Phoenix, MGMT, Massive Attack, Jack White, Texas, Arctic Monkeys… Qu’est-ce que je vais voir cette année aux Nuits de Fourvière ?! Je n’ai que 50 euros, c’est la misère, je suis obligé de choisir… Pourquoi tout programmer dans le même mois ?! Pourtant, pas besoin de réfléchir plus longtemps, il n’y a qu’un seul groupe pour lequel il est même impossible d’hésiter à aller le voir. LCD Soundsystem, moi qui pensais ne jamais t’admirer en live, te voilà enfin de retour. Et c’est une chance de te recevoir à Lyon pour ton unique date en France lors de cette tournée. Quel bonheur de pouvoir écouter, mieux vivre !, dans un cadre aussi agréable que le théâtre antique de Lugdunum, le brillant James Murphy et ses compères, qui forment à mon sens le plus grand groupe du 21ème siècle !
Mais vous allez tout de suite m’arrêter. Vous êtes sans doute fortement interloqués ! Je parle du meilleur groupe contemporain dans un dossier intitulé « les papys du rock » ! Hé bien, mes chers lecteurs, tout d’abord je tiens à vous féliciter et vous remercier, car il faut avoir le regard attentif, ou être un membre actif de Good Time, pour soulever l’appellation de ce dossier musical. D’autre part, je tiens à me justifier quant à cette appartenance qui semble approximative. A mon sens, un groupe dont la séparation semblait définitive (et dont le leader est devenu quinquagénaire), peut être qualifié de « papy » du rock (au sens noble, il en va de soi). Revenons 7 ans en arrière, le 2 Avril 2011, lorsque LCD donnait son dernier concert au Madison Square Garden. Ils annonçaient, lors de ce show exceptionnel de plus de 3h, leur triste départ. C’était la fin d’une courte mais puissante collaboration, lors de laquelle ils nous ont donnés les incroyables albums LCD Soundsystem (2005) et This Is Happening (2010), mais surtout le chef d’œuvre absolu Sound of Silver (2007). Et puis plus rien… Murphy, on l’a retrouvé sur quelques collaborations ou productions solos. Il a par exemple participé au magnifique et mélancolique Blackstar (2016), lui que l’on peut sans aucun doute qualifier de nouveau David Bowie. Mais LCD semblait achevé pour de bon. Et puis surprise ! En septembre 2017 ils sont revenus, avec l’album American Dream, avec toujours leur son si personnel, si évocateur, et leurs textes si forts. Qu’on les qualifie de post-punk, de new-wave, d’électro-disco, ou de synth-pop ; qu’on les rattache à The Stranglers, Suicide, Depeche Mode, ou Joy Division ; les appellations et les références demeureront toujours insuffisantes pour définir ce qu’ils sont. Ils sont à eux seuls la modernité musicale ! Et j’ai eu l’immense plaisir de les écouter en vrai… Mais avant de parler de ce concert, revenons un peu (comme j’en ai l’habitude) sur leur dernier album.
American Dream touche par sa nostalgie et ce qu’on pourrait appeler un spleen atmosphérique, qui se dégage à la fois des magnifiques mélodies, beaucoup moins dansantes que sur les trois précédents albums, mais surtout des textes très touchants. Mais l’album ne témoigne pas simplement d’une vaine mélancolie dans laquelle le chanteur-compositeur-parolier et multi-instrumentiste James Murphy semblerait se morfondre. Ce qui frappe indéniablement ce sont les références, plus encore que sur tout ce qu’ils ont pu faire. Jamais Alan Vega, Kraftwerk ou autres modèles du tournant 1980 ne se seront faits aussi bien suggérés. Toutefois Murphy témoigne de sa patte, de sa présence bien à lui. Il nous surprend en permanence. Il n’y a aucun formalisme, ni convenance. Les textes évoquent des parties sombres de sa mémoire qu’il semble contenir depuis longtemps ; et les mélodies, bien que moins dansantes, pénètrent lentement nos oreilles puis nous bercent, nous détraquent, nous transportent, mais en aucun cas ne nous laissent indifférents. Cet album, bien que moins forts que les deux précédents (et je chipote, mais du fait que je considère les deux derniers comme des albums quasiment parfaits), parvient parfaitement à mêler toute la passion musicale de Murphy (par l’évocation de tous ses héros, et de tous les genres qui l’animent), avec ses propres réflexions et retours sur son vécu. De plus, cet album est sans doute le plus rock, voire punk, du groupe. Les nouvelles compositions qui le constituent se rapprochent fortement de leurs versions live, contrairement aux titres des derniers opus dont l’écart studio/live est flagrant (mais je reviens un peu dessus juste après). Ainsi il y a d’autant plus de guitare, de basse, et de voix chantée (une voix forte, prenante, puissante !).
