Die, Motherfucker ! Die !!! : The end of our age ?

Critique de l’album Die Motherfucker ! Die !!! de Apple Jelly (sortie prévue le 25 septembre 2020)

C’est dans un contexte bien particulier que le groupe lyonnais Apple Jelly sort son troisième album Die, Motherfucker ! Die !!! ce vendredi 25 septembre, trois mois après la date de sortie initialement prévue. La crise du Covid-19, continuant de s’étaler indéfiniment sans qu’aucune réelle clarification ne soit apportée, génère en effet un climat de plus en plus tendu où la population, noyée dans une confusion grandissante ne cesse de gagner en frustration, méfiance, et paranoïa. Dans cette ambiance délétère, la défiance envers les gouvernements semble gagner de plus en plus les peuples, et, si elle ne fédère peut-être pas pour autant, on peut penser qu’une rupture est proche, que nous sommes tout prêts d’atteindre un point de non-retour, qu’il soit ou non positif. Dans tous les cas, les différentes psychoses, souffrances et maux de l’époque contemporaine se sont accrus durant cette période, et l’angoisse de ne pas savoir quand la vie retrouvera son « cours normal » vient s’ajouter à toutes celles déjà existantes qui nous suffisaient bien. Un contexte, donc, dans lequel l’album d’Apple Jelly, dont l’enregistrement a débuté il y a maintenant sept ans, s’inscrit parfaitement, venant cristalliser angoisses et tourments d’une époque qui ne tourne décidément pas rond.

Ancré dans un univers violent et marqué par une volonté de subversion en réaction à la vie moderne DMD (Die, Motherfucker ! Die!!!) est un album torturé, ou en tout cas, qui tente de dépeindre ce climat d’angoisse générale. Dans ses textes, BEnn, membre fondateur et chanteur du groupe, s’inscrit dans des thèmes assez durs, sombres voire glauques. Le chanteur semble s’intéresser à des sujets liés à celui plus général d’un « mal du siècle ». Celui-ci est ainsi dépeint dans plusieurs déclinaisons, que ce soit le sentiment de déconnexion avec la société dans des morceaux comme  Take It or Leave It ou du culte aliénant et étouffant de la réussite et de la quête vaine du bonheur dans le morceau-titre Die, Motherfucker ! Die !!! ou encore dans Money Me qui décrit l’ivresse et l’abandon de soi générés par la recherche toujours plus excessive de l’argent. Dans le monde d’aujourd’hui, tout semble voué à l’échec, même dans les relations humaines qui n’aboutissent pas comme l’évoque le morceaux Walking Bass.

« You live so far from me

With the ocean in-between 

You said never satisfied

By my always good results »

Walking Bass

On remarque ici le jeu entre le « jamais » (never) du « tu » (you) et le « toujours » (always) du « je » (my) qui vient scinder fortement le contraste entre les deux individus clairement opposés, justifiant l’impossibilité de la rencontre.

Dans cette même idée, BEnn renvoie ainsi souvent à la collapsologie dans Leaving 2012 ou The End of Our Age, comme angoisse répandue d’un siècle où plus rien ne semble stable. C’est d’ailleurs encore plus parlant avec la période de crise actuelle, où nous sommes plongés dans une confusion et une attente continuelles, nous empêchant un épanouissement sain et humain. Dans un monde aussi criblé de souffrances, de peurs, et de doutes, la satisfaction nous est interdite. Toute cette esthétique de l’échec, de la frustration, de la fin transparaît de manière synthétique dans le clip du morceau DMD. On y suit un jeune homme dans ses errances dans les méandres d’une soirée citadine, qui cristallise tous les non-dits, les frustrations, les fantasmes que l’on cache et qui naissent d’une société hypocrite et malsaine. À la manière d’un Dr Jekyll qui laisse place à Mr Hyde, ce jeune homme sortant tout juste du travail quitte la vie du jour pour celle de la nuit, et s’y abandonne une dernière fois.

Il est intéressant de noter que musicalement Apple Jelly vient accentuer tout ce climat de frustration et de violence ambiant, par un travail assez précis sur la saturation. En effet, on ressent assez souvent une atmosphère « électrique ». Dans DMD, cela se manifeste par le jeu de filtre sur les fréquences, en les faisant passer de basses à hautes assez rapidement sur des sons saturés et distordus des synthétiseurs basses. Par ce procédé se crée toute la montée en pression et le « trop-plein » qui se dégage du morceau, et aboutit à une explosion d’énergie à la fin (du morceau). Ce travail sur le filtre de fréquence se retrouve constamment dans l’album, le plus souvent à l’excès comme dans Money Me dans lequel ses synthés sonnent alors presque comme des alarmes assourdissantes, mais aussi dans des ambiances paradoxalement plus douces, voire mélancoliques, comme pour signaler une instabilité permanente (Walking Bass, Synchronized, Leaving 2012).

