À Lyon, on a vraiment de tout. Pas besoin d’épiloguer dessus, on mange bien, on boit bien, et surtout on joue. Déjà, on forme des musiciens et on les forme bien. Ensuite, les bars et scènes locales regorgent de nouveaux artistes professionnels ou amateurs qui n’hésitent pas à se lancer. De quoi se créer un réseau d’artistes compositeurs-interprètes plutôt conséquent et surtout de qualité. Parce qu’au fond,peu importe si bidule a obtenu son DEM à l’ENM ou si machin bosse ses gammes au CRR, tant que ça joue, et que c’est créatif. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’avec Capturne, c’est lyonnais – ou en tout cas pas parisien – ça joue et c’est créatif. Et c’est même très pro’.
Mais bon, comme je sais que ça ne vous suffira pas comme analyse, et même si finalement, tout a été dit, il va bien falloir qu’on creuse un peu plus sur le groupe si je veux vous donner envie de les découvrir. D’abord, parce que leur premier E.P. du même nom sortira le 13 novembre prochain, notamment sur la plateforme soundcloud. Enfin, pour vous inviter à en parler un peu autour de vous, notamment à vos amis parisiens qui alors découvriront peut-être qu’il existe en France une production musicale et artistique « extra-muros » n’est-ce pas, que la province n’est pas faite que pour le tourisme, et qu’à Lyon, on a pas juste les quenelles et une mauvaise équipe de foot. Ce crachat volontairement gratuit et grossier sur nos amis franciliens passé, entrons dans le vif du sujet.
Si vous essayez de vous renseigner un petit peu, on vous dira un peu partout, et même chez les membres du groupe eux-même, que Capturne tire ses influences – oh surprise – de beaucoup, beaucoup de groupes : Sonic Youth, Nirvana Radiohead, Portishead, Break ou encore The Dø. Ce qui est intéressant avec la question des influences c’est qu’en général cela veut tout et rien dire, et c’est un peu à celui qui trouvera le plus de références possibles. Or finalement c’est bien peu pertinent la plupart du temps. Comme en témoigne la grande diversité des groupes cités ci dessus, sans une grande cohérence musicale, parler de Capturne – et aussi d’autres groupes ou artistes – par de soit-disant influences peut même s’avérer contre-productif en créant chez un potentiel public une attente pas forcément justifiée sur un rendu musical avant tout singulier. Je m’attacherai donc à essayer de parler de leur musique le plus possible, en étant prudent dans les références que j’utiliserai, si je suis amené à en utiliser.
Le 10 octobre dernier, Capturne sortait son clip « Emmys » sur YouTube, annonçant la sortie prochaine de son nouvel E.P éponyme ainsi qu’une tournée en France et en Belgique, avec en miniature de leur vidéo, la pochette dudit E.P. Un choix de communication plutôt bien mené, car en plus d’être un clip qui visuellement fonctionne parfaitement, le morceau offre un aperçu suffisamment complet, sans trop en dévoiler, de l’E.P. On découvre alors une identité musicale qui repose sur des constantes de l’EP à venir : l’harmonisation des trois guitares qui fonctionne autant en polyrythmie qu’en polyphonie dans la superposition des phrases musicales, la mélodie étirée dans la voix, l’exploration et l’expérimentation au niveau des sons, des effets poussées au maximum, et la sensation d’une progression constante dans le morceau.
Plus encore, on sent une véritable envie de trouver un son propre au groupe en mêlant des ambiances et des sonorités différentes, tout en gardant une cohérence interne. Cela bien sûr, grâce au mixage, mais aussi sur un point assez précis : le chant. La voix de Léo Couture a cela de particulier qu’elle s’adapte aux différents paysage musicaux que nous propose l’EP tout en conservant un même style, une même couleur. Si les mélodies restent sobres – et non simplistes – elle prennent toutes leur force d’abord dans le placement rythmique, très efficace, mais aussi dans le timbre singulier qu’il donne à sa voix : légèrement flottante voire errante, peu articulée, très étirée, et parfois aux accents désabusés. Cela fonctionne comme un véritable liant qui donne en partie toute sa cohérence à l’EP. Si rien n’est révolutionnaire dans cette façon de chanter, l’assumer avec conviction tout au long du projet donne une force et une cohésion à l’E.P Capturne qui méritent d’être soulignées.
Mais revenons au clip « Emmys » pour signaler le vrai parti pris esthétique extra-musical du groupe, ce qui n’est pas si courant chez les artistes émergents. Ici aussi, sans aller jusqu’à dire qu’il offre quelque chose de véritablement nouveau, la cohérence proposée par le studio Slip Over entre le clip et l’iconographie du groupe – la pochette et ses déclinaisons – est plutôt propre. On distingue assez bien cette recherche d’une esthétique en noir et blanc autour de personnages incarnant une frange de la jeunesse citadine et habituée du milieu culturel urbain de notre époque, notamment autour des centre-villes. C’est bien vu, puisque cela contribue à construire une véritable identité artistique au groupe, qui-plus-est clairement identifiable. Originale ou non, cela offre un point d’ancrage très pratique pour fidéliser un public. Cela a de plus le mérite de rappeler, que la production musicale ne peut pas se limiter aux albums et concerts, mais doit se prolonger dans d’autres formes. On peut le déplorer, comme l’apprécier, mais on doit reconnaître que ça permet un croisement des disciplines artitisques audio-visuelles qui peut s’avérer très pertinent, voire grandiose quand le mariage fonctionne. Ainsi, la jeune femme sur la pochette de l’E.P aux cheveux court, maquillage sobre et teint pâli par le noir et blanc et le jeune homme tatoué du clip en road-trip au cheveux teint et avec une boucle d’oreille et des lunettes de soleil stylisées, semblent se faire écho, créant une vrai homogénéité dans la communication et la production extra-musicale du groupe. Tout deux plutôt propres sur eux, on sent toutefois que sous leur airs a priori innocents se cache une sorte d’errance ou d’instabilité, plutôt apparente dans le clip par les réactions parfois excessives du protagoniste, et plutôt sous-entendue dans le léger strabisme et le sourire presque imperceptible de la jeune femme de la pochette.

Cette instabilité, on la ressent aussi dans la musique de Capturne. Atom Crush débute l’EP en amenant, dans un style assez progressif, une première errance musicale, que l’on retrouvera dans tous les morceaux. Cette errance est appuyée par une réelle progression dans la polyphonie et l’harmonisation, où la superposition des instruments et de leur timbre est graduelle. Cela permet ainsi de rendre concrète la construction du morceau et du voyage musical qu’il nous offre. De plus, l’ensemble des timbres sont ainsi bien mieux mis en valeur. Par exemple, lorsque la basse entre seulement au deuxième couplet du morceau, cette entrée tardive rend beaucoup plus sensible l’appui rythmique essentiel qu’elle procure, et amène une rondeur qui complète véritablement le morceau. Tous les autres ajouts et superpositions supplémentaires fonctionnent de la même manière. Par ailleurs, la mélodie étirée du chant donne cet effet d’égarement dans la voix de Léo Couture et la recherche autour des effets sonores des guitares – delay et reverb en tête – contribue à créer cette ambiance propice au songe, à l’abandon, à l’errance, allant même jusqu’à imiter des nappes de synthétiseur – ce qui personnellement, me rappelle Archive et plus particulièrement le morceau « Again ».
Dans un style plus éloquent, le groupe va plus loin dans l’expérimentation avec Iron Maiden, morceau enflammé de huit minutes, qui suit néanmoins aussi une logique progressive. Si le morceau commence assez énergiquement avec un premier riff de guitare efficace et rythmé, on sent tout de même une ambiance globale plutôt calme et installée avec un son de guitare propre, sans trop de saturation, ainsi qu’un chant assez aérien et des harmonisations plaisantes et agréables, notamment pendant ce qui semble être le refrain. Puis, petit à petit, sans même qu’on ait le temps de s’en rendre compte – et c’est bien là l’art des musiques progressives – le ton monte, les sons commencent à sérieusement saturer, la batterie et la basse deviennent de plus en plus imposantes et le chant semble plus tendu. En déséquilibre, le morceau finit par céder, se termine dans une énergie et un groove puissant, guidé par une section rythmique en titane, une guitare soliste folle et une ambiance générale criante qui donne envie de casser l’intégralité de votre appartement. Par expérience vécue, je vous demanderai donc, lorsque vous écouterez Capturne, de bien vouloir penser à votre nuque en évitant d’écouter trop longtemps et trop souvent le morceau « Iron Maiden ».
Capturne, c’est une musique en tension constante où l’on se demande à quel moment le morceau va partir, et où est-ce qu’il va nous amener. Mais comme pour la jeune fille de la pochette et le jeune homme du clip, tout cela se manifeste paradoxalement dans une apparente stabilité, et une structure pourtant installée et équilibrée. La section rythmique basse/batterie, je le dis et le répète, sont d’une solidité épatante. Le jeu sobre et précis de Lucas Terrier à la batterie – également le batteur de Shark Boy The Wrestler et d’Apple Jelly au côté de Théo Pichon aux claviers, ici guitariste pour Capturne – rend très claire l’ossature rythmique des morceaux, et permet de mettre en avant les breaks fréquents, ou les mises en place travaillées. À ces côtés Alex Caironi à la basse vient apporter la profondeur nécessaire aux temps faibles, et vient compléter le travail d’équilibrage de la batterie. Par ailleurs, il faut noter que le mixage et le mastering les met en valeur en choisissant de conserver pour eux un son plutôt simple et presque brut, leur donnant une assise solide, et un côté terrien qui viennent épaissir et consolider le morceau. Cette stabilité rythmique offre aux autres instruments une liberté intéressante qui amène ces moments d’errance, en retombant toujours sur leur pieds. Cela aide aussi à bien mieux sentir les différentes métriques des morceaux, qui ne se limitent pas à du 4/4, mais sont bien plus tout terrain entre le 6/4, le 5/4, ou les break en 2/4. Le déséquilibre qui est apporté par ces différentes métriques est ainsi souligné par la solidité et la sérénité du duo basse/batterie. Il est une des pièces maîtresses de la musique de Capturne qui permet de jouir d’une grande liberté rythmique, mélodique et harmonique.

Capturne, c’est six titres, dont deux éditions d’un même morceau, « Listen Up », que certains connaissaient quand la formation existait avec trois musiciens, mais réarrangés à la sauce de l’EP. Six titres qui chacun à leur façon proposent des univers musicaux différents, du puissant Iron Maiden, au doux Listen Up justement qui mélange des sonorités orientales et une harmonisation rock, en passant par Filtered, parenthèse plus pop très agréable à la guitare acoustique. C’est six titres, mais une véritable envie de faire de la musique, et une identité made in Lyon qui, je pense, va en épater plus d’un, surtout quand on sait que le groupe s’est enregistré de manière totalement autonome dans leur studio personnel et a laissé le seul soin du mastering au studio Purple Sheep, qui continue de prouver son super travail. Un tel professionnalisme et une telle qualité musicale ça s’écoute, et surtout ça se partage. Alors, comme le dit si bien le groupe Capturne lui-même : listen up !
Credits : Slip Over Production, Studio Purple Sheep, Southside studio
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