Les années 1980-90 c’est le disco, la guerre du Liban, Furby, la chute de l’URSS, les boys band, mais c’est aussi la Super Nintendo, la PlayStation et la Game Boy Color. Ces nouvelles consoles ont permis l’apparition d’histoires dont on était les héros, et ces jeux tout neufs, ils sentaient bon le propre et la technologie. Tandis que chaque pays se réformait dans son coin, le monde (enfin d’abord le Japon et les États-Unis) s’harmonisait autour d’une seule révolution : celle du jeu vidéo. Des gloires éphémères aux grands noms, on préfère les séries qui ont traversé les générations : on vous dit lesquelles, pourquoi et comment.
Spyro, la trilogie originale
Vous vous rappelez le petit dragon violet ? Mais si, la petite chose à l’allure d’un polygone bondissant et crachant du feu sur la toute première PlayStation ! Pour les plus jeunes, c’est l’un des très nombreux Skylanders et pour les plus vieux (mais pas trop non plus), c’est une icône du jeu vidéo, au même titre que Crash Bandicoot, et pas loin de Mario et Sonic (à quelques reboot près).

On se contentera ici de l’immense trilogie originale de Spyro, parue entre 1998 et 2000. Elle a été créée par le studio américain Insomniac Games, dont seulement six membres ont conçu le tout premier volet Spyro the Dragon (pour donner un ordre d’idées, un seul animateur a animé tous les personnages du jeu, imaginez faire cela aujourd’hui. Oui. C’est impossible.). C’est le studio qui a produit ensuite Ratchet and Clank et beaucoup plus récemment Marvel’s Spiderman. À l’époque, ils viennent de sortir un FPS (Disruptor, 1996) et cherchent à proposer un jeu dans l’air du temps. La démocratisation des consoles a entraîné la baisse de leur prix, qui a aussi mené à une baisse de l’âge des joueurs : une aubaine pour les développeurs qui ont vu se créer autour d’eux plusieurs autres mascottes comme Mario, Sonic et Crash. Ils produisent alors trois jeux, en l’espace de trois ans. Un premier exploit !
Le premier, intitulé Spyro the Dragon, se situe dans le Monde des Dragons. Le très méchant Gnasty Gnorc transforme en statue de cristal tous les dragons parce qu’ils l’ont traité de « moche » à la télévision. Spyro, et la libellule Sparx (qui sert d’indicateur de PV au joueur) parcourt alors les différents mondes pour libérer les dragons et récupérer leurs œufs.
Dans le deuxième volet, Spyro : Ripto’s Rage (ou pour les Américains pas trop adeptes de la violence Gateway to Glimmer), on suit Spyro, qui, au lieu de partir se prélasser au soleil, se retrouve à Avalar, un autre monde magique qu’il doit sauver du dictateur Ripto. L’équipe d’Insomniac a affirmé avoir décidé d’oublier toutes les règles qu’ils s’étaient instaurées jusqu’à présent, et repartir de zéro. On quitte donc le principe de collecte d’items, le joueur doit maintenant accomplir des tâches spécifiques à chaque monde, chacune dans le thème : plus de 40 mini-jeux en tout. Une centaine de nouveaux personnages sont introduits pour l’occasion.
Enfin, dans le dernier jeu de la trilogie, Spyro : Year of the Dragon (sorti l’année chinoise du dragon : coïncidence ?), l’histoire s’étend aux confins du Monde des Dragons, à la recherche des œufs volés par la Sorcière, et sa mauvaise apprentie le lapin Bianca. Le joueur incarne également d’autres personnages, en plus de Spyro, comme Sheila le kangourou ; le Sergent James Byrd, pingouin et chef du mouvement de résistance des colibris ; Bentley, yéti au grand cœur ; et l’Agent 9, chimpanzé de laboratoire.
Le héros : Spyro, le dragon violet
Si les développeurs d’Insomniac Games savaient qu’ils voulaient s’adresser aux plus jeunes, l’élaboration de tout le personnage de Spyro ne s’est pas faite sans mal.
Tout d’abord, pourquoi un dragon ? Au-delà de l’amour porté pour ces animaux fictifs par l’un des dirigeants artistiques d’Insomniac, c’est une créature qui propose beaucoup d’options de gameplay : sauter, voler, cracher du feu etc.