Par ailleurs, pour compléter cette esthétique de la saturation, le groupe emploie énormément de procédés de répétition, que ce soit au niveau du chant, où les paroles vont souvent être martelées en boucle, que dans les leitmotiv au synthé, souvent très répétitifs et obsédant. Ainsi, dans Money Me, les nombreuses redites du terme Money vont renforcer un effet de tournis et de vertige déjà accentué par tous les bruitages omniprésents au synthétiseur, comme pour souligner la perversité de l’accumulation de richesse dérivant fatalement à une perte de contrôle. L’idée va être de créer un climat oppressant, alarmant, ayant pour conséquences de mettre tous nos sens en alerte et de nous plonger dans une ambiance très propice à un état de transe à l’image du morceau Control. Le sample ultra-répétitif au synthétiseur souligné par la saturation de la guitare, et soutenu par un groove puissant porté par le duo basse-batterie, nous procure un irrépressible besoin de bouger dans tous les sens. C’est pourquoi son clip quasi-prophétique tourné en 2013 à Londres nous montre un homme en gilet jaune dans les rues de la capitale anglaise en train de danser de manière incontrôlée, en proie à une transe communicative puisqu’une jeune femme le rejoint par la suite, avant qu’ils ne se séparent sans un mot de plus.

Cette transe quasi-subversive par le contexte et le lieu dans lequel elle s’inscrit, c’est-à-dire en plein quartier des affaires dans une grande métropole mondiale, résume finalement l’esprit punk de la musique d’Apple Jelly. Dans une interview publiée sur notre site, BEnn assume sa sympathie pour l’anarchie et le mouvement punk. Outre l’aspect « No Future » qu’on pourrait déceler dans le morceau The End of Our Age, le groupe invite au lâcher-prise. Il s’agit de se laisser aller, de lâcher les freins et de refuser des codes moraux et sociétaux de la société du spectacle qui, en nous faisant vivre hors de nous, ne génère qu’une frustration due à ce manque cruel de vie vraie et décomplexée. Si « everything is always control » (Control) dans un monde qui ne crée que des ascèses, le mieux serait peut-être de ne pas contrôler, de ne pas chercher à tout maîtriser et de se laisser aller à une expérience plus vraie, plus personnelle. En ce sens, Apple Jelly se sert de sa musique comme d’un exutoire, d’un lieu pour y déverser sa rage et laisser libre cours à une transe cathartique. D’où la violence des termes, et des sujets : les quatre points d’exclamations du morceau Die, Motherfucker ! Die !!! soulignent assez bien la colère et la frustration contenues qui explosent. BEnn le martèle plusieurs fois : « Set my spirit free ! ». Cela revient finalement à dire : « je vous emmerde, foutez-moi la paix ». De cette façon, l’individu, disons le « soi », revient un instant au centre des préoccupations. Il s’agit de faire comme on l’entend, selon ses envies, ses dispositions, non pas selon une hiérarchie, un pouvoir et peu importe ce qu’en pensent les autres. De toute façon, en cas de désaccord, comme ils le disent parfaitement eux-même, « you take it or leave it » : c’est à prendre ou à laisser. (Take It or Leave It)

Si cette vision peut sembler radicale et peut-être même contre-productive, elle n’en traduit pas moins une sorte de mécanisme d’autodéfense face à l’écrasement infligé par le monde moderne, permettant de retrouver un moment une sorte de reconnexion avec nous-même. D’autant qu’il ne s’agit pas non plus de refuser l’autre, au contraire, comme dit plus haut, ce retour à soi est communicatif. La place est laissée à la rencontre sensuelle, charnelle, harmonieuse entre deux êtres comme le suggère le doux et sulfureux Synchronized. On y retrouve le recours à la répétition et à l’esthétique saturée mais, ici, pour traduire et souligner l’ivresse du moment et de la rencontre quand les harmonies douces en font ressortir toute la poésie. Ces moments de rencontres sont symbolisés, par le contraste entre la saturation des synthétiseurs et leur jeu de fréquence, et des sonorités plus douces, plus harmonieuses, contraste que l’on retrouve notamment dans Girls in Paris où les sons de cloches s’associent au synthé basse pour un morceau dansant et plutôt calme par rapport au reste de l’album. La musique d’Apple Jelly cherche à communiquer cette envie de tout lâcher, à nous inviter à une ronde ponctuelle, éphémère mais peut-être salvatrice. Aussi le très disco Dance with Me vient souligner cette invitation explicite. Le chant, qui n’est pas sans rappeler David Bowie, apporte une sensualité au morceau le rendant encore plus attractif, le tout dans une polyphonie bien menée. Un titre très dansant aux sonorités des années 80, sur lequel chacun sera ravi de répondre positivement à l’appel.

Au-delà d’une lecture qui trouverait l’album pessimiste dans les sujet abordés, il n’est pas du tout étonnant de noter que le dernier morceau The End of Our Age reste globalement gai malgré le thème fort de la « fin » d’une ère. Partisan de l’idée que l’époque actuelle atteint un point de rupture extrême, plein de souffrances et de saturations, Apple Jelly reste assez ouvert à l’idée d’autre chose, et invite à une expiation ponctuelle, si possible subversive, en tout cas partagée. Alors ne vous inquiétez pas car, même si il n’en a pas l’air comme ça, Die, Motherfucker ! Die !!! ne vous veut (presque) que du bien.

Crédits : Nobody Can See Us, José Daniel, SLip

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