Nouvelle Ecole : Le redoublement ?

Critique de la série Nouvelle Ecole, disponible sur Netflix depuis le 9 juin 2022

Le 9 juin dernier, Netflix démarrait la diffusion de Nouvelle Ecole, une émission de compétition musicale autour du rap, avec, comme jury, Niska, SCH et Shay. Comme pourrait le laisser entendre son nom, ce programme s’inscrit dans la veine d’une Nouvelle Star. Au-delà du thème musical, l’émission copie aussi beaucoup la structure du célèbre télé-crochet d’M6, en mettant l’accent sur un enchaînement d’épreuves sous pression, après une phase d’auditions.

Au cœur de Nouvelle Ecole, la volonté de trouver LA nouvelle pépite du rap francophone, l’élixir comme dirait SCH. L’émission veut nous offrir une vraie expérience de rap, avec des performances scéniques et des styles variés mais aussi des battles ou des clips. Sans surprise, le mastodonte du streaming cherche à élargir son audience en partant à la conquête du milieu hip-hop francophone. Entre nouveaux talents, jurys célèbres, participations d’autres grands noms, culte de la performance et de la compétition, tout, sur le papier, semblait réuni pour ajouter au catalogue de Netflix un programme au moins divertissant.

Malheureusement, dans le meilleur des cas, regarder Nouvelle Ecole se résume à de grands moments de gêne et d’incompréhension. Dans le pire des cas, on peut véritablement parler d’un programme qui fait honte à la culture hip-hop.

Organiser une compétition

La communication de Netflix autour de la série se concentrait sur le jury et, plus particulièrement, le fait que Niska, SCH et Shay sélectionnaient des talents de leur ville natale, motivant ainsi déjà une forme de compétition territoriale. Cela reposait aussi sur un enjeu musical puisque certaines personnes distinguent bien, souvent à raison, un rap de la région parisienne, un rap de la région marseillaise et un rap précisément bruxellois.

Disons le tout de suite, cet élément de communication n’a pas vraiment de réalité dans l’émission. C’est déjà le péché originel de Nouvelle Ecole. On comprend dès le premier épisode que les jurys vont dans leur ville écouter des artistes de la scène locale. On ne sait pas vraiment comment ces artistes sont sélectionnés. Surtout, cette première étape permet en réalité de faire accéder ces personnes aux véritables auditions. Dès les premières minutes de la série, on ne comprend absolument pas le principe de ces « pré-auditions ».

Lors des auditions à Paris, la confusion continue. Les artistes se succèdent et les critiques du jury avec. Critiques souvent très peu développées, qui peuvent se résumer à « J’aime bien », « J’aime pas », « J’adore ». Contrairement à la Nouvelle Star, aucun véritable moment de délibération n’est mis en scène. Plus étrange encore, la décision est annoncée par un membre du jury uniquement, après quelques critiques ou remarques adressées à l’artiste. On ne sait jamais si la décision est collective ou individuelle ni même sur quels critères elle repose. Cela fait régner une sorte de chaos généralisé qui ne permet pas de s’investir dans la compétition. Symptôme de ce phénomène l’élimination de Ben_PLG, qui a déclenché une vague d’indignation ainsi qu’un morceau du rappeur, qui reprend l’esthétique Netflix. Au sein de l’émission, difficile en effet de comprendre le choix de Shay alors même qu’une séquence de présentation est consacrée à Ben_PLG pour saluer son engagement et son professionnalisme, face à un Myra repêché in extremis, manquant encore de confiance.

L’émission ne sait pas créer un cadre rassurant pour son audience. L’absence de voix-off, pourtant désormais très présente dans les émissions de télé-réalité à compétition collective françaises, ne permet pas de nous accompagner sereinement dans le déroulement des épreuves. Pourtant, cette absence de voix-off et d’animation ne pose pas problème dans la version originale de la série, Rhythm + Flow, toujours produite par Netflix et se passant aux Etats-Unis. Comment expliquer cela ? Nouvelle Ecole est un programme qui ne sait pas ce qu’est le hip-hop, ne s’en préoccupe pas et n’arrive donc pas à mettre en valeur cette culture.

On ressent clairement cela dans la manière dont sont présentées les décisions du jury. Le fait de présenter à l’écran des critiques peu travaillées et des décisions aux critères aléatoires discréditent les artistes dans leur art. Le jury nous apparaît comme des personnes qui ne sont pas fiables, qui n’ont pas vraiment de direction ni même de personnalité, ce qui relève de l’exploit quand on parle de SCH ou de Shay.

On retrouve le même problème avec tous les artistes invités à participer à l’émission. Jul, sans doute un des plus grands noms de la scène rap francophone actuelle, passe à la va-vite aider SCH pour les auditions à Marseille mais ne se distingue absolument pas, faisant plutôt acte de présence.

