Chroniques cinéma : décembre 2022-janvier 2023

Avatar : La Voie de l’eau (Avatar: The Way of Water), de James Cameron [sortie le 14 décembre 2022 en salles]

Succès massif sorti à la toute fin d’une année où peu de blockbusters ont su tirer leur épingle du jeu, Avatar : La Voie de l’eau, huitième long-métrage de fiction de James Cameron et suite très attendue d’un premier opus qui a déjà 13 ans, ne donne pourtant pas beaucoup d’espoir d’un point de vue artistique quant au futur du cinéma populaire. Avec son absence presque totale d’intérêt narratif et thématique, cette gigantesque démonstration technologique de plus de 3 heures a tout de même de quoi questionner. La majorité des spectateurs semble se laisser véritablement sidérer par un univers audiovisuel certes foisonnant – et présenté avec une claire volonté immersive, permise par la 3D et l’ajout cette fois-ci de la fréquence d’images variable, censée apporter une plus grande fluidité aux mouvements des personnages et des éléments – au point d’oublier que ce que l’on nous raconte est d’une affligeante pauvreté.

Le film est d’abord extrêmement prévisible dans son déroulé, parce que Cameron, que l’on voudrait toujours nous vendre comme un conteur singulier et innovant, se contente d’aligner les situations les plus élémentaires sans vraiment s’attacher aux motivations profondes des personnages. L’auteur et ses quatre scénaristes ne semblent jamais conscients de la faiblesse idéologique du propos qu’ils portent à travers leur fragile tentative de nouveau mythe de science-fiction. L’ensemble donne finalement l’impression que personne ne s’est vraiment demandé ce qu’on cherchait à dire et montrer au-delà de la fabrication par ordinateur d’un « monde nouveau », où les humains sont relégués au rôle d’ordures uniquement guidées par la haine et l’avidité, tandis que l’on réserve l’héroïsme à des figures anthropomorphiques, miroirs d’une vision primitive de l’homme idéalement en accord avec la nature qui l’entoure.

On imagine bien que Cameron a l’ambition de complexifier ce principe conflictuel basique dans les trois suites, qui doivent désormais sortir tous les deux ans jusqu’en 2028. Seulement on ne voit pas comment il pourra se sortir de l’impasse créative que soulève l’univers d’Avatar : son récit n’a pour l’instant aucun pouvoir allégorique digne de ce nom. Le réalisateur réussit parfois à tisser un parallèle évident avec notre réalité – voir ici ce scientifique dont les recherches sont financées par les bénéfices tirées de l’exploitation des ressources végétales et animales de la planète Pandora, qui semble représenter Cameron lui-même –, mais il est difficile de croire qu’un monde fictif régi par des règles aussi conservatrices et simplistes devienne soudainement porteur d’un discours nuancé et juste sur l’humanité contemporaine. 

Le peuple de l’eau dans Avatar 2 (Walt Disney Studios)

Complaisant avec les points de vue les plus régressifs quant aux notions de famille, de parentalité, de communauté, de culture, de genre, de hiérarchie et même de spiritualité, Avatar : La Voie de l’eau oublie même son message prétendument écologiste en se noyant dans une imagerie synthétique qui ne reflète en rien notre environnement réel, avant de se terminer dans un déluge de pyrotechnie, où la violence est dépolitisée et la destruction ne semble jamais définitive. Devant un projet qui manque autant d’implication et de travail quant à ce qu’il signifie, aucun effet spectaculaire ne peut marquer durablement l’âme de celles et ceux qui espéraient mieux.

Honor Society [disponible depuis le 23 décembre 2022 sur la plateforme Paramount+]

Teen movie sorti pendant l’été 2022 aux États-Unis, Honor Society vient de débarquer en France en même temps que la plateforme Paramount+ sur laquelle le film est exclusivement diffusé. Héritier émérite d’une veine féministe et satirique du genre, qui remonte au moins à Heathers (Michael Lehmann, 1988) – petit joyau noir avec Winona Ryder et Christian Slater –, Honor Society actualise  avec précision les codes d’un film comme Mean Girls (2004) pour la génération d’Angèle et de Billie Eilish. Le manque d’inspiration visuelle du projet, qui ne tente jamais d’atteindre la stylisation de Heathers ou même du Clueless (1995) d’Amy Heckerling et qui fait un usage un peu excessif de transitions numériques assez attendues, n’est pas dramatique au vu de l’excellence de l’écriture et de l’interprétation. 

