, festoyer. Vivre, tout simplement.
Malgré la courte-durée du film, Hong Sang-soo prend son temps. Il est nécessaire de le faire. Les êtres changent. Il filme ce changement. Le cinéaste filme le temps, un temps figé, à l’image des photographies qui clôturent le film. Après avoir rendu compte de ces instants de la vie quotidienne par le mouvement, il en présente des images figées qui se retrouvent alors traversées par la puissance émotionnelle des dialogues du film. Hong Sang-soo filme la parole, mais également l’espace. Là, les lieux sont désormais déserts, pas de présence humaine sur les photographies, mais ils sont porteurs d’une histoire : celle des personnes qui les ont traversés et qui malgré le désespoir qu’elles ressentent, trouvent le moyen de poursuivre leurs vies.
Photographies : Les Acacias.
2 commentaires Ajouter un commentaire