En cette fin d’année 2018, dans l’univers du jeu-vidéo, un mastodonte était attendu par toutes et tous. Mais pas trop par moi. Red Dead Redemption 2 a déclenché et déclenche, comme prévu, une sacrée euphorie et tout un engouement, qui vont sans doute permettre au jeu de laisser son empreinte dans le monde vidéoludique. Mais Red Dead Redemption 2 éclipse un jeu sorti début septembre qui, d’une part, était assez attendu et qui, d’autre part, s’avère lui-aussi être un beau succès commercial : Marvel’s Spider-Man.
Sur le marché du jeu-vidéo, Marvel’s Spider-Man a une place un peu particulière. Il faut déjà remarquer que les très grands succès de cette fin d’année (mais c’est une constante générale) sont des licences ou des suites : Red Dead Redemption 2, Fifa 19, Call of Duty : Black Ops IIII. C’est peut-être un détail mais il reste tout de même difficile, en tant que triple A, d’intégrer un marché qui a déjà ses grosses têtes d’affiches, encore plus cette année. Surtout, Marvel’s Spider-Man, c’est un double retour : le retour d’un jeu Spider-Man et le retour du studio Insomniac Games, qui avait véritablement marqué pour la dernière fois en 2016 avec Ratchet and Clank sur Playstation 4. Ce jeu était aussi l’occasion pour Marvel de s’insérer officiellement sur le support vidéoludique et de dépasser la formule classique des adaptations, qu’il s’agissent des films ou des collaborations Marvel/Lego, ou des jeux mobiles, portés notamment par Gameloft. On nous annonçait donc enfin un véritable jeu Spider-Man qui verrait le tisseur évoluer dans New-York, avec le retour d’une formule à la Ultimate Spider-Man, c’est-à-dire un scénario original, un gameplay plutôt dynamique, des quêtes annexes, des collectibles et surtout le plaisir de se balader en ville du bout de sa toile.
Si je parle de Ultimate Spider-Man, auquel je jouais plus jeune sur Gameboy ET sur Playstation 2, c’est parce que, face à ce jeu, je rêvais. Je vivais ce genre de moment d’épanouissement, j’incarnais Spider-Man, j’incarnais ce héros, je ressentais ce petit quelque chose de plaisant. Mais je rêvais tout de même de plus. Je voyais ma PS2 galérer techniquement : l’une des grandes difficultés d’un jeu Spider-Man en monde ouvert, c’est la rapidité d’affichage des bâtiments, des textures, etc… Nécessairement, contrôler Spider-Man a un côté enivrant et n’importe qui se prend au jeu pour se balancer de plus en plus vite entre les buildings. Mais cette frénésie de célérité est très gourmande techniquement. De fait, petit, quand je jouais à Ultimate Spider-Man, je rêvais de ce futur où les consoles de jeu pourraient traiter des graphismes incroyables sans trop de difficulté, un futur où je pourrai jouer à un jeu qui me donnerait plus que l’impression d’incarner Spider-Man. Et aujourd’hui, j’ai ce jeu.
Au-delà de la question technique, je veux chercher, avec cet article, à montrer pourquoi ce jeu-vidéo tend à la perfection en tant que jeu Spider-Man. On ne peut effectivement que saluer le travail d’Insomniac Games, pour plusieurs choses. D’abord, le contrat est rempli en terme de fluidité. J’ai rarement vu, en jeu-vidéo, un Spider-Man qui a vraiment ce côté agile, souple, arachnéen. Le système de balancement fonctionne très bien mais on sent surtout une attention portée à l’adaptation de Spider-Man à son environnement, qu’il s’agisse des courses automatiques sur des murs ou du désormais bien établi système de toile qui se colle sur de véritables objets et non plus sur des nuages magiques et invisibles.
Une fois le gameplay du déplacement bien pris en main, les plus grandes folies nous sont ouvertes. Quel plaisir alors d’avoir un Spider-Man acrobate qui va n’importe où, bondissant, le tout dans un New York somptueusement modélisé. Le jeu propose un certain plaisir esthétique, qui se développe à trois niveaux différents. D’abord, le plaisir très simple de la balade en ville, car le jeu réussit véritablement à faire de la balade une activité en soi et j’ai, pour ma part, passé mes deux premières heures de jeux à visiter New York. Ensuite, ce plaisir esthétique peut avoir une autre ampleur grâce à la beauté du jeu et son travail sur les lumières. Honnêtement, remonter une avenue avec Spider-Man, face à un coucher de soleil, en survolant la très dense population de New York et, parfois, des voitures de polices qui pourchassent des criminels, c’est vraiment quelque chose – quelque chose qui m’a sincèrement touché dans mon âme d’enfant. Enfin, on pourrait dire qu’il y a une esthétique du mouvement dans ce jeu, d’autant plus que Spider-Man est léger et rapide à contrôler, sa maniabilité est très bien dosée. On retrouve cette dynamique alliant célérité et souplesse au sein des phases de combats, qui reprennent très largement le gameplay des Batman Arkham en y intégrant véritablement la dimension arachnéenne de Spider-Man. Il est intéressant de noter que la transposition du système de combat des Arkham fonctionne beaucoup mieux avec Spider-Man, en terme de cohérence. Quand il est très surprenant de voir un Batman faire un bond de 5m pour attaquer un sbire, ce geste est tout à fait normal pour Spider-Man. La filiation reprend aussi les phases oniriques de Batman : Arkham City, entre Batman et Ra’s al Ghul lors de combats de boss. En ce sens, on ne joue pas à une copie d’un jeu Batman mais bel et bien à un jeu vidéo Spider-Man. Maintenant, un jeu Spider-Man a certes besoin d’un bon gameplay mais il faut plus, beaucoup plus. Insomniac Games l’a compris et le fait.
Peter Parker et Spider-Man : quelle identité ?
D’un point de vue technique, le jeu fonctionne mais son gameplay est en réalité le signe qu’Insomniac Games a compris ce qu’est et qui est Spider-Man. Tout le gameplay est habillé par un scénario, des situations, des quêtes annexes, des crimes à arrêter, des défis, des éléments à retrouver, bref, une prolifération de différentes activités qui vont nous permettre de voir Spider-Man évoluer. Pardon. Qui vont nous permettre de voir Peter Parker évoluer. Tout comme Sam Raimi dans son magnifique Spider-Man 2, le studio a compris que l’intérêt d’un personnage comme Spider-Man ne reposait pas seulement dans son statut de héros mais dans l’enjeu que représente l’héroïsme pour un personnage comme Peter Parker. Cette question n’est pas nouvelle et les comics ne cessent de la traiter. Par exemple, la parution de The Amazing Spider-Man en comics lance un nouveau run aux USA depuis Septembre, en commençant par un récit qui voit Peter Parker se dédoubler. Le clone adopte le caractère de Spider-Man quand l’original conserve le tempérament de Peter Parker. Le récit évolue dans une réflexion sur l’identité et montre à quel point Spider-Man et Peter Parker sont deux entités interdépendantes. On voit notamment Spider-Man passer des contrats commerciaux pour faire de la publicité et utiliser un robot géant destructeur pour faire régner l’ordre à New York. Il apparaît alors comme un être déresponsabilisé qui en vient même à mettre la vie de Peter Parker en danger.