Je vous propose de faire un bref retour sur les titres qui m’ont le plus marqué dans cet album, même si (pour une fois) je trouve que chaque morceau a sa place et sa juste mesure, et mériterait d’être écouté 20 fois, avant même d’être compris ou analysé. Tout d’abord il y a « Oh Baby », qui ouvre l’album avec une petite percussion aiguë et légèrement saturée, doublée d’une calme cymbale, avant que la batterie ne rentre lentement en jeu, puis divers sons électroniques qui se superposent, et enfin la voix planante du chanteur. Il n’y a pas meilleure manière d’ouvrir un disque. C’est à la fois rythmé et contemplatif. LCD, dont on n’avait rien écouté de neuf depuis 7 ans, refait son entrée en beauté, en douceur, plein de magnificence. Et le morceau s’achève dans une parfaite envolée lyrique et mélodique. « Change Yr Mind » est le second morceau que je relève. On est dans quelque chose d’ouvertement Krautrock, avec une touche funky très agréable. C’est la basse qui donne le feeling, entrecoupée de bruitages divers, offrant un ressenti Bowie-Eno période berlinoise. Le texte quant à lui évoque un malaise profond. C’est l’insécurité qui règne. Le temps a passé, les promesses n’ont pas été tenues, et Murphy reste seul dans une incompréhension, dont la rythmique saccadée et les sons dérangeants témoignent.
Et puis arrive le bijou, l’éclair de génie qui fait briller tout le reste de l’album. « How Do You Sleep », comme métaphore de l’art propre à LCD. 9 minutes de pur bonheur qui démarrent par un simple riff aux percussions, et puis lentement le synthé vibre, puis le violon, tandis que la voix de Murphy résonne, comme un appel dans une vallée sans autre réponse que son propre écho. Tout se joue dans la progression, dans l’addition lente des instruments avant un éclatement rythmé et dansant, tout en maintenant un mystère, quelque chose d’impénétrable. Car cette chanson est le symbole de tout ce qui nous échappe. Dans son texte sombre et ambigu, Murphy parle de ses regrets, de ses manques, d’une amitié perdue… Ainsi on parait prendre possession progressivement du rythme, de la mélodie. On se laisse emporter par cette longue montée poétique, en oubliant qu’un jour vient la chute, la fin. Mais à peine le synthétiseur disparait en fondu, qu’un riff d’électro retentit. Sont-ce les Talking Heads ? Non c’est « Tonite », une puissante lamentation sur l’indéniable fin de toute chose. Le texte est un constat de la vanité de tout ce qui nous entoure, de tout ce que l’on ne pourra jamais maitriser, ni comprendre. « That’s all lies ». Tandis que la musique minimaliste et cyclique nous fait progressivement danser dans une cadence robotique. Et puis sans pause, nouvelle emportée lyrique avec « Call the Police ». Magnifique texte sur la solitude qui nous touche tous, sur le temps qu’on ne maitrise pas et qui nous détruit inlassablement, et sur la société qui nous ronge. Et que dire de la musique si virulente, et poignante. La voix de Murphy qui alterne entre montée chantée et cri de rage, mêlée à la guitare électrique, et au son strident du synthé, avant que tout ne forme qu’une seule voix. Comme dans les paroles, la musique reflète une communauté qui se crée, et une rage qui monte avant d’exploser violemment. Enfin je terminerai ma critique de l’album sur « Emotional Haircut » (même si je le répète tous les morceaux sont excellents !!). Avant-dernier titre, placé juste avant le très long et extraterrestre « Black Screen », ce neuvième morceau surprend par son aspect profondément rock. Le texte est plus simple, ou du moins parait moins obscur, en retraçant le parcours d’un marginal, et en affichant les difficultés dues à l’amour ou aux relations sociales. Mais la musique est tellement explosive, et saturée ! A la fin ça n’est plus que l’éclat d’une angoisse contagieuse. Entre ce genre de morceau très instrumentaux et les expérimentations bruitistes, cet album nous berce et nous surprend à tout instant. Dans l’incapacité de me sortir tous ces sons de ma tête, j’étais obligé d’aller les voir en concert pour enfin me faire une vraie idée concrète de la valeur de ce groupe. Je veux dire, comment 9 musiciens interprètent « All My Friends » sur scène ? Comment ça rend ?! Comment est-ce humainement possible ?