Pourquoi violet ? Il a d’abord été conçu vert mais cela le rendait difficile à voir au milieu de l’herbe, très présente dans tous les niveaux. Plus d’une douzaine de couleurs ont été essayées avant de finalement arriver sur le violet, pour plusieurs raisons : Spyro se détache parfaitement de l’herbe, cela le distingue des autres mascottes de l’époque, l’on peut voir facilement les détails, et enfin, c’est tout simplement une couleur fun, élément très important dans toute la conception du jeu. Les développeurs cherchaient à créer un personnage qui soit à la fois cool et espiègle (c’est-à-dire une combinaison entre les autres figures du jeu vidéo comme Mario et Sonic). Cela se ressent particulièrement bien dans ses répliques, ses rapports aux ennemis qu’il regarde souvent avec moquerie et sans avoir peur de les énerver. Par ailleurs, ils pencheront tellement du côté espiègle pour le premier jeu qu’il deviendra plus agréable dans le second à la demande des joueurs.
Enfin, pourquoi « Spyro » ? Le premier nom choisi était Pete, mais cela se rapprochait trop du film Disney Pete’s Dragon (1977 : alors Pete ce n’est pas le nom du dragon mais du garçon, le dragon c’est Elliott, c’est une situation Zelda/Link pour les deux du fond). « Pyro » a également été proposé mais considéré comme trop abrupt et mature. Il leur faudra plusieurs mois pour choisir le nom que l’on connaît, et encore quelques autres pour s’y adapter. L’ajout du s- devant permet de combiner la racine grec pyro qui signifie feu, et le verbe latin spiro, qui signifie souffler. Or notre dragon…crache du feu !

Du personnage découle ensuite plusieurs particularités du jeu global : si l’on recherche des gemmes, c’est parce qu’il est connu et admis que les dragons aiment l’or et les joyaux. Sa couleur s’incorporait dans ce que les développeurs recherchaient déjà dans les niveaux : « a bright saturated world », comme l’explique l’un d’entre eux dans des interviews de l’époque, sans être pour autant trop « cartoony ». Cela a permis aussi de briser, dès le premier jeu, le principe courant à l’époque des mondes/niveaux à thème comme feu, eau, glace etc. mais proposer au contraire des univers plus précis comme celui des machinistes, des pâturages etc. Ils sont ensuite liés entre eux par des motifs récurrents comme la famille d’aéronautes qui permet à Spyro de voyager entre les mondes. Le premier volet s’ouvre également d’une manière atypique et donc unique : une interview télévisée des dragons. Pourquoi pas. Cela a eu le mérite de marquer les esprits !
Finalement, par toutes les possibilités de gameplay offertes par cette nouvelle mascotte, Insomniac va réussir à créer une merveille technologique dans les trois jeux.
Le gameplay : une petite révolution
Tout d’abord, tous les codes du jeu sont entièrement tapés à la main, simplement pour rappeler l’immensité du travail que cela représentait à l’époque. Mais surtout, l’une des premières caractéristiques d’un dragon, c’est sa capacité à voler : une mine d’or pour le gameplay, si l’on est capable de le rendre en jeu. Ce que l’équipe de développeurs a réussi avec brio. Dès le premier volet, le joueur est capable de planer absolument partout sur la carte. Les mouvements ne sont pas du tout limités, ce qui change complètement la conception du jeu, à la fois pour l’équipe, mais aussi et surtout pour ceux avec la manette dans les mains. Tant de possibilités d’exploration ! Dans les mondes ouverts (même si petits par rapport à ceux actuels), l’on peut tout explorer et alors accéder à des endroits cachés, placés spécialement là pour nous donner envie de trouver la moindre gemme. À une distance apparemment inatteignable, les développeurs se sont assurés de nous permettre de parvenir jusqu’à chaque recoin. Si la sensation de planer est aussi bien réussie dans le jeu, c’est notamment parce que les membres ont fait appel à un ingénieur en aérospatiale de la NASA pour les aider.

Pour accompagner cette technologie, adieu les flous qui dissimulent l’horizon et qui se soulèvent quand on s’en approche. Toute la carte est visible lorsque Spyro plane, ce qui était encore une révolution technologique : une visibilité infinie tout en conservant les détails de près. Le réglage de la caméra automatique a été compliqué pour les équipes, celle-ci avait tendance à tourner en rond autour du personnage sans se stabiliser, de quoi donner le tournis. Mais ils sont parvenus à la calibrer très vite : on ne retrouve aucune trace de ces problèmes, même dans le premier jeu. Enfin, qui dit endroits cachés, dit gemme. Car comme on l’a dit, les dragons adorent les joyaux. Pour pouvoir trouver ces précieux cailloux et leurs cachettes, il fallait pouvoir deviner leur emplacement. C’est pourquoi le scintillement de la gemme est visible de partout, que ce soit au sol ou en vol. Même si le joyau n’a pas la taille d’un pixel à l’écran, son petit éclat peut être vu de n’importe où sur la carte.
