Critique de l’EP GRIVE (2021) du duo du même nom
GRIVE est un nouveau projet de rock atmosphérique qui réunit deux visages connus de la scène indé francophone, Agnès Gayraud, alias La Féline, et Paul Régimbeau, membre de nombreuses formations qui s’exprime en solo sous le nom de Mondkopf. Amis de longue date, Gayraud et Régimbeau avaient déjà travaillé ensemble à plusieurs reprises avant de former GRIVE lors d’une résidence au Performing Arts Forum (PAF), espace à part aux multiples fonctions situé en Picardie, ouvert à toutes les individualités créatrices et pensantes. Leur premier EP, qui vient de sortir, compile trois titres enregistrés fin 2015 au PAF lors de ces sessions initiales, au moment même où le second album de La Féline, Triomphe, était conçu. Le disque comprend également “Cold”, chanson postérieure qui semble plus affinée dans le son et les intentions.
La musique de GRIVE est difficile à définir. On pourrait penser au shoegaze de Slowdive ou au slowcore de Low, mais l’on ne s’approcherait alors que partiellement de l’identité artistique du duo. Né d’une volonté de s’éloigner autant de la pop sensible et inquiète de La Féline que des musiques électroniques plus abstraites de Mondkopf pour construire un nouveau style singulier, GRIVE ne regarde pas dans une seule direction. Les quatre titres maintiennent ainsi une sobriété primitive dans le son, composé de guitare électrique, de synthé analogique et de batterie – jouée par Franck Garcia, tout comme sur Triomphe – mais empruntent aussi à divers styles pour se structurer.
“Cold”, avec sa régularité rythmique et ses subtiles montées d’intensité, est le morceau qui se concentre le plus sur le chant étonnamment timide de Gayraud et son anglais parfois difficilement intelligible. Le mélange de calme et de tension du morceau finit tout de même par séduire, devenant paradoxalement hypnotique malgré son climat glaçant. Les quelques mots ambigus qu’on parvient à capter à l’écoute ajoutent d’ailleurs à cette ambiance pesante. “Kingdom” est nettement plus agressif, bâtissant un crescendo post-rock viscéral mais un peu prévisible en moins de quatre minutes. Malheureusement, le morceau témoigne d’un choix de mixage distant de la voix qui laisse songeur tant il atténue l’effet tour à tour rassérénant et bouleversant du chant de Gayraud, qui constitue une partie non négligeable de sa singularité.
Dans “Burger Shack”, la grâce mélodique de Gayraud réussit à percer le mur de son, sa voix apportant une étrange organicité à une progression instrumentale lancinante. On y retrouve également son goût des contradictions émotionnelles, le caractère de la musique ne choisissant pas entre félicité et tourment. “Coal Mine” conclut l’EP sur une note rugueuse et pourtant extatique, développant ses riffs blues et son goût de la distorsion sur près de huit minutes. Tout juste à la frontière entre improvisation et maîtrise, le morceau dissémine au fur et à mesure les marqueurs d’une atmosphère naturaliste et archaïque qui pourrait bien être l’essence de la musique de GRIVE, à laquelle du moins le duo semble aspirer. Un album complet est d’ailleurs déjà prévu, le projet étant à la recherche d’un label pour le distribuer.
Ce premier EP, à l’identité encore fragile mais immensément prometteuse, permet d’espérer que GRIVE gagne en ampleur et en radicalité, qualités dont le duo est d’ailleurs capable – en témoigne leur double reprise impressionnante de “Comme un guerrier” de Gérard Manset, sortie en 2018 sur le EP Royaume de La Féline. Il faudra seulement que la formation sorte d’un cadre indé paradoxalement inhibant pour trouver son énergie propre sans jamais renier l’idiosyncrasie de chaque force en présence.
Liens d’écoute additionnels : “Coal Mine” ; “Comme un guerrier I” ; “Comme un guerrier II”
L’EP est une auto-production, disponible ici à la vente en cassette et en version numérique. La pochette, qui est l’image ici mise en avant, et les autres dessins présentés avec les chansons sont signés par l’artiste Hélène Paris.