Critique de Le Mans 66 (13 novembre 2019) de James Mangold
Lorsque pointe la fin du jour, un homme et son fils se retrouvent seuls sur une piste d’entraînement. Le temps s’arrête, figé par la chaleur des couleurs bleutées et orangées du coucher de soleil épousant la totalité de l’arrière-plan des images. Les deux silhouettes s’assoient à même le bitume et entament une conversation des plus touchante : le père, émouvant Christian Bale, confie à son fils son amour pour la course. Soudainement, d’autres images surgissent, comme déterrées par la mise en scène : Martin Sheen faisant face à un coucher de soleil peut-être aussi beau – contemplant lui aussi un avenir incertain – dans La balade sauvage de Terrence Malick. Si un tel sentiment de réminiscence est rendu possible, c’est parce que le cinéma de James Mangold n’a jamais autant fait rejaillir les émotions circulant entre ses personnages. Au souvenir de son dernier film, Le mans 66, les vrombissements des moteurs paraissent bien lointains, s’évaporant derrière la vérité d’affects qui apparaissent et disparaissent aussi vite à l’image que ne passent les bolides sous les yeux de la foule en folie.
En guise de départ au Mans 66, la rivalité entre deux compagnies automobiles. Lorsque Enzo Ferrari refuse au petit fils d’Henry Ford le rachat de son entreprise, n’oubliant pas de l’insulter au passage, l’entrepreneur américain se met en tête de battre son rival sur le terrain où il excelle : la course, et plus précisément les 24h du Mans. Henry Ford charge Lee Iacocca (Jon Bernthal) de monter l’équipe qui mettra au point la voiture la plus rapide qui soit. C’est Carroll Shelby (Matt Damon), ancien vainqueur du Mans, qui est désigné pour ce travail. Mais pour battre Ferrari, la vitesse ne suffit pas, il faut également le meilleur pilote qui soit. Ne pouvant plus courir, Shelby engage Ken Miles (Christian Bale), véritable tête brûlée, pour piloter le nouveau modèle de Ford : la GT 40.
Cette vérité historique n’est qu’un prétexte. Comme dans Walk the line, ce qui intéresse le cinéaste, c’est moins l’Histoire que les liens unissant ses figures, qu’il s’agisse de Johnny Cash et sa femme ou, dans Le mans 66, de Ken et son entourage. De fait, le biopic devient une question d’affects, James Mangold dressant moins le portrait d’un héros que celui d’un homme, une toile qu’il faut déplier pour en saisir toute la sensibilité.
Le caractère de Miles peut se résumer en un geste. Lorsque Shelby se permet de lui faire la morale lors d’un championnat, il manque de se prendre une clé à molette en plein visage. L’esquivant de peu, elle finira par briser le pare-brise de la voiture de son ami, ce qui n’empêchera pas ce dernier de finir en tête de la course. Ken Miles possède un tempérament impulsif. Comme dans ce cas précis, sa logique cède rapidement la place aux émotions. Le mans 66 est un film nerveux, à la mise en scène tressaillante. Durant les séquences de course, James Mangold privilégie les gros plans – sur le visage de Miles ou adoptant le point de vue subjectif des pilotes. De même, les véhicules lancés à toute vitesse sur les circuits sont cadrés au plus près. En gardant de la sorte une proximité avec les personnages, la mise en scène fait moins ressortir l’enjeu des courses que la tension éprouvée par les individus au volant. On se souvient ainsi davantage de la sueur et des yeux exorbités de Ken Miles – fatigué par plus de vingt heures de conduite – que de ses prouesses sportives.
La nervosité des séquences de course n’a d’égale que la beauté des relations unissant les personnages. Le circuit n’est pas que vrombissement, vitesse et carambolage. Il est surtout une affaire de sentiments. James Mangold le montre très bien lorsque le fils de Miles reconstitue le parcours des 24h du Mans sur un bout de carton pour suivre son père à la télévision. L’audace d’un tel biopic est concentré dans cette séquence : les relations familiales priment sur la course, Le Mans 66 étant davantage le portrait d’une famille américaine. C’est pourquoi on lui pardonne facilement certains clichés – la représentation des italiens, par exemple – car ils s’effacent derrière la générosité d’un metteur en scène près à tout pour rendre leur humanité à des individus devenus, avec le temps, des figures historiques. Il faudrait alors être insensible pour oublier la relation unissant Ken Miles à sa femme, laquelle le rejoint en pleine nuit dans un hangar rempli de voitures de sport. L’occasion de passer, encore et toujours, un moment avec lui dont l’intimité soudaine le déconnectera un temps des circuits.
Comme le faisait déjà à une autre échelle Damien Chazelle dans First Man, James Mangold rectifie la mémoire collective pour en faire ressortir l’individualité, les sentiments, l’amour. Il faut défendre ces biopics, et se rendre à l’évidence : ils écrasent leurs rivaux, Bohemian Rhapsody en tête. Le film de Bryan Singer se permettait de réécrire l’histoire au point d’en oublier l’ambiguïté de son personnage principal et ce qui le définissait en tant qu’être humain. Et Freddy Mercury a beau être plus extravagant que Ken Miles et Neil Armstrong, on retiendra davantage le sourire de Christian Bale et les larmes de Ryan Gosling que les mimiques insupportables de Rami Malek.
Photographies : Twentieth Century Fox France.