Critique de Le Daim (Cannes 2019, Quinzaine des réalisateurs), de Quentin Dupieux
La singulière ingéniosité de Dupieux réside dans sa simplicité, et dans Le Daim se trouve peut-être ce qu’il a fait de plus simple. Un homme se lève, découvre la perte de son chien, et décide alors de le rechercher. C’était la mince intrigue de l’onirique Wrong (2012). Un pneu vivant tombe amoureux d’une jeune femme, et se met à tuer tous ceux se trouvant sur son passage. Voici le déjà culte Rubber (2010). Un apprenti cinéaste trouve enfin un producteur pour son film d’horreur, à condition qu’il apporte le cri idéal. Nous étions dans la labyrinthique Réalité (2014). La simplicité de ces intrigues, comme pour tous les autres films de Maître Oizo, permet le déploiement de l’univers singulier d’un cinéaste qui semble ne se plier à aucune règle, et préférer la folle candeur à l’excès illusoire. Dans Le Daim, le scénario n’aura jamais été aussi ingénieusement stérile. Georges (Jean Dujardin) décide d’user de toutes ses économies pour s’acheter une veste en daim dont il rêve tant. En possession de son bien adoré, il souhaite devenir l’unique porteur de veste sur Terre. Dès lors le film repose sur de longs moments hilarants de contemplation narcissique d’un Dujardin au sommet de son talent, seul devant une glace, une caméra en main, laissant libre court aux flux de paroles passionnées d’un homme amoureux de sa veste. Ces moments sont alternés avec l’errance, ou plutôt la stagnation, d’un quarantenaire paumé dans une France déserte, voire nauséabonde et cafardeuse. C’est d’ailleurs ce qui surprend avec ce dernier film du cinéaste, un réalisme rompant avec ses autres œuvres. Habitués au coup de théâtre à la Buñuel, aux jeux de langage d’un Bertrand Blier, ou autres reprises de codes génériques et références de série z, nous sommes désormais face à un vide hypnotique dans lequel nous plongeons avec malice et effroi. Car plus encore que Rubber, Le Daim est le vrai film d’horreur de Dupieux, dont le comique faussement candide camoufle une méchanceté et une grande noirceur.
C’est sous les traits d’un personnage rêveur et naïf, obnubilé par son style ravageur, et sa fausse prétention à filmer sa domination du port de jaquette sur Terre, que Quentin Dupieux déploie un univers à la simplicité anxiogène. L’artificialité est l’atout de l’art du cinéaste, aussi bien pour rendre émouvant la naissance d’un pneu (dans Rubber) qu’appuyer abondamment la théâtralité d’un commissariat (Au Poste, 2018). Cette artificialité est le socle d’un absurde jamais poussif, toujours dans une légèreté possible uniquement grâce à la cohésion d’une mise en scène qui laisse le temps aux acteurs de trouver leurs marques, et aux personnages de se livrer à nous. Dans Le Daim, l’artifice sert au naturalisme, formant un tandem fructueux pour Dupieux qui gère avec brio la direction de son duo Jean Dujardin/Adèle Haenel, ainsi que les quelques figures qui parsèment ce décor montagneux. L’artifice est ainsi réduit au minimum, dans le simple fait de filmer George dialoguer avec sa veste, après de persistants regards amoureux lancés à son habit préféré. George devient la marionnette de la veste en daim. Sans même qu’elle ait besoin de se mouvoir, sans nul besoin de gadget ou du moindre effet visuel. Seuls le talent comique de Dujardin, et le sens du rythme et du cadre de Quentin Dupieux, permettent une comédie horrifique hors-norme, laissant attendre avec impatience le prochain film d’un cinéaste nous réservant encore de belles surprises. Quentin Dupieux est bel et bien le seul cinéaste français de nos jours en qui nous pouvons avoir suffisamment confiance pour lui donner 15 euros et attendre sans crainte une nouvelle virtuosité cinématographique, nous sortant de la banalité filmique actuelle.
15 euros pour la chambre 15, je suis prêt à revenir dans cet hôtel de dingo.
Excellent article !
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