Insomniac Games semble avoir parfaitement compris cette question et propose véritablement de se focaliser sur Peter Parker, qui, au début du jeu, travaille avec le Docteur Otto Octavius en tant que scientifique. Cette volonté de se focaliser sur des personnages qui ne sont pas que des héros donne lieu à des phases de gameplay où l’on incarne Mary-Jane Watson ou Miles Morales (un simple adolescent dans le jeu que les fans connaissent plus pour être un autre Spider-Man). Plus largement, le scénario est pensé pour aller dans ce sens puisque la vie privée de Peter Parker vient toujours croiser la « vie » de Spider-Man. Finalement, le jeu tâche de donner une épaisseur au super-héros, en montrant sa complexité, littéralement. Ainsi, les petites blagues que lance le tisseur à des criminels n’est pas qu’un détail rigolo, elles participent réellement au développement d’une personnalité. Le scénario mais aussi les quêtes annexes revêtent cette démarche intimiste. On a, par exemple, la possibilité de récupérer des sacs à dos que Peter a entoilé partout dans New York toutes les fois où il a dû mettre son costume de héros ou bien les quêtes autour de La Chatte Noire, personnage qui a pour particularité d’avoir littéralement été la petite amie de Spider-Man (et pas de Peter Parker). Tout converge pour surtout montrer ce qu’il y a de Peter Parker en Spider-Man, question essentielle puisque l’on attend plutôt instinctivement d’un jeu vidéo Spider-Man de toujours jouer un personnage en costume rouge et bleu. Cette finesse de traitement semble volontaire de la part du studio de développement et on peut le constater dans la structure du scénario.

La première partie du jeu pose comme adversaire Mr. Negative, vilain peu connu du grand public. Tout d’abord, l’on apprend, assez tragiquement, que Mr. Negative est en réalité Martin Li, philanthrope pour lequel travail Tante May, la tante et mère de substitution de Peter. Le moment pivot de cette première partie se déroule à Ground Central, lieu choisi par Mr. Negative pour faire du chantage à la bombe, avec une prise d’otages. Cette prise d’otages donne lieu à deux phases de jeu. La première voit la collaboration de Mary-Jane et de Peter, en Spider-Man, que l’on incarne successivement, afin d’éliminer un maximum de sbires et de sauver les otages. Je dis bien Peter parce que la présence de Mary-Jane efface le masque de Spider-Man pour faire apparaître le visage de Peter Parker. Suit la seconde phase de jeu, dans laquelle on affronte Mr. Negative dans un métro, de nouveau un clin d’oeil à Spider-Man 2. Je parle ici de moment pivot parce que, en y jouant, on sent que le jeu avance jusqu’à cet instant, on y est préparé mais cela reste assez déstabilisant parce que tout ressemble à une fin sans en être une. Effectivement, une fois Mr. Negative vaincu, on se demande bien ce qui va suivre, j’ai même failli croire que le jeu aller se terminer comme ça. Quelle erreur !

En réalité, cette phase de jeu à Ground Central et le combat contre Mr. Negative n’est que le début du jeu. Cette première partie prépare le terrain en montrant à quel point la vie de Peter Parker et celle de Spider-Man sont liées. C’est ce lien qui va déterminer toute la direction du scénario puisque, progressivement, on apprend que Mr. Negative veut se venger de Norman Osborn à cause d’une affaire qui concerne aussi le Docteur Otto Octavius, qui bascule progressivement pour devenir le fameux Docteur Octopus, cherchant lui aussi à se venger de Norman Osborn. Tout semble véritablement tourner autour de Peter Parker et le jeu le fait assez subtilement, d’autant plus que les transitions se font très bien entre les phases Peter et les phases Spider-Man. Cette question d’identité atteint son paroxysme avec la fin du jeu, tout bonnement incroyable, à tout point de vue.
Afin d’éviter tout spoiler d’ampleur, j’aborderai tout cela dans la seconde partie de cet article, qui se focalisera sur la fin et le traitement de la difficulté du jeu.
Crédits : Paul Bowen ; Raffu ; Grihan Plays ; Raphael Bonelli ; Paulus_NL ; Mika Lastname ; Insomniac Games ; Sony Interactive Entertainment
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