Gaten Matarazzo et Angourie Rice dans Honor Society (Paramount+ / Viacom International)

Angourie Rice joue la protagoniste-titre, Honor, élève brillante, amie avec deux des filles les plus populaires du lycée, qui nourrit l’ambition d’être acceptée dans l’une des meilleures universités du pays pour ne pas avoir à revenir dans sa petite ville sans histoire, qu’elle imagine sans avenir. Rice, révélée lorsqu’elle était jeune adolescente dans l’irrésistible The Nice Guys (Shane Black, 2016), trouve enfin ici un rôle à sa mesure. Honor brise ainsi régulièrement le quatrième mur pour nous décrire son monde avec un cynisme décomplexé – on pense au dispositif de la série Fleabag (Phoebe Waller-Bridge, 2016 et 2019) – avant de se révéler touchante, vulnérable et aimante lorsqu’elle est confrontée aux complexités inattendues du réel. Les personnages que croise Honor ont presque toujours plus de facettes qu’ils ne lui laissent supposer au départ, et l’humour qui ressort des situations ne se dirige jamais vers des cibles faciles. Finement observateur des structures sociales en place dès le lycée, et étonnamment frontal quant aux anxiétés économiques de la jeunesse contemporaine, Honor Society est un bel exemple de teen movie sensible et habile, qui devrait convaincre les amateurs du genre et séduire les spectateurs qui apprécient les portraits de personnages nuancés.

Avoue, Fletch (Confess, Fletch), de Greg Mottola [sortie le 12 janvier 2023 en VOD]

Dans le genre bien connu de la comédie policière décontractée, Confess, Fletch est une excellente surprise malgré une sortie française particulièrement confidentielle en VOD sous le titre Avoue, Fletch, qui relève de la traduction littérale malheureuse et ne risque pas d’attirer les foules. Production Miramax – l’ancienne compagnie des frères Weinstein, désormais détenue par le groupe Paramount – bénéficiant d’un budget confortable de 20 millions de dollars, le film est l’adaptation de l’un des romans de Gregory Mcdonald consacrés à Irwin Maurice Fletcher, journaliste d’investigation déjà interprété à deux reprises dans les années 1980 par Chevy Chase. Quasiment inconnu en France, le personnage est facilement assimilable à partir de cet opus à l’entrain communicatif, tremplin pour les capacités comiques de Jon Hamm, acteur qui a du mal à se détacher du rôle de Don Draper, l’anti-héros de la série Mad Men, pourtant terminée depuis 2015.

Hamm porte le film avec un étrange mélange de détermination et de nonchalance qui donne une consistance paradoxale au personnage de Fletch, même lorsqu’il se retrouve dans les situations les plus ubuesques. Les seconds rôles sont tous soignés, la distribution alliant des visages auxquels l’on est habitué – Kyle MacLachlan, Marcia Gay Harden ou John Slattery – et des nouveaux venus talentueux – on pense notamment à l’irrésistible duo de flics incarné par Ayden Mayeri et Ray Wood Jr., convaincu que Fletch est le meurtrier qu’ils recherchent. La réalisation reste fonctionnelle mais Greg Mottola – surtout connu pour la mise en scène de SuperGrave (2007) et de Paul (2011) bien qu’il ait également tourné deux de ses scénarios originaux avec The Daytrippers (1996) et Adventureland (2007) – a le mérite de maintenir l’attention sur les dialogues qu’il a cosigné et de laisser ses acteurs interagir avec naturel, ce qui participe beaucoup à l’intérêt du film. Même s’il est peu probable que Confess, Fletch, victime aux États-Unis de l’une de ces incompréhensibles sorties simultanées en ligne et dans un parc réduit de salles, donne lieu à une nouvelle franchise, il serait dommage de bouder son plaisir devant cette comédie américaine de studio curieusement surannée mais très réjouissante dans notre grisaille contemporaine.

