Critique de Le Brio de Yvan Attal, 2017
Cet article va tâcher d’être comme le film : explicite et descriptif. J’essayerai d’y ajouter du fond. Le Brio est un film raté. Radicalement. Fondamentalement. Nécessairement. L’ensemble est sans saveur, sans surprise et les meilleurs moments laissent un arrière-goût d’insatisfaction. Voir ce film ne m’a pas fait souffrir mais j’ai pu expérimenter une sorte de sentiment de déception, alors même que je n’en attendais rien. D’ailleurs, si j’ai regardé ce film, c’est parce que je l’ai connu grâce à la campagne de pub faite sur Facebook, qui montre Neïla, le personnage principal, insulter sur demande Pierre, son professeur. Le fait d’avoir choisi cette scène n’est pas une surprise, c’est celle qui propose sans doute les deux seuls plans travaillés du film. Quant à l’intérêt de voir une personne en insulter une autre, soi disant pour s’entraîner à l’attaque ad hominem, ça se passe de commentaires. Même si cette pub n’était pas très alléchante, le film présente-il malgré tout un intérêt ? Pour parler très généralement, Le Brio, c’est l’histoire d’une banlieusarde, jouée par Camélia Jordana, qui va gagner un concours d’éloquence national en représentant Assas. Mais pour gagner, elle est supportée et coachée par un professeur de droit raciste et méchant, joué par Daniel Auteuil. Le principe général du film repose donc encore une fois sur le fameux effet de rupture qui voit deux opposés s’attirer. Je ne me permettrai pas de reprocher au film d’exploiter ce schéma si la facilité n’était pas au centre du scénario.
C’est sans doute ce qui est le plus exaspérant dans le film. Le Brio est un film à « évidemment ». Évidemment, le méchant prof raciste et agressif va s’attacher à cette petite banlieusarde qui devient une grande championne de l’éloquence en moins d’un an. Évidemment, cette banlieusarde va gagner. Évidemment, on a un rebondissement complètement artificiel à la fin, parce qu’il faut donner quand même du relief à un film morne et monotone. Le film est facile en terme de structure mais aussi dans ses procédés. On retrouve, sans surprise, le coup du couple qui existe uniquement par un baiser, avec Neïla et Mounir. Neïla et Pierre restent des personnages types sans épaisseurs. Ce qui me plaît dans le cinéma, c’est quand il y a un geste, quand on voit, ressent, comprend, que le film n’est pas une évidence qui se déroule devant nos yeux. Le Brio, au contraire, roule tout seul, sans accrocs ni surprises. En termes de ce qu’on pourrait appeler une pratique du cinéma, il n’y a rien à en tirer.
Mais après tout, peut-être qu’il ne faut pas regarder Le Brio comme film mais comme une jolie histoire sur un concours d’éloquence. Pourtant, c’est là tout le problème du film. Cette histoire d’éloquence, d’un binôme improbable et d’une course à la victoire, ça ne marche pas non plus. Il y a exactement les mêmes défauts que pour la réalisