Animēshon Festival 2020 : le Japon indétrônable (2/2)

L’animation asiatique en France a encore de beaux jours devant elle et l’Animēshon Festival en est la preuve. Malgré un report du festival, les règles sanitaires strictes et un temps qui donne envie de tout faire sauf de sortir de chez soi, les salles de cinéma du Scénario à Saint-Priest étaient presque toujours bien pleines, même celle du dimanche matin.

Séance présentée et introduite par l’une des membres de l’équipe de bénévoles

Créé à la suite d’une projection de Princesse Mononoké qui a fait salle comble, l’Animēshon Festival est un petit festival de la région lyonnaise, composé d’une équipe de jeunes bénévoles en charge de la programmation, la communication mais aussi l’animation avant et entre les séances. Depuis 4 ans maintenant et sans subventions, ils mêlent dans leur programmation des classiques de l’animation (comme Akira en 2019 ou Ghost in the Shell en 2018) à des avant-premières ou inédits en salle (Sword Art Online: Ordinal Scale en 2017 pour leur première édition ou On Gaku : Notre rock ! en 2020).

Teaser et présentation de la programmation du festival

4e édition du festival : une programmation réduite mais dense

Prévue originellement en avril, la 4e édition de l’Animēshon Festival s’est tenue sur deux jours au lieu de trois avec une programmation plus réduite mais toute fraîche, entièrement différente de celle prévue pour avril afin de proposer un contenu actuel, inédit et/ou en avant-première. La séance d’ouverture du samedi soir proposait Ride Your Wave de Masaaki Yuasa, en avant-première (film sorti en France uniquement au Festival d’Annecy de 2019). Elle était précédée d’une animation de danse, plus précisément de yosakoi, performée par le groupe lyonnais Komainu Yosakoi, ainsi que d’un blind test spécial animation asiatique, vous vous en douterez. La journée du dimanche bien dense était composée de cinq films dont trois en avant-première et un inédit. La séance de clôture était Lupin III: The First de Takashi Yamazaki dont la sortie est prévue en France en octobre 2020, avec une nouvelle et différente animation de yosakoi. Revenons maintenant plus en détail sur tous les films qui ont composé ce festival avec pour terminer : On-Gaku: Notre rock !, Les Mondes parallèles et Lupin III: The First.


On-Gaku : Notre rock ! (Ongaku) [2020, avant-première en France] de Kenji Iwaisawa

On-Gaku était clairement la curiosité à part dans la sélection d’Animēshon cette année. Avec son humour absurde, sa lenteur pachydermique et son récit lacunaire qui revisite de manière triviale la mythologie rock, le film de Kenji Iwaisawa séduit tout autant qu’il désarçonne. Adapté d’un manga de Hiroyuki Ōhashi, On-Gaku suit sur une très courte durée – 1h10 à peine – le quotidien de trois lycéens oisifs et presque apathiques, qui décident de monter un groupe le jour où leur meneur Kenji se retrouve par hasard en possession d’une basse électrique. Totalement inexpérimentés et semble-t-il complètement ignorants quant à la notion même de musique, les trois amis se contentent de marteler mécaniquement leurs instruments – deux basses, un tom basse et une caisse claire –, en étant visiblement fascinés par le résultat. Cette incongruité d’un rapport primitif à la création donne aux personnages une candeur en total décalage avec leur environnement, sorte de variation dévitalisée et ridicule autour des films de lycéens loubards.

Kenji, notre héros au charisme invraisemblable

Iwaisawa rejoue donc avec malice une rivalité de gangs inspirée par Grease ou The Warriors, mais met surtout en scène le frisson créé par le rock dans un univers à la monotonie étouffante. Intervient dans ce sens le personnage de Morita, folkeuse introvertie qui trouve dans la « musique » de Kenji et ses compères l’inspiration pour mettre fin à ses inhibitions. Ainsi, une séquence hallucinatoire de rêve fait traverser à Morita un paysage psychédélique se référant à tout un pan de la culture classic rock anglo-saxonne, de Pink Floyd à Lennon, et allant jusqu’à citer le tableau Ophelia de John Everett Millais, inspiré du personnage de Hamlet. Si raconté ainsi, On-Gaku paraît une chronique quasi-existentielle autour de la découverte par une jeunesse désœuvrée des pouvoirs transcendantaux de l’art, cette dimension philosophique est constamment désamorcée par une drôlerie inopinée.

