Le secret de la cité perdue : Déterrer les momies

Critique du film Le secret de la cité perdue (2022) de Aaron et Adam Nee

Il serait facile de réduire Le secret de la cité perdue à une tentative désespérée de résurrection d’un genre hollywoodien depuis longtemps poussiéreux, où le récit d’aventure ne pouvait être dissocié de la romance, pour ne pas dire de la comédie romantique. De À la poursuite du diamant vert (Romancing the stone, Robert Zemeckis, 1984) à La Momie (The Mummy, Stephen Sommers, 1999) en passant par 6 jours, 7 nuits (Six Days Seven Night, Ivan Reitman, 1988), ce genre s’est profondément épuisé, les films réitérant sans cesse des situations narratives similaires malgré, ici et là, quelques fulgurances visuelles – particulièrement du côté de Stephen Sommers, il faut le reconnaître. Et ce ne sont pas certaines œuvres récentes, s’inscrivant de façon plus ou moins éloignée dans cette étonnante généalogie comme Voyage au centre de la Terre 2 : L’Île mystérieuse (Journey 2 : The Mysterious Island, Brad Peyton, 2012) ou encore Uncharted (Ruben Fleischer, 2022), qui parviennent à en redynamiser la source. Depuis longtemps, la machine tourne à vide, ensevelie, n’attendant peut-être pas d’être déterrée.

La Momie (The Mummy, Stephen Sommers, 1999)

Certes, le prologue de La cité perdue, envisagé à l’aune de ces considérations, est loin d’être réjouissant. Loretta (Sandra Bullock), ancienne chercheuse en archéologie et désormais auteure de romans érotiques ne se remettant pas de la mort de son mari, est enlevée par Abigail Fairfax (Daniel Radcliffe), milliardaire et archéologue amateur. Il conduit l’écrivaine sur une île de l’Atlantique pour la contraindre à trouver le trésor d’une cité perdue qui faisait l’objet de son dernier roman. Sans doute plus stupide que téméraire, Alan (Channing Tatum), le mannequin ayant posé pour toutes les couvertures de ses livres, se met en tête de monter une mission de sauvetage. Jusqu’ici, le film s’impose comme une énième réécriture de À la poursuite du diamant vert, Le secret de la cité perdue empruntant grossièrement à l’œuvre de Robert Zemeckis certains de ses motifs : l’écrivaine qui se retrouve dans la jungle et le trésor à y récupérer (à ceci près que le diamant est troqué contre une coiffe ornée de centaines de pierres précieuses).

Pourtant, lorsque Alan arrive sur l’île, quelque chose d’étonnant se produit. Tout juste débarqué de son avion, il traîne sa valise nonchalamment et les plans révèlent son accoutrement, des plus surprenant et aberrant : un repose nuque encore placé autour du cou, un masque de sommeil relevé sur le front, un sweat aux motifs vaguement militaires, sans oublier les indispensables airpods. Le regard perçant, Alan est aux aguets, à la recherche de celui qui a accepté de le soutenir dans sa quête : Jack Trainer (Brad Pitt), une vague connaissance rencontrée lors d’un cours de méditation, qui a la particularité de posséder de nombreuses compétences de commando. Un contrechamp le révèle derrière des passants, adossé au pilier d’une bâtisse. Encore une fois, l’étonnement est de rigueur. Le personnage interprété par Brad Pitt est mal rasé, a les cheveux longs, crasseux, et porte des dreadlocks. Le ralenti de l’image et l’intervention d’une musique extradiégétique ne font alors qu’accentuer l’absurdité d’une telle apparition. Les réalisateurs Aaron et Adam Nee, de cette manière, choisissent d’aborder radicalement un genre presque oublié par le prisme du ridicule.

Le secret de la cité perdue (The Lost City, Aaron et Adam Nee, 2022)

Il y a alors quelque chose de généreusement parodique qui se joue dans Le secret de la cité perdue et se traduit par des aberrations venant à de nombreuses reprises désamorcer des situations bien connues. Lorsque Jack Trainer s’infiltre dans le camp de mercenaires employés par Abigail Fairfax dans le but de venir en aide à Loretta, il est suivi de près par Alan, alors qu’il lui avait pourtant défendu de le faire. S’engage alors un jeu opposant le vétéran et le mannequin totalement inexpérimenté. Le premier saute sans peine au-dessus d’une barrière bien trop haute, multiplie roulades et glissades, assomme ses adversaires, escalade rapidement un palmier avant de sauter sur un toit, tandis que le second se mange des feuillages en plein visage, distribue des gifles ridicules à des mercenaires déjà inconscients ou s’écrase honteusement sur le sol après avoir tenté de suivre Jack sur le toit. Il faut alors voir Alan surgir du haut du cadre avant de s’étaler grossièrement, le plan n’étant finalement qu’au service de l’exhibition d’un ultime échec.