Weird: The Al Yankovic Story, d’Eric Appel [inédit en France, sans date de sortie prévue]

Daniel Radcliffe joue Al Yankovic dans Weird (The Roku Channel)

Weird: The Al Yankovic Story est le type de projet qui, sur le papier, semble s’écrire tout seul avec la quasi-certitude d’aboutir à un film intéressant. Malheureusement, cette parodie de biopic musical consacrée au fameux chanteur et accordéoniste « Weird Al » Yankovic – parolier de talent et satiriste hors pair de l’industrie du disque connu depuis le début des années 1980 pour ses détournements comiques de tubes et ses medleys où il reprend des chansons à la sauce polka – ne transcende pas sa bonne idée de base. Le résultat final donne l’impression que Yankovic, pourtant très impliqué à l’écriture, et le réalisateur Eric Appel n’ont pas su construire un scénario abouti, et qu’ils ont sauvé les meubles grâce à la qualité de production, qui peut surprendre venant d’une petite plateforme de streaming comme The Roku Channel. La multiplication de caméos sans grand intérêt – parmi lesquels compte Yankovic lui-même, qui interprète Tony Scotti, le cofondateur du label qui l’a signé au début de sa carrière – semble d’ailleurs aller dans ce sens.

Choisi pour incarner Yankovic, Daniel Radcliffe s’en sort avec les honneurs par une implication impressionnante, même si le personnage est assez faiblement caractérisé, à la fois trop déphasé pour être crédible et jamais assez délirant pour provoquer l’hilarité. Les ressorts comiques viennent étonnement moins de Yankovic lui-même que de son environnement, portraituré comme un univers absurde façonné par les clichés du biopic musical. Comme il se souhaite détaché de toute forme de réalité, le film perd d’office la potentialité satirique qui aurait pu servir de fil conducteur, et les quelques références pointées manquent clairement de sens – on pense notamment à cette scène de concert étrange qui évoque une prestation controversée des Doors à Miami en 1969, lors de laquelle Jim Morrison se serait exhibé. Le manque de pertinence du film quant à sa forme parodique même est d’autant plus surprenant qu’il sort 15 ans après Walk Hard: The Dewey Cox Story, comédie de Jake Kasdan qui reprenait la structure du biopic musical pour raconter la vie d’un musicien fictif, et digérait bien mieux les codes du genre et les grands moments mythiques de l’histoire du rock.

Par ailleurs, une particularité donne à Weird une dimension assez déplaisante : Appel et Yankovic ont choisi de laisser une place importante dans le film à une autre personnalité de l’industrie musicale qui a émergé dans les années 80, à savoir Madonna. Interprétée par Evan Rachel Wood – totalement convaincante et loin au-dessus du reste du niveau du film –, Madonna est utilisée comme antagoniste dans un récit qui n’en avait pas besoin, reconduisant la représentation misogyne de la femme vénale et manipulatrice. Si Madonna, provocatrice notoire qui a toujours cherché une forme d’attention parfois malsaine au cours de sa longue carrière, a bien des facettes qui méritent d’être discutées, rien ne semble vraiment justifier ce choix d’une médisance certaine, et sans pertinence satirique. Cette faute de goût, ainsi que le fait que l’action se déroule entièrement dans les années 80, alors que Yankovic a lui-même une carrière longue de plus de 30 ans et riche d’une quinzaine d’albums, finissent par donner au spectateur la sensation de voir un produit très en retard sur son époque. Weird n’est finalement pas loin d’être une tentative pathétique pour revenir sur le devant de la scène, qu’on ne conseillerait même pas aux amateurs de Yankovic.

Image mise en avant : Honor Society (Paramount+ / Viacom International)

Laisser un commentaire