Le premier challenge que se sont donnés les développeurs, avant même de commencer le jeu, était de créer un jeu de plateforme 3D dans lequel les ennemis interagissent avec le joueur, ce qui n’avait encore jamais été fait. Jusqu’à présent, les bots suivaient un chemin prédéfini, que le joueur pouvait d’ailleurs parfois habilement éviter et ainsi gagner du temps, ou bien étaient même statiques. Plus de cela ici ! L’équipe est parvenue au bout de son idée. Les ennemis agissent entièrement en fonction du joueur, et de manière variée qui plus est. Certains visent Spyro en lui fonçant dessus, d’autres attendent qu’ils s’approchent pour mieux l’écraser, et certains le fuient même (petite joie alors dans la chasse aux ennemis dans le monde, car chaque bot éliminé est comptabilisé pour permettre d’activer des bonus pour atteindre encore d’autres mini-jeux cachés : let the hunt begin).

Cerise sur le gâteau, les écrans de chargement ennuyeux et toujours très longs à l’époque sont remplacés par des phases de vol statiques, légèrement plus interactives que d’ordinaire (le joueur peut faire cracher du feu au dragon violet, et contrôler certains mouvements). Pour le milieu des années 90, date à laquelle le premier Spyro est conçu, toutes ces caractéristiques sont des innovations.
La postérité : une « reignition »
En trois années, Spyro a immédiatement réussi à s’imposer comme un des grands pontes du jeu vidéo : le premier volet s’est vendu à cinq millions d’exemplaires, et les deux suivants à plus de 3,5 millions chacun. En 2002, Insomniac Games produit une version réunissant les trois jeux : Spyro Collector’s Edition. Mais le plus intéressant, c’est la refonte du jeu pour les nouvelles consoles de la huitième génération (PS4, Xbox One) mais aussi PC et finalement, la Nintendo Switch. Pour cette occasion, cette « reignition » (on apprécie le jeu de mot) nous propose les trois volets originaux, entièrement remis à neuf. Comme il n’existait pas de code source, les développeurs ont dû reconstruire entièrement les trois jeux, avec, pour seule référence, leur propre expérience de joueur. Sans conteste, cette réédition est une réussite. L’ambiance « cartoony » est présente et on retrouve une certaine insolence et espièglerie du petit héros violet. Quelle nostalgie de retrouver tous les ennemis mais aussi tous les PNJ, avec des rondeurs et bien en chair.
Le gameplay, bien qu’adapté aux consoles modernes, reste sensiblement identique et on retrouve le même esprit que dans les originaux lorsqu’on parcourt les différents mondes. On se confronte donc avec plaisir à plus de quatre-cents personnages et une centaine d’ennemis différents. Le jeu a su résister à l’épreuve du temps, l’un des développeurs le dit lui-même : la réussite de Spyro tient au sentiment d’être véritablement un dragon, à l’exploration (presque) sans fin des niveaux et à la possibilité de parcourir les mondes en long, en large et en travers. En tant que joueuse de la première heure, je ne peux qu’approuver : le rendu est si proche de l’original que je me suis amusée à faire rejouer les cinématiques et énervée dans les niveaux face auxquels je bloquais déjà 15 ans plus tôt ! Petit frisson enfin quand on réentend la bande-originale. Stewart Copeland, batteur et fondateur de The Police, avait composé les musiques de la trilogie, et il est également à l’origine du thème principal remis au goût du jour de la reignited trilogy. Cependant, dans cette nouvelle édition, en plus des mélodies originales, la musique évolue en fonction des actions du joueur (la charge, le planage etc.)
Le jeu Spyro s’est construit en série par sa trilogie originale, mais aussi par ses nombreuses rééditions au fil des années, qui ont à chaque fois révolutionné l’univers du dragon violet, pour le meilleur et pour le pire : de la seconde trilogie The Legend of Spyro, qui offrait des possibilités de combat plus étendues avec notamment des souffles de différents éléments (glace, foudre etc.) au monde des Skylanders dans lequel Spyro n’a qu’une place réduite (et un design qui ne fait pas vraiment l’unanimité et pour cause). Cependant, les trois jeux originaux restent dans le cœur de nombreux joueurs l’essence même du dragon violet. Ils continuent aujourd’hui à plaire, comme le démontre la réussite de la « reignited trilogy » avec un million d’exemplaires vendus seulement la première semaine. Au-delà des chiffres, Spyro est l’un de ses jeux qui a pu traverser les générations, les séduisant toutes grâce à ce petit dragon violet.
Crédits : Universal Interactive ; Sony Computer Entertainment ; Konami ; Videndi Universal Games ; Sierra ; Activision