Ainsi, l’enjeu de la séquence d’infiltration, à savoir mettre la mise en scène au service de la discrétion des protagonistes qui ne perdent jamais de vue l’objectif de leur mission – un tel cliché trouvant ses exemples les plus éloquents dans les récents films de la saga Mission : Impossible –, est ici totalement évité. Ce qui prédomine, ce n’est plus le sauvetage de Sandra Bullock et son éventuelle réussite, mais bien les innombrables mimiques proposées par Channing Tatum et Brad Pitt qui mettent leurs corps au service de quelque chose qui les excède. Le caractère viril et intrépide des récents rôles de Brad Pitt (Once Upon a Time in Hollywood, Quentin Tarantino, 2019 ; Ad Astra, James Gray, 2019) est exacerbé, poussé à outrance, tandis que Channing Tatum ne semble pas du tout maîtriser son enveloppe corporelle, chancelant et ne sachant jamais comment agir. Le duo d’acteurs, à la surprise générale, ressuscite le burlesque d’un Laurel et Hardy : Pitt extériorise une énergie finissant par tout contaminer tandis que Tatum intériorise tout et subit aussi bien la situation que les actes de son camarade.

La parodie se retrouve également lorsqu’il s’agit de mettre en scène une course-poursuite. Moins que la finalité, ce sont les exploits qui sont au centre des séquences de course-poursuite hollywoodiennes contemporaines, lesquels atteignent parfois des points de non-retour – la voiture qui bondit d’un immeuble à l’autre dans Fast and Furious 7 (James Wan, 2015). Or, dans Le secret de la cité perdue, quand Alan tente de semer les mercenaires, c’est à bord d’une voiture sans permis qu’il lance à travers la jungle. Bien qu’il soit poursuivi par de nombreux tueurs, une nouvelle fois, l’enjeu de la situation frappe moins que son aberration. Ainsi Channing Tatum file à vive allure sur des sentiers au bord du vide, tandis qu’à l’arrière du véhicule Sandra Bullock – sauvée de justesse – est encore attachée à une chaise de camping, placée de telle sorte que la longueur de ses jambes empêche la portière arrière-droite de se fermer complètement.

Le secret de la cité perdue (The Lost City, Aaron et Adam Nee, 2022)

Mais là où Aaron et Adam Nee s’illustrent davantage dans leur approche du ridicule, c’est plus précisément dans l’attention qu’ils donnent aux corps de leurs personnages – la séquence d’infiltration n’étant qu’un premier aperçu de toute leur inventivité. Sandra Bullock passe la plus grande partie du film dans une robe à paillette rose beaucoup trop serrée pour elle. Lorsqu’elle se déplace, elle n’est jamais complètement maîtresse de ses mouvements, chancèle à plusieurs reprises à travers la jungle dans laquelle elle se retrouve propulsée avec Channing Tatum, les réalisateurs allant jusqu’à épuiser cette perturbation : lorsqu’elle se réveille dans le jet privé de Fairfax, encore sous les effets du chloroforme, elle veut se mettre debout mais ne fait rien d’autre que chuter, ne parvenant même plus à bouger – « mon corps se sent ivre », déclame-t-elle. Il en va de même pour le corps de Channing Tatum, en permanence ridiculisé, désacralisé, désormais bien loin de celui des films de Steven Soderbergh. Ainsi, si Alan n’ose pas dans un premier temps traverser une rivière, c’est parce que l’eau finit par le recouvrir d’eczéma – sans parler des sangsues qui viendront se greffer sur son dos et ses fesses. Pour le soigner, Loretta lui appliquera des masques pour le visage sur le dos. Un plan finit alors par dévoiler celui-ci, recouvert de lambeaux cosmétiques prenant la forme de visages humains.

Le secret de la cité perdue (The Lost City, Aaron et Adam Nee, 2022)

Une telle attention donnée aux corps dans un film hollywoodien est extrêmement réjouissant. Il faut dire qu’aujourd’hui, à Hollywood, le corps a une fâcheuse tendance à ne plus primer à l’image, remplacé par des effets numériques – le costume de Tony Stark dans Avengers : Infinity War et Avengers : Endgame ne nous laisse finalement à voir que le visage de Robert Downey Jr – ou disparaissant carrément sous des costumes, souvent créés numériquement eux-aussi. Il suffit de penser aux derniers films de la saga Spider-Man ou au travail d’Andy Serkis. Même dans le récent Un Talent en or massif (The Unbearable Weight of Massive Talent, Tom Gormican, 2022), le doppelgänger de Nick Cage n’est finalement qu’un Nicolas Cage rajeuni numériquement. Si nous devions reformuler les choses, nous pourrions par conséquent affirmer que le corps s’évanouit progressivement, dans le système hollywoodien contemporain, durant l’étape de la post-production.

Un Talent en or massif (The Unbearable Weight of Massive Talent, Tom Gormican, 2022)

Ainsi, dans Le secret de la cité perdue, Aaron et Adam Nee, par le prisme du ridicule, font resurgir les corps des acteurs dans un système ayant tendance à les enfouir. C’est pourquoi nous leur pardonnons de sombrer dans les clichés qu’ils parodiaient dans un premier temps. Certes, lorsque Sandra Bullock échange sa robe pailletée contre un vêtement traditionnel la faisant ressembler à l’héroïne de ses romans, le film tombe dans la pataude comédie romantique où tout n’est malheureusement plus que niaiseries – un baiser sur la plage en guise de conclusion. Mais ce n’est que pour mieux nous rappeler ces films oubliés auxquels Le secret de la cité perdue rend sincèrement hommage, déterrant des momies dans le seul but de leur ériger un nouveau tombeau.

Le secret de la cité perdue (The Lost City, Aaron et Adam Nee, 2022)

Crédits : Universal Pictures, Paramount Pictures Studios et Lionsgate Films.

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