Hallucinations Collectives est un festival de cinéma dit « de genre » qui depuis 2008 se déroule pendant une semaine au Comœdia, le plus grand cinéma Art et Essai de Lyon, autour du week-end de Pâques. Partageant une partie de son équipe, notamment au niveau de la programmation, avec le Paris International Fantastic Film Festival (PIFFF), Hallucinations Collectives se distingue par une plus grande ouverture en termes d’horizons génériques et par un équilibre parfait entre avant-premières et séances consacrées à des films plus anciens. L’édition 2020, à l’origine prévue, comme habituellement, au mois d’avril, a bien failli ne pas avoir lieu. À la suite du confinement, les équipes du festival et du Comœdia se sont accordées sur l’idée d’un report, d’abord prévu pour juillet – ce qui s’est avéré prématuré, les salles de cinéma n’ayant pu rouvrir que fin juin –, avant d’être finalement repoussé à la première semaine de septembre. Ce changement de dates, pour un événement qui en est tout de même à sa 13ème édition, aurait pu laisser craindre une nette baisse de fréquentation, surtout qu’une partie de l’organisation et toute la communication autour du festival ont dû se concentrer sur les quelques semaines précédant le moment fatidique.

Pourtant, que ce soit dû à la ténacité de l’équipe et des bénévoles des Hallus, au soutien du personnel du Comœdia, à la fidélité du public enthousiaste, ou à la programmation alléchante, le festival s’est avéré être encore une fois un beau succès, malgré les jauges réduites de spectateurs et le port du masque obligatoire durant toute la durée des projections. Hallucinations Collectives n’a pas eu à modifier sa formule de fond en comble : le festival a bien eu lieu du mardi au lundi, proposant entre trois et cinq séances par jour, partagées entre une compétition de longs-métrages inédits en salle, des sélections thématiques consacrées à des œuvres de patrimoine, et des projections spéciales. On aurait certes pu regretter l’absence d’invités, mais la traditionnelle « carte blanche », cette année pilotée par le cinéaste Xavier Gens, réalisateur entre autres de Frontière(s) et du récent Cold Skin, a tout de même été maintenue, les films choisis ayant été présentés par vidéos interposées. Seul bémol véritable : l’absence de prix du public au niveau des compétitions de longs-métrages et de courts-métrages pour raisons sanitaires. Les jurys, composés pour les longs-métrages de trois personnalités lyonnaises – Hélène Veilleux, François Guillemot et Simon Roussin –, et pour les courts-métrages de lycéens volontaires, ont donc été les uniques juges de compétitions riches et variées.

Le jury lycéen a remis son prix à The Cunning Man d’Ali Cook et Zoe Dobson, film anglais d’une dizaine de minutes mettant en scène un « guérisseur » d’animaux. Le film cible le culte des apparences et célèbre une forme de marginalité juste et sensible face à l’avidité morbide promue par la société. Le jury de la compétition de longs-métrages a quant à lui choisi The Nightingale de Jennifer Kent, le successeur très attendu, ici présenté en première française, de Mister Babadook, sorti il y a déjà six ans dans nos contrées, et déjà diffusé à l’époque aux Hallus.
The Nightingale se démarque très nettement du précédant travail de Kent, se déroulant dans l’Australie du XIXe siècle, alors colonie britannique, et se concentrant sur le destin tragique d’une prisonnière irlandaise vivant sous le contrôle d’un terrifiant officier, qui la viole à répétition avant de tuer sa famille et de la laisser pour morte à la suite d’une altercation. Le film emprunte alors la voie du récit de vengeance, à tendance existentielle, puisque la protagoniste enrôle un aborigène réticent pour retrouver l’officier et ses sbires à travers la Tasmanie sauvage. Les deux personnages se lient d’une forme d’amitié de plus en plus bouleversante, se comprenant par leur vécu traumatique perclus d’injustices. Cette relation donne à The Nightingale une grande partie de sa beauté crépusculaire, sublimée par une photographie et des cadrages extrêmement soignés. On pourra reprocher à Kent l’âpreté de son projet, comprenant de nombreuses scènes de violence à la limite de l’insoutenable, et la caractérisation radicale de ses antagonistes, mâles absolument maléfiques, inconscients, pulsionnels, libidineux, incapables de la moindre empathie, de la moindre pitié. L’existence avérée de ce type de machines de destruction bel et bien humaines malgré leur monstruosité explique pourtant en partie la marche désespérante, régressive et alarmante de l’Histoire de notre espèce : en ce sens, la démarche de Kent est poignante et profondément lucide.

