Jojo Rabbit : Un bon aryen

Critique de Jojo Rabbit (29 janvier 2020) de Taika Waititi

En 2017, les habitués des productions du “Marvel Cinematic Universe” furent désemparés lors du visionnage de Thor : Ragnarok. Les pauvres, on les comprend. Notre looser galactique, d’abord castré symboliquement (Hela démantèle son marteau comme un enfant le ferait de ses Lego), perd ensuite tous ses affrontements. Ne parvenant même pas à vaincre son ennemie après la récupération de ses pouvoirs, il finit par s’en remettre à une créature qui détruit son monde et, accessoirement, tout ce qui faisait de lui un héros mythologique. Thor enterré, Thor désacralisé. Mais rien d’étonnant à ce traitement du personnage. Il s’inscrit dans la continuité du travail de Taika Waititi : s’emparer d’un genre et jouer avec ses clichés. Déconstruire, détruire. Aussi, la singularité esthétique de Vampires en toute intimité (What We Do in the Shadows, 2014), exploration burlesque et jouissive d’une autre figure mythologique – le vampire- dans les bas-fonds miteux d’une ville de Nouvelle-Zélande. Il n’était donc pas surprenant d’assister à la naissance du projet Jojo Rabbit, fable initiatique mettant en scène un enfant s’engageant avec fierté dans les jeunesses hitlériennes, et qui a le Führer en guise d’ami imaginaire. Toutefois, passée la saveur du pitch, le dernier film de Taika Waititi est déplorable. Mais surtout, regrettable. Car ce qui faisait la singularité de ses œuvres précédentes est évincé par le politiquement correct, imposé trop souvent de nos jours par la bienséance hollywoodienne. 

Jojo Rabbit, Taika Waititi, Twentieth Century Fox France

Une forêt allemande. La guerre fait rage. Pourtant, tout est propre. Le soleil brille. Ses rayons traversent la cime des pins. Entouré par une bande de jeunes complètement décérébrés, un officier allemand – Sam Rockwell, interprétant de nouveau un alcoolique n’assumant pas son homosexualité – enseigne le maniement de la grenade. Un cri surgit du fond des bois. Interloqué, le nazi regarde au loin. Intervient le contre-champs : un garçon, sûr de lui et hurlant, sort de la brume en courant accompagné du Führer. Les deux acolytes courent vers Sam Rockwell. Jojo, c’est lui, saute, s’empare de la grenade et continue sa course. L’instant, filmé au ralenti, est l’occasion de ridiculiser un topos propre aux films de guerre hollywoodiens, souhaitant anoblir ces instants dépourvus de moralité : la grenade est dégoupillée, le jeune soldat s’apprête à la jeter. Mais il n’y a pas d’ennemis. Seulement des arbres. Elle rebondit sur l’un d’entre eux, pour atterrir aux pieds de Jojo. Plan large : explosion. Le corps s’envole. L’effet spécial fait sourire : on voit le mannequin. L’occasion d’un retour à un burlesque ancestral, oublié. Et l’officier allemand qui, en guise de réaction à l’événement, s’exclame : “Don’t do it !”. Si cette séquence fonctionne dans son unité narrative, un gag, et sa mise en scène, soit l’utilisation d’une forme filmique à des fins comiques, cette réplique résonne comme une sentence. Car Taika Waititi, justement, aurait dû ne pas s’arrêter là, continuer à désobéir comme il le fait si bien. Malheureusement, dans Jojo Rabbit, il tend plutôt vers la pusillanimité. 

Jojo Rabbit, Taika Waititi, Twentieth Century Fox France

Comme dans d’autres films nommés aux oscars- Les filles du docteur March, Scandale -, la narration finit par enterrer la mise en scène. Après son accident, Jojo est gentiment défiguré – on ne montre pas trop, il ne faudrait pas choquer l’audience – et se retrouve à effectuer des tâches insignifiantes pour un bon aryen : placarder des affiches de propagande et récupérer de la ferraille pour l’effort de guerre. Sa mère, incarnée par Scarlett Johansson – qui heureusement sauve son année avec Marriage Story -, cache une jeune juive chez eux. Le récit choisit la voie de l’éducation de Jojo – la rédemption serait un trop grand mot. Alors, Jojo Rabbit devient un film pour demeurés. Car on aurait presque oublié : les nazis ne sont pas gentils et les juifs sont humains. Aussi, les gags de Taika Waititi se retrouvent progressivement noyés sous la bien-pensance et la naïveté aberrante caractérisant la morale de son film. Pourtant, restent des moments de suspension qui nous rendraient presque nostalgique de La Liste de Schindler (Schindler’s List, Steven Spielberg, 1993). Comme lorsque Jojo, alors dans la rue, se relève après avoir joué avec un papillon. Le cadre place son visage au premier plan. Derrière lui, les chaussures d’une personne pendue pour trahison. Un être cher. On ne demandait rien de plus à Taika Waititi. Rien d’autre, uniquement de faire de ses images les lieux d’où surgissent les sentiments.

Jojo Rabbit, Taika Waititi, Twentieth Century Fox France

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