Critique de Spider-Man : New Generation, de Bob Persichetti, Peter Ramsey et Rodney Rothman (12 décembre 2018)
Avant de se concentrer sur la critique même du film, il faut bien mettre celui-ci en contexte car celui-ci a toute son importance. En 2015, Sony Pictures et Marvel Studios annoncent la production en partenariat d’un nouveau reboot de Spider-Man, qui sera intégré à l’univers cinématographique Marvel (Spider-Man : Homecoming, sorti en 2017). Alors que la figure du tisseur rejoint Marvel Studios, Sony maintient sa position et décide de lancer des projets de films « autour » de Spider-Man. Je dis bien « autour » puisqu’il s’agit de films focalisés sur des personnages proches de Spider-Man, sans la présence du héros. Venom, sorti en octobre 2018, inaugure ainsi le « Sony’s Marvel Universe », qui connaît actuellement entre 5 et 6 projets dont deux possèdent déjà une date de sortie.
Pourquoi cette introduction ? Parce qu’au milieu de tout cela sort le 12 décembre 2018 Spider-Man : New Generation, un film d’animation produit par Sony Pictures et se focalisant uniquement sur la (et même les) figures de Spider-Man, tout l’inverse du projet de Sony. Je suis assez méfiant concernant les projets de films annoncés par Sony Pictures et Venom ne m’a pas particulièrement rassuré. Ainsi, j’avais la triste impression que ce nouveau film Spider-Man était simplement une opportunité commerciale s’adressant surtout à un jeune public, qui peut notamment déjà suivre à la télé des aventures animées de Spider-Man. Je me trompais allègrement, Spider-Man : New Generation est bien plus que « l’événement familial de la fin d’année » comme le proclame Sony.

Spider-Man : New Generation est chapeauté à la production par les réalisateurs de La Grande Aventure Lego, qui s’était distingué par son humour, son émotion et sa technique, faisant passer des images de synthèse pour des prises de vues réelles de jouets Lego. Ce parti pris esthétique qui vient troubler la réalité et le statut de l’œuvre cinématographique se retrouve dans Spider-Man : New Generation, à un niveau plus développé. Bien loin d’un énième opus sur l’homme araignée, qui aurait en plus le vice de viser avant tout les enfants pour le succès commercial, Spider-Man : New Generation est un film d’auteur éblouissant.

Ce film est un objet encore jamais vu, quelque chose d’étrange, qui se place de manière très surprenante dans le paysage cinématographique et qui, par conséquent, reste assez difficile à critiquer. Première étrangeté : comment se fait-ce que Sony exploite l’univers de Spider-Man jusqu’à la moelle pour des raisons commerciales mais produit quand même ce genre de film ? J’ai encore du mal à comprendre comment la production a pu accepter certains choix, qui représentent, à mon avis, un véritable risque. Tous les personnages sont inconnus du grand public. L’intrigue s’appuie sur la logique d’univers alternatifs, qui s’avère difficile à tenir scénaristiquement en terme de clarté et de cohérence. Le style graphique et le ton du film est très travaillé et méta. Tous ces éléments font du film un anti-blockbuster pourtant produit par Sony Pictures.

Dans La Grande Aventure Lego, l’écriture déjantée allait de paire avec le caractère naïf du personnage principal et le questionnement sur l’héroïsme. Spider-Man : New Generation va lui aussi dans tous les sens, avec une certaine maîtrise du rythme et rend encore plus pertinente la question sur l’héroïsme puisque la conclusion du film, c’est : « Tout le monde peut porter le masque ». Conclusion plutôt enfantine qui fait pourtant son effet aux termes d’un récit initiatique creusant l’héroïsme à l’aide d’une imagination exacerbée, rappelant celle d’un enfant. Je crois que c’est là la grande qualité des réalisateurs : Phil Lord et Christopher Miller arrivent à fusionner parfaitement l’intelligence d’un adulte et l’intelligence d’un enfant. L’une, forte d’une certaine conscience, favorise l’approche méta du film quand l’autre soutient l’émotion et quelque chose de plus brut. Ces deux facettes se soutiennent ainsi mutuellement et donnent lieu à un film à l’équilibre intrigant. Surtout, cet équilibre rend le film accessible aux adultes, aux enfants, aux initiés et aux non-initiés de l’univers de Spider-Man. De manière assez étrange d’ailleurs, la scène où se cristallise le mieux cette écriture adulte/enfantine est celle du caméo de Stan Lee, qui, d’exceptionnelle, devient complètement métaphysique avec le décès récent de l’auteur de comics.

Le film nous présente finalement l’aventure d’un jeune Spider-Man, Miles Morales, tâchant de faire honneur à l’héritage du Spider-Man original de son univers. Là où le schéma narratif est très classique, s’appuyant sur la logique du récit initiatique, le scénario propose tout de même une certaine originalité puisque Miles, qui échoue tout le long du film avant de briller à la fin, est accompagné d’autres « Spider-Héros », eux-mêmes pas tout à fait des figures épiques et héroïques. On a ainsi à faire à un Peter Parker en pleine crise de quarantaine, bedonnant et dépressif, dont la vie est un échec ; une Gwen Stacy asociale et pleine de remords ; un Peter Porker sorti des Looney Tunes, un Spider-Man Noir, parodie des grands héros des films noirs et Penny Parker, une version manga et robotisée de Spider-Man.
Finalement, le film utilise le multiverse pour détourner la figure de Spider-Man et exhiber à quel point cette figure est un objet culturel. Ce parti pris est soutenu par le discours méta du film, qui brise le quatrième mur à l’envie. Ainsi, le Spider-Man original semble être le Spider-Man de tous les films depuis le premier de Sam Raimi (permettant ainsi certains gags et références plutôt comiques), qui, dans son monde, est lui-même un objet culturel. De fait, lorsque Miles acquiert ses pouvoirs, il va voir dans les comics comment Peter Parker a fait pour se débrouiller avec.