Audition de STLR avec SCH et Jul

Lors de l’épisode des featurings, des grands noms comme Hamza font presque de la figuration dans l’émission, tant il n’apparaît à l’écran que sur une courte durée pour faire un morceau. De même, quand Youssoupha intervient dans l’épisode des battles pour donner des conseils, rien ne transparaît de sa compétence dans ce domaine, alors qu’on insiste sur le fait qu’il pèse dans le game.

Youssoupha intervient pour l’épreuve des battles

Au début de la série, la succession de noms célèbres qui passent à l’écran m’a interpellé. Le programme donnait l’impression qu’il ne s’agissait pas de s’attarder sur ces artistes connus précisément parce que leur art, leur univers, leur compétence, leur réputation étaient déjà trop importantes pour être commentées. En réalité, la production de l’émission croit, à tort, que ce qui compte, c’est simplement de faire du name-dropping et des apparitions pour se donner un « genre » hip-hop. Dans la continuité de l’approche de Netflix pour ses fictions, la production de Nouvelle Ecole croit qu’il suffit de dire alors qu’il faut montrer. Dans cette série, la culture hip-hop n’existe que par les mots, jamais par l’image.

Choix du jury lors de la demi-finale

Où est le hip-hop ?

La version américaine de Nouvelle Ecole repose à peu près sur la même structure et le même fonctionnement. Pourtant, celle-ci prend plus de temps et de soin à présenter des artistes, à aller dans le détail, en s’attardant notamment sur le rapport des artistes à leur ville. Dans la saison 1, quand une candidate indique venir du quartier « Est Atlanta » d’Atlanta, T.I demande pour préciser s’il s’agit de la « Zone 6 », quartier particulièrement défavorisé. On sent qu’il y a un lien, la volonté d’un échange, une culture commune et que le jury est là pour partager cette culture commune. Le montage semble ainsi arriver à soutenir cet idée de lien, avec du rythme, des plans plutôt intelligents sur des réactions, des échanges, des rictus.

T.I, Cardi B et Chance The Rapper dans Rythm + Flow

Dans Nouvelle Ecole, rien ne transparaît clairement. On invite des Jacky Brown ou des Driver, qui sont de véritable piliers de la culture hip-hop francophone en les laissant complètement de côté. Plus généralement, la salle où se déroule les épreuves est particulièrement lisse. Quelques néons sont posés en fond de scène, histoire de faire un minimum d’habillage.

Les plans sont très souvent serrés, se concentrant sur le visage des candidats et candidates, ne permettant que très rarement de leur donner une existence sur scène. Au mieux, la politique du moindre effort se contente de multiplier les plans débullés, cliché très fatigué des clips de rap. La salle, assez petite en terme de superficie, donne l’impression que tout le monde est très serré, qu’il s’agisse du jury ou du public.

Le public est d’ailleurs symptomatique de réunions de production désastreuses puisqu’il a été décidé de l’affubler de bandanas type « gang » recouvrant la bouche et le nez. Cette idée montre bien l’association entre culture hip-hop et crime mais aussi l’idée que le public n’est qu’une masse d’individus invisibles qui n’intéressent que pour leur consommation et une réaction impersonnelle. Cette décision esthétique des bandanas est incompréhensible en particulier dès lors que la version américaine s’attarde souvent sur le lien entre les artistes et le public mais aussi, par quelques plans, sur ce que vit le public pendant les prestations.

Le public, masqué

Dans Nouvelle Ecole, la présence du public devient parfaitement anecdotique et ne suit pas de règles établies, comme toute l’émission finalement. Parfois le public est présent, parfois il est absent, comme dans l’épisode de réalisation de clip, parfois il est au cœur de l’épreuve, comme pour l’épisode des featurings sur scène.

Dans l’ensemble, l’absence de mise en scène crée une sorte de malaise en regardant la série. Celle-ci étant un concours qui se veut exigeant, réclamant des compétences d’écriture, d’exécution, de présence scénique, de direction artistique, on pourrait avoir l’impression que le hip-hop et le rap sont au cœur de la série. Pourtant, à l’image, il n’en est rien, tout est au mieux standard, au pire sans forme et sans saveur. Notons toutefois que l’absence de mise en scène a parfois son utilité. Ainsi, les passages de confessions des artistes sont très souvent filmés sur le vif, caméra à l’épaule et ne semblent pas avoir été préparés, tournés et retournés, contrairement à la version américaine. On touche ainsi seulement lors de ces séquences à une sorte d’authenticité.

Naza en featuring avec Leys

Là où le bât blesse vraiment, c’est le niveau des prestations. Si, dans l’ensemble, les artistes sélectionnés arrivent à proposer quelque chose, les personnes en difficulté sont plus nombreuses que celles qui se distinguent. Il ne s’agit pas de faire la liste des problèmes ou un classement personnel des prestations. Notons simplement que les ratés sont constants, voire mis en valeur au sein des épisodes, sans doute pour créer de la réaction. Le problème n’est pas forcément la qualité des performances mais la mise en scène de ces échecs.