Et vient enfin le jour J. Jour de plaisir et de colère ! Mon Dieu quoi ! Il pleut à torrent sans pause… On les attend depuis des années, et la météo a décidé que cette soirée ne devait pas être mémorable…
Et bien non, je ne baisse pas les bras ! Sous la pluie, en t-shirt, dans la fosse, 2 heures en avance (totalement inutilement), je suis entièrement trempé mais que diable ! Ce concert sera LE concert ! Et en effet, jamais une douche de 2h de pluie n’aura été aussi agréable, fiévreuse de joie, et si musicale. Après ma longue description de leur dernier album, je ne vais pas trop radoter sur le génie artistique et la puissance de chaque morceau joué. Mais ce qui m’a surtout choqué c’est la technique de chaque musicien. Là où les versions studios restent plutôt calmes, ou davantage contemplatives, ici c’est l’explosion en permanence. Si l’électro domine sur les albums, ici les instruments ont leurs instants de gloire. Guitare, basse, violon, piano, tous entremêlés et complétés par la parfaite voix de Murphy, et de ses divers sons d’appareils électroniques indescriptibles mais si singuliers. Et ce ne sera pas moins de 2h de show époustouflantes, avec 19 titres qui s’étiraient tous plus les uns que les autres. Personne, pas même dans les gradins, n’avait le temps de se poser. La pluie ne faisait qu’accentuer l’intensité transmise par les 9 membres du groupe sur scène, remplis d’une énergie folle. Tout a commencé par un « You Wanted a Hit » paradoxalement devenu un « hit » au rythme contagieux, contrairement à l’original qui se maintient dans une certaine retenue. Puis les tubes et autres inattendus (mais ô combien bienvenus) s’enchainent parfaitement quasiment sans interruption. « Tribulations », « I Can Change », « Get Innocuous! », « Daft Punk Is Playing at My House » (extrêmement PUNK !!), « Someone Great », et « How Do You Sleep » qui vient achever 1h30 de flux d’énergie. Ce dernier morceau se fait dans un quasi silence du public et dans une sincère sérénité. C’était un vrai moment de pause, d’une beauté saisissante, avant un rappel majestueux de quasiment une demi-heure : « Oh Baby », « Emotional Haircut », « Dance Yrself Clean » et « All My Friends ». A la fin le public était déchaîné, les artistes ivres de joie comme d’alcool, et au sommet de leur prestation scénique.
Allez voir LCD Soundsystem ! Ecoutez-les, réécoutez-les ! Si je ne devais retenir que 2 choses pour qualifier James Murphy et ses éternels amis, ce seraient leur véritable passion et une immense générosité avec leurs fans. Cela fait maintenant 2 semaines que le concert a eu lieu, et je vois encore Murphy en train de tendre la main pour toucher la pluie qui inonde et illumine la foule venue admirer le génie qu’il est.
Un petit aperçu de ce que c’est en live :
Je vous renvoie aux autres articles du dossier « Les papys du rock », avec pour l’instant un retour sur les carrières d’Alice Cooper et de Roger Waters.
Photo : DFA Columbia
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