La pochette d’Abbey Road des Beatles parodiée avec les personnages du film

Le réalisateur n’hésite ainsi pas à s’attarder pendant près de 30 secondes sur le visage illisible de Kenji, son héros par défaut privé d’intériorité et a priori incapable de la moindre réflexion, alors qu’un personnage attend de lui une réaction ou une décision. De même, il met en place des situations inattendues – comme lorsque Kenji commet un attouchement sexuel sur son amie Aya et se prend une baffe de sa victime en retour – sans que leur occurrence n’ait de conséquences sur la suite de l’action. Cette approche a de quoi frustrer au premier abord, mais Iwaisawa semble à travers elle nous demander un lâcher-prise qui trouve sa plus belle expression dans une séquence de concert en forme d’apothéose aussi vide de sens que réjouissante d’un pur point de vue sensoriel. On-Gaku se révèle finalement un projet conjuguant l’humilité et la passion avec un certain panache, malgré une écriture minimaliste et une animation rudimentaire, qui peuvent certes laisser insensible, mais ont le mérite d’être réellement singulières.


Les Mondes parallèles (Ashita sekai ga owaru to shitemo) [2019, inédit en salle] de Yuhei Sakuragi

La séance la plus plébiscitée en termes d’entrées de cette édition en était peut-être pourtant la moins saisissante. Programmé en milieu d’après-midi, Les Mondes parallèles a donc réuni le public le plus nombreux et varié, et ce, même si les retours autour du film étaient largement mitigés. Première réalisation de l’animateur 3D Yuhei Sakuragi, Les Mondes parallèles est un film de science-fiction allié avec un certain sens de l’équilibre à une romance adolescente. Il se déroule dans un monde où deux versions du Japon coexistent : la nôtre, monarchie constitutionnelle ultramoderne, et son envers torturé, une forme d’oligarchie tyrannique rétro-futuriste, vision dystopique à mi-chemin entre Ghost in the Shell et La Forteresse cachée. Le protagoniste du récit, Shin, est un adolescent mutique qui a bien du mal à se remettre de la disparition de sa mère, morte subitement devant ses yeux alors qu’il était enfant. L’action débute lorsque son père, chercheur dont il est distant, meurt à son tour dans des circonstances analogues. Un double de lui-même débarque alors avec l’intention d’assassiner son amie d’enfance Kotori…

Les protagonistes Shin et Kotori en plein tourbillon adolescent

Tout cela paraît confus et alambiqué, et pour cause : Sakuragi, visiblement très ambitieux, multiplie les retournements scénaristiques et les concepts pseudo-scientifiques, mais ne se donne qu’1h30 pour tout expliquer et faire aboutir son histoire. Cette limitation de durée mène à une narration bancale et déséquilibrée. À l’instar de Promare, le film de Sakuragi nous demande d’accepter que les règles de son univers s’accumulent tout au long de son récit. Malheureusement, il n’a ni la même énergie kinétique, ni la splendeur visuelle du film d’Imaishi. Sans cette valeur ajoutée purement formelle, la fragilité des fondations du projet apparaît malheureusement très distinctement.

Riko, l’une des androïdes du film, lors de sa première apparition

On pourrait même renchérir dans le négatif en ce qui concerne la qualité de caractérisation et d’animation des personnages humains. Shin et Kotori ont ainsi des personnalités assez stéréotypées, et les mouvements saccadés de leurs corps, animés numériquement mais gardant une apparence 2D, n’aident pas à s’impliquer dans leur destinée pourtant emprunte d’une certaine force tragique. Les personnages d’androïdes adjuvantes des héros se révèlent étonnamment plus attachantes, peut-être aussi parce que leur traitement est un peu plus original. En définitive, si le spectacle des Mondes parallèles n’a rien de honteux – les scènes de combat étant plutôt bien troussées –, il manque clairement de chair et d’âme, laissant seulement l’impression d’un divertissement très oubliable.