Alors que le multiverse brise les frontières, le film cherche une rupture formelle des frontières génériques et esthétiques. À ce niveau, la mise en scène est impressionnante et d’une créativité presque effrayante. Dès le générique de début avec le logo de Sony Pictures et pendant les 10 premières minutes, le film déploie une créativité vertigineuse, littéralement à couper le souffle : détournement des logos, explosions visuelles, scène d’introduction détournée et surtout beaucoup de jeu sur les plans et leur enchaînement. Ce phénomène de concentration créative permet de voir à quel point chaque plan est issu d’une réflexion, donnant ainsi l’impression de voir une vidéo youtube créée par un fan au budget illimité. Dès le début, la puissance créative du film lui donne de la personnalité. Cette créativité sera moins présente à la fin du deuxième tiers du film mais reviendra plus explosive que jamais lors du traditionnel combat final. Ce combat final a justement quelque chose d’assez étonnant. Il représente bien le défaut du film, à savoir un schéma narratif trop classique, mais aussi sa grande qualité.
D’abord, le grand méchant du film, le Caïd, n’est pas mué par une volonté destructrice absolue. Au contraire, à l’image du développement du personnage dans la série Netflix Daredevil, le Caïd est simplement motivé par ses sentiments puisqu’il souhaite retrouver dans des univers alternatifs les alter-ego de sa femme et son fils décédés, quitte à détruire Brooklyn voire la réalité, devenant ainsi une allégorie croisée du désir et du deuil. Ainsi, le méchant n’est pas si classique que cela et son exécution demeure suffisamment fine pour lui donner de l’épaisseur. On notera ainsi sa grande violence, tuant à plusieurs reprises des personnages importants, mais aussi sa représentation graphique. Le Caïd est exceptionnellement massif, grâce au format du dessin animé, tellement massif que certains plans montrent son corps occupant plus de la moitié de l’image. Il est donc avant tout un corps dominant, dont le costume noir rappelle la douleur intérieure, marquant ainsi le contraste avec le costume rouge et noir d’un Miles Morales, symbole de la réappropriation d’un héritage. L’opposition entre ces deux antagonistes est d’autant plus marquée que le Caïd est d’une rigidité incroyable alors que Miles Morales est petit, mou et agile. Là est justement la grande réussite du film. L’animation n’est pas qu’un format, elle est aussi un signifiant et un outil de représentation.

L’intention portée à la mise en scène se retrouve aussi dans le style graphique, qui avait permis au film de se distinguer dès ses bandes-annonces. Ce parti pris n’est pas une vaine esthétique utilisée de temps en temps lors du film. Au contraire, toute l’œuvre tourne autour d’un jeu avec ce parti pris. On a ainsi à faire à un véritable comics mis en film, avec un style pointilliste qui rappellera les œuvres de Roy Lichtenstein. Toutes les critiques s’attarderont sur la qualité graphique de l’image qui travaille le comics en tant qu’objet artistique et culturel à un niveau impressionnant (oubliez le parti pris de Ang Lee et le style « case de bande dessinée » dans son Hulk). Formellement, le film joue avec l’image et la réalité, insérant des onomatopées lors de chocs ou de mouvements, ne se gênant pas à briser même le cadre de l’écran de cinéma avec des éclaboussures. Ainsi, l’écran est pris comme une case de comics et, tels les auteurs de bande-dessinée, le film joue avec ces codes. Tout ce travail autour du comics est d’ailleurs parfaitement sous-entendu dès le début du film, via le tampon du « Comics Code Authority », rappelant notamment comment un objet comme le comics a pu être censuré à une époque et comment, désormais, une équipe d’animation se l’approprie pour jouer avec et en faire un film.

Finalement, la forme de Spider-man : New Generation et son ton enfantin donne presque l’impression d’être la retranscription de l’imagination d’une personne lisant un comics. Les scènes fixes des cases sont mises en mouvement sans contraintes de limites. La richesse du film se trouve ainsi dans la rencontre entre l’immobilité du dessin et le mouvement du film. Rien ne peut détrôner le Spider-Man 2 de Sam Raimi, pourtant, toute l’équipe de réalisation, de production et d’animation assume une vision d’auteur telle que ce film d’animation demeure sans doute le meilleur film super-héroïque proposée depuis 2008 et l’ascension de Marvel Studios.
Pour encore plus de Spider-Man, mes articles sur le jeu-vidéo Marvel’s Spider-Man sorti en septembre 2018 :
Quel héros pour quel héroïsme ? 1/2
Quel héros pour quel héroïsme ? [2/2] SPOILER
Crédits : Sony Pictures Releasing, hytam2, José Baixinho, Reggies Takes
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