Naimless, qui rate sa partie dans l’épisode 4

Entre Fresh la Pefra qui doit se reprendre à l’épisode 1, RyanR qui oublie ses paroles à l’épisode 4 ou Leys qui ne tient pas toute la prestation en featuring avec Naza à l’épisode 7, toute la série ne marque que par un niveau qui stagne. Cette stagnation est notable surtout dans les réactions (non-)critiques des jurys. À l’épisode 1, Naimless dit au jury « J’aurais pu mieux faire » et Niska lui répond « Juste pour ça, on va te garder ». Difficile de comprendre vraiment comment le jury aborde les épreuves, tant les avis peuvent être sévères ou extrêmement conciliants.

Toutefois, voici les vidéos des prestations des trois finalistes, afin de voir ce que ces trois personnes ont pu proposer après avoir réussi à passer toutes les épreuves :

La faute à la production

On pourrait s’attarder longtemps sur le « niveau » général. La faute ne revient pas aux personnes qui participent à l’émission mais à l’émission elle-même. C’est la production qui choisit, à l’avance, qui va participer. C’est la production qui s’occupe du casting. C’est la production qui organise les épreuves et une situation stressante. Dans la version américaine, on voit souvent les candidats et candidates échanger sur leur situation mais aussi créer des liens personnels. Ce n’est pas le cas dans Nouvelle Ecole, où le montage ne permet pas de créer d’espace vraiment personnel pour les candidats.

Vink, le rappeur de campagne

En réalité, leur existence collective n’apparaît que comme la juxtaposition de séquences biographiques concoctées par la production, souvent très clichées (une pensée pour Vink, présenté comme le stéréotype du rappeur de campagne qui met l’ambiance en soirée). Ce refus d’un espace personnel va de paire avec un refus de l’espace tout court. Étrangement, la réalisation repose sur la recherche du huis-clos, avec une esthétique très claustrophobe.

Tout se passe dans un espace clos : backstage, salle de concert, salle de concertation. Deux exemples frappants de cet enfermement : les moments confessions des participants et participantes, filmés au téléphone, en mode selfie, dans leur chambre d’hôtel, entre deux épreuves ; la séquence au vélodrome de l’épisode 1, avec un cadre qui écrase les personnes, réduisant la grandeur du stade.

L’image donne ainsi l’impression d’une oppression, de l’impossibilité de respirer. La série d’ailleurs ne prend jamais son temps. De nouveau, Netflix propose un produit de consommation. Ce produit reste pourtant très paradoxal. On veut nous présenter une future star mais, quelle que soit la personne, il n’y a pas de véritable mise en valeur, difficile donc d’admirer ou de s’accrocher à quelqu’un.

De même, la frénésie imposée par la production explique probablement la difficulté de nombreux artistes à fournir des productions artistiquement développées. On retrouve le même problème : une personne capable de s’adapter le fera grâce à son expérience, a-t-elle donc besoin de Nouvelle Ecole si elle est déjà installée dans le game (on pense à B.B. Jacques ou KT Gorique) ? Une personne qui a du mal à gérer les épreuves sera fatalement éliminée face aux autres plus expérimentées. Résultat du paradoxe : une candidate comme Leys, avec beaucoup de potentiel, va jusqu’en final, malgré ses erreurs, en étant presque portée à bout de bras par le jury.

Leys en finale

La réalisation de Nouvelle Ecole, sa mise en scène, son organisation, son rapport au temps et à l’image font de la série une œuvre difficile à aborder. On ne comprend pas vraiment où elle veut aller. Proposer une émission de concours spécialisée dans le rap suppose de s’adresser à un public averti, ne serait-ce qu’en présentant des épreuves de type « Battle » ou « Cypher ». On aurait aussi pu croire que le public visé était un public exigeant dès lors que le titre suppose une « Ancienne Ecole ».

Fresh La Pefra en finale

Il aurait été logique d’orienter la mise en scène vers un balancement entre l’histoire du rap et de la culture hip-hop et de nouveaux talents, qui viennent renouveler cette culture. Malheureusement, tout ce qui constitue cette culture étant évacué d’un revers de la main, un public averti et connaisseur ne trouvera pas beaucoup d’intérêt dans cette série.

Elyon en finale

Dans ce cas, Nouvelle Ecole est-elle une série qui cherche à surfer sur le succès du rap ? On peut sans doute répondre oui. Toutefois, puisque la série ne comprend pas vraiment sur quoi repose ce succès, elle ne pourra plaire qu’à des personnes qui n’attachent pas autant d’importance au rap et au hip-hop. Dès lors, pourquoi regarder cette émission ? On peut dire sans difficulté que Nouvelle Ecole ne s’adresse à personne. C’est juste un programme que l’on regarde à la limite pour la compétition, pour s’énerver des nombreux choke ou du choix du jury mais jamais parce qu’on cherche une stimulation artistique.

Crédits : Netflix France

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