Lupin III: The First [2019, avant-première en France] de Takashi Yamazaki

Pour clôturer cette courte édition d’Animēshon, l’équipe de programmation avait donc sélectionné la nouvelle aventure cinématographique de Lupin III, attendue dans nos salles pour ce mois d’octobre. Le célèbre personnage, créé à la fin des années 1960 par le mangaka Kazuhiko Katō – alias Monkey Punch – était notamment le héros du premier long-métrage de Hayao Miyazaki, Le Château de Cagliostro (1979). C’est dans cette veine de film d’aventure décomplexé, débarrassé de toute contrainte physique, mais tout de même adressé à l’ensemble de la famille du classique de Miyazaki que souhaite s’inscrire ce Lupin III: The First, avec la différence de taille d’être cette fois-ci entièrement animé en images de synthèse. Cette nouvelle approche graphique, très aboutie – on n’est clairement pas devant une production fauchée – permet de faire entrer en grande pompe Lupin III dans le nouveau millénaire, sans pour autant dénaturer quoique ce soit des caractéristiques fondamentales des personnages ou des intrigues de Monkey Punch, qui avait d’ailleurs adoubé le projet avant sa mort en 2019.

L’équipe de Lupin au grand complet

L’intrigue de Lupin III: The First rappelle très nettement la formule des films Indiana Jones. On est ici en quête d’un artefact, un livre laissé par un archéologue français tué par la Gestapo, qu’on ne peut ouvrir qu’avec une clé spécifique et en connaissance d’un mot de passe secret. Cet objet donne les instructions d’accès à une arme chimique surpuissante, sur laquelle veulent évidemment mettre la main d’anciens nazis nostalgiques du IIIe Reich. L’action se déroule dans un temps indistinct, entre les années 1950 et 1960, dans ce monde parallèle si étrange de Lupin III, ce gentleman cambrioleur, petit-fils visiblement franco-japonais d’Arsène Lupin, affublé de ses compagnons plus ou moins fidèles, Daisuke Jigen et Goemon Ishikawa XIII, dont l’apparence habituelle est ici fidèlement retranscrite. À la recherche du livre, Lupin se lie rapidement avec Laetitia, jeune archéologue dont la véritable identité n’échappera pas aux plus attentifs, vivant sous la coupe de son grand-père Lambert, chercheur et ancien collaborateur nazi dont les intentions sont pour le moins troubles.

Lupin et Laetitia face à leurs identités respectives

Le réalisateur et scénariste Takashi Yamazaki, fier de l’expérience de déjà vingt ans de carrière dans le cinéma japonais, orchestre cette intrigue rocambolesque avec un enthousiasme communicatif, visiblement heureux de faire revivre cet univers aux potentialités ludiques infinies. De la même manière que Miyazaki, Yamazaki évacue l’amoralité de Lupin et ne dépeint pas les aspects les plus explicites de ses aventures. Seule exception, Fujiko Mine, la cambrioleuse rivale avec laquelle notre protagoniste flirte allègrement, est représentée avec un nouveau design qui met largement en avant sa sensualité et sa capacité de séduction. Cette présence d’une femme fatale sexualisée dénote avec le ton très enfantin et léger du film, mais n’est pas non plus dommageable : Yamazaki est parvenu à équilibrer son divertissement pour qu’un public plus âgé puisse aussi s’y retrouver. Le réalisateur est même parvenu à insuffler à son scénario de vraies belles idées sur la transmission, l’héritage et la bravoure face à l’avidité du monde, qui offrent à l’ensemble un beau poids dramatique. Le personnage de Laetitia suit notamment une trajectoire d’émancipation vraiment émouvante.

Fujiko Mine dans son look de début de film

En définitive, la grande joie de découvrir ce Lupin III: The First était à l’image de tout le festival. Même écourté, même avec les conditions sanitaires déplorables qui sont les nôtres, Animēshon est parvenu, notamment grâce à son équipe impliquée et passionnée, à transmettre le goût d’une animation japonaise polymorphe et audacieuse. Ce cinéma à part, capable de traiter sérieusement tous les âges de la vie sans mettre de côté l’imagination la plus débridée, a encore, on l’espère, de beaux jours devant lui. Animēshon reviendra, si tout va bien, au printemps prochain au Scénario de Saint-Priest, pour nous faire vivre les dernières créations de ce pan culturel indéniablement passionnant.

Crédits illustrations : Animēshon et le Scénario de Saint-Priest pour les images du festival ; Rock’n Roll Mountain et Eurozoom pour On-Gaku ; Shochiku et Eurozoom pour Les Mondes parallèles ; Toho Company et Eurozoom pour Lupin III: The First

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