Massacre à la tronçonneuse (2022) : À mort les influenceurs

Critique de Massacre à la tronçonneuse (2022, Netflix), de David Blue Garcia

Massacre à la tronçonneuse version 2022 est présenté comme la suite directe du film de Tobe Hooper de 1974, après sept autres vraies/fausses suites étalées sur cinq décennies. Toutes plus ou moins des dérivés dégénérés du film d’origine devenu saga pour adolescents un peu sadiques, ces suites ont pris la relève du Massacre à la tronçonneuse 2 (1986) réalisé par Tobe Hooper lui-même, qui suivait la vague des comédies horrifiques des années 1980 lancée notamment par Sam Raimi et ses deux Evil Dead (films excessivement et grossièrement gores). Mais si les œuvres de Hooper et de Raimi usent du grotesque pour déployer un espace proprement cinématographique, c’est-à-dire exagérer les puissances du visible dans une dimension horrifique entre burlesque et baroque (à leur manière comme le font Dario Argento et Lucio Fulci), tous les héritiers de ce cinéma dit Bis (souvent de simples séries Z) sont de l’ordre de la mascarade et de la satisfaction de la laideur.

Or, il y a dans le film de David Blue Garcia un règne qui semble avoir touché son fond et qui, de cette découverte de sa propre insatisfaction et des nombreuses et répétées impuissances du cinéma de genre, opte non plus pour le parodique mais pour le mélancolique.

Les personnages de ce slasher pour ados des années 2020 ne font rien. Ils n’agissent pas, ils contemplent du vide. Même l’héroïne du premier volet, revenue de nulle part pour nourrir les attentes des plus grands fans (à la manière des derniers Halloween de David Gordon Green avec le retour de Laurie Strode), ne semble vouloir qu’une chose : revoir un visage pourtant toujours laissé derrière un masque sans trait, celui de Leatherface. Cette quête, par avance vouée à l’échec (car il n’y a pas de visages de l’horreur), mène expressément au chaos. En effet, si le film suit la logique des franchises à toujours étirer le développement d’un personnage et d’un univers (comme une volonté de prolonger un désir spectatoriel depuis longtemps assouvi), ce projet est d’emblé voué à ne rien dire. Le principe de représentation du mal est clair : rien ne se cache sous le masque des psychopathes.

Ainsi, tout le groupe de jeunes hipsters entrepreneurs est perdu dans un village désertique anachronique. Ils ne font tous que voir ; du moins, pensent être le regard témoin de leurs temps, au travers de leurs smartphones et autres gadgets qui se substituent à leur propre regard. Là encore, c’est l’échec de leur capacité de voir, de leur visible, prisonniers de leur virtualité.

Le film peut ainsi se résumer comme l’histoire d’une visite. Le groupe de bobos citadins vient découvrir un lieu fantôme : le village du premier film où ont eu lieu les massacres devenus médiatiquement célèbres. Mais cette visite – justifiée par le projet d’un immense rachat immobilier dans la perspective d’une ville nouvelle – s’arrête dès la surface des bâtiments. La courte déambulation de la petite masse homogène se stoppe aux façades, comme les toiles d’un décor factice. Ce qu’il y a derrière est absent à leurs yeux – pire, n’existe même pas comme la cible d’un intérêt voilé ni d’aucune curiosité naturelle.

Le film raconte donc l’échec d’une archéologie du visuel. Il s’agit de la non-rencontre de deux lignes temporelles qui auraient dû se rencontrer : la résurgence de l’Histoire américaine (celle des grandes régions désindustrialisées en décroissance démographique, en pauvreté accrue et dans un décalage culturel de plus en plus grand avec les villes) et la renaissance de la petite histoire (le mythe poussiéreux de Leatherface, devenu simplement un autre contenu kitsch télévisuel, comme en témoigne la séquence d’ouverture en JT sur les massacres vieux de 50 ans). Finalement Leatherface, normalement figure maudite et redoutée, agit ici presque en héros. Il est comme le dernier matérialiste de ce monde déconnecté, où seule la mort sanguinaire devient acte de résistance face à la déconnexion entre l’individu et sa réalité présente (du fait des écrans interposés). Son geste est désespéré, et le dernier plan où il retourne chez lui, comme un vagabond perdu depuis trop d’années, témoigne de cette mélancolie : les Américains n’habitent plus leurs propres espaces, ils n’ont plus de chez eux (s’ils en ont déjà eu), et seuls les vieux mythes ont peut-être la force de faire survivre ces territoires inhabitables.

Le film met en opposition la virtualité/l’irréalité des protagonistes et la physicalité exagérée de Leatherface. D’une certaine manière, les influenceurs Instagram (faux-protagonistes centraux) sont l’écho actualisé des hippies du premier volet, une même génération propulsée dans un consumérisme bourgeois dont les idéologies, trop éloignées des réalités sociales et géographiques de leur époque, sont balayées dans la fureur et le sang. C’est une acceptation du spectacle du contemporain, mais dans ce qu’il a de destructeur et pessimiste. Il ne reste plus qu’à filmer sa propre mort, jouir de sa propre souffrance au travers d’un écran webcam commenté en direct par des milliers de followers.

Crédit : Netflix France

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