Le reste de la sélection de longs-métrages inédits comptait notamment quelques retours intrigants : Color Out of Space de Richard Stanley, le réalisateur de Hardware et du Souffle du démon, retrouvant la science-fiction, ici inspirée de Lovecraft et mettant en scène Nicolas Cage, près de trente ans après ses œuvres marquantes, ou The Lodge, le nouveau film de terreur domestique du duo Severin Fiala et Veronika Franz, cinéastes autrichiens à l’origine du remarqué Goodnight Mommy. Les trips visuels et sensitifs typiques des Hallus étaient aussi représentés avec l’américain The Wave de Gille Klapin avec Justin Long, l’indien et plus précisément malayalam Jallikattu du renommé Lilo Jose Pellissery, ou encore le finlandais Dogs Don’t Wear Pants de J.-P. Valkeapää, souhaitant donner une vision positive voire vivifiante du sadomasochisme. On pourra citer également la comédie britannique fédératrice Extra Ordinary, centrée sur une monitrice d’auto-école capable de communiquer avec les esprits, qui ne manque pas d’originalité dans son timing comique, malgré ses codes romantiques un peu usés et son sens du montage qui rappelle forcément un peu Edgar Wright.

Enfin, le film de clôture Mope de Lucas Heyne marchait dans les pas du Golden Glove de Fatih Akin, présenté lors de cette même séance en 2019, avec son mélange particulièrement dérangeant de sordide et d’ironie. Cette fois pourtant, le but n’était pas simplement de nous obliger à regarder en face la dégueulasserie de l’humanité, mais bien de réfléchir aux excès d’une industrie en roue libre – ici, celle de la pornographie – qui menace de broyer les individus les plus fragiles à force d’injonction au rendement et de culte aveugle d’une réussite qui ne veut plus rien dire. Nathan Stewart-Jarrett est parfait dans son rôle d’affabulateur, incapable de regarder la réalité en face, et ne maîtrisant pas la violente amertume qu’il porte en lui. On aurait sûrement préféré un film plus rassembleur et réjouissant pour la clôture d’un festival aussi enthousiasmant, mais cela n’enlève rien à la force de la proposition de Mope.

L’intérêt des Hallus, c’est également de proposer sur grand écran des films rares, méconnus, ou méprisés qui méritent d’être vus et estimés à leur juste valeur. Comme chaque année, on n’est pas non plus à l’abri d’une déception – on se souvient du graveleux vite insupportable de Forbidden Zone ou l’horreur arbitraire et peu crédible de Xtro –, et là encore, quelques films ne dépassaient pas la case des curiosités à la réussite chancelante. On peut ainsi citer Pyromaniac par exemple, film de serial killer post-Psychose, au développement psychologique presque risible, jamais aidé par une performance d’acteur centrale à la limite de l’inanité. On pouvait ressentir le même semi-malaise devant Les Charnelles, thriller psychosexuel érotique réalisé par Claude Mulot, le futur auteur du Sexe qui parle, dont la charge antisociale à l’humour cynique passe mal le poids des années, malgré une restauration sublime orchestrée par Le Chat qui Fume. Ces légères déconvenues ne signifièrent cependant pas grand-chose face à la richesse du reste de la programmation.
Une thématique autour de l’origine vaudou de la figure du mort-vivant a ainsi permis de nous présenter White Zombie, fable hollywoodienne fauchée mais toujours étonnante de 1932 avec Bela Lugosi, ou encore Sugar Hill, condensé des codes de la Blaxpoitation associé à un traitement horrifique à la structure parfois un peu mécanique, mais bénéficiant du charisme de Marki Bey. L’autre gros morceau de cette édition était la rétrospective consacrée aux classiques les plus fous de l’âge d’or du cinéma hongkongais, mêlant les cascades fascinantes de Police Story de et avec Jackie Chan, l’action décomplexée de Story of Ricky, la noirceur existentielle de Full Alert, grande œuvre tardive de Ringo Lam, et l’immoralité sans limites de The Untold Story, signée Herman Yau et permise par la fameuse Category III.

Puisqu’il est impossible de rendre justice aux 25 séances ayant été proposées par le festival sur cette semaine d’ores et déjà inoubliable, nous conclurons en remerciant les Hallus et ses programmateurs pour leur générosité et leur ouverture d’esprit, capable de faire le grand écart entre un long-métrage pornographique et un conte de Del Toro, de proposer dans la même semaine un documentaire sur la fabrication de L’Exorciste de Friedkin et un inédit malsain et déchaîné de Takashi Miike. On ne peut que célébrer également l’implication des bénévoles, et celle du public habitué qui font tourner la machine, ainsi que le Comœdia qui permet chaque année à cet événement cinéma hors normes et passionnant d’avoir lieu. La 14ème édition du festival nous a été annoncée lors de la cérémonie de clôture : espérons qu’elle puisse bien avoir lieu, que ce soit à Pâques ou plus tard en 2021 selon la tournure que prend la situation globale. En attendant, c’est un plaisir de se remémorer les formidables moments passés à découvrir des films parfois dérangeants ou décevants mais quasiment toujours surprenants, en envoyant toute notre gratitude à celles et ceux qui les rendent possibles.
Le site du festival : http://www.hallucinations-collectives.com
Le site du Comœdia : https://www.cinema-comoedia.com
Crédits illustrations : Hallucinations Collectives, ZoneBis et le Comœdia pour les photographies du festival ; Parkside Pictures et Quiver Distribution pour Mope ; Causeway Films, Made Up Stories et KinoVista pour The Nightingale ; Blinder Films et Wildcard Distribution pour Extra Ordinary ; American International Pictures (AIP) pour Sugar Hill
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