Critique de Halloween Kills (sorti le 20 octobre 2021) de David Gordon Green
Les premiers retours d’Halloween Kills, présenté cette année à la Mostra de Venise en hors-compétition, aimaient pointer du doigt les nombreux morts présents au sein du film. S’il est vrai que le personnage de Michael Myers semble y déchaîner plus que jamais sa folie meurtrière – lors de sa réapparition, il massacre une dizaine de pompiers, atteignant en l’espace de quelques secondes le nombre de victimes du film précédent -, la surprise émane moins de l’exposition du tableau de chasse que de la manière dont la curée est mise en scène.
Un couple de personnes âgées semble profiter agréablement de sa soirée – musique et verres de vin obligent. Soudain, un son inquiétant se fait entendre en hors-champ, un hors-champ s’immisçant dans le champ du plan suivant par une porte entrouverte sur un espace baignant dans une obscurité totale : le vestibule de la maison. Un lieu de passage, frontière entre intérieur et extérieur. En ce début de séquence, la figure de Michael Myers est mise en scène telle que pouvait le faire John Carpenter (La nuit des masques, 1978), soit comme une incarnation quasi-fantomatique du mal aimant à s’immiscer entre les espaces d’un territoire, la banlieue résidentielle américaine.
Cependant, Myers pénètre dans la maison pour y déployer une violence inhabituelle – du moins, graphiquement. Il roue de coups le vieil homme avant de briser un néon électrique en deux pour l’enfoncer lentement dans le cou de sa compagne. La frontalité des gros plans et la brutalité sans nom exprimée par le montage sonore accompagnent le mode opératoire du psychopathe, entre chocs, déchirements et effusions de sang. Enfin, celui que certains aiment appeler le croquemitaine choisit de mettre en scène la fin de sa tuerie : il installe la vieille dame contre un meuble de la cuisine – spectatrice à l’agonie, la gorge ouverte et les yeux presque livides – et tue lentement son mari sous ses yeux, en plantant à plusieurs reprises des couteaux dans son dos. Si un tel revirement dans la mise en scène du personnage peut avoir de quoi décontenancer les accoutumés de la saga, il faut néanmoins le penser à l’aune d’une vision qui n’est plus celle de John Carpenter, mais de David Gordon Green, réalisateur et co-scénariste de cette nouvelle trilogie.

Dans Halloween (David Gordon Green, 2018), le réalisateur, il est vrai, choisit d’abord de mettre en scène Michael Myers d’une façon qu’il est possible de qualifier de traditionnelle durant la première partie de son film, au sommet de laquelle trône un plan-séquence virtuose. Le personnage, figure insaisissable, traverse les espaces, pénètre dans les lieux intimes – une cuisine, un salon – pour étancher sa soif de sang. Ici, la mise en scène ne sombre jamais dans ce qui serait de l’ordre d’un étalement graphique de la violence – Michael tue en hors-champ une dame dans sa cuisine, contre-point absolu à la séquence d’Halloween Kills évoquée précédemment.
Mais cette vision carpenterienne se trouve vite évincée par la volonté de mettre en scène un débordement du mal habitant Myers à travers le traitement de la figure de Laurie Strode, survivante du film de 1978. Un véritable jeu de résonance se met alors en place entre le film de David Gordon Green et celui de Carpenter, les corps de Myers et Strode devenant interchangeables entre les deux œuvres, le premier devenant la seconde et inversement – une traque contrariée et inversée. Aussi, le premier volet de la trilogie de Gordon Green actualise la belle pensée que Serge Daney formulait à propos d’Apocalypse Now : “Le cinéma américain ne cesse depuis peu de tourner autour d’un thème qui est la présence de l’Autre en nous” (Serge Daney et Pascal Bonitzer, « Apocalypse Now de Francis Ford Coppola » in Le Goût de l’Amérique, Petite Anthologie des Cahiers du Cinéma, Paris, 2001, p.119).
Dans Halloween Kills, David Gordon Green choisit de poursuivre cette réflexion concernant le débordement du mal. A l’occasion de la sortie du premier volet et dans un texte publié sur notre webzine, Robin Bertrand voyait judicieusement Michael Myers comme une “enveloppe immatérielle possédant les espaces et les objets pour déployer leur potentiel de terreur”. Il est possible d’augmenter cette formule en affirmant que cette enveloppe possède désormais toute la population d’Haddonfield, à commencer par des survivants du film original devenus adultes ainsi que d’autres du film précédent – parmi lesquels la petite fille de Laurie et son petit-ami. Ainsi, Tommy (que Strode gardait dans le premier film) et ses camarades se mettent rapidement en tête de prendre en chasse Myers à travers la ville – les institutions, notamment la police, ayant selon eux échouées à les protéger.

De fait, le monstre disparaît pendant une assez longue partie du film. Il faut alors voir comment les masses s’organisent et se rassemblent dans la rue, produisant des mouvements de foules pouvant aller jusqu’à l’expression d’une folie meurtrière : de nombreuses personnes finissent par prendre en chasse au sein de l’hôpital une personne qu’elles pensent être Michael Myers. Aussi, Halloween Kills rappelle par moments le Furie (1936) de Fritz Lang, où une foule en colère s’en prenait également à un innocent au nom de la justice. C’est dans cette séquence que s’exprime sans doute le mieux le talent de Gordon Green. Ces personnes, hurlant dans les couloirs de l’hôpital et devenant impossibles à contrôler, ne forment plus qu’une masse informe et en mouvement – expression d’un mal débordant propagée par la nouvelle intrusion de Michael au sein de la communauté -, rappelant indéniablement les zombies peuplant les films de George A. Romero.

Aussi, si le premier volet actualise une formule de Serge Daney, il serait tentant de voir dans celui-ci la mise à jour d’une affirmation de Jean-Baptiste Thoret, prononcée au sujet du film Zombie (Dawn of the Dead, George A. Romero, 1979) : “lorsqu’il n’y a plus de place dans le hors-champ, les monstres se promènent dans le cadre” (Jean-Baptiste Thoret, Le Cinéma Américain des années 70, Les éditions de l’étoile, Cahiers du cinéma, Paris, 2006). Elle se trouve là, la fracture opérée par David Gordon Green : refuser l’appartenance de Michael Myers au hors-champ revient à déclencher une furie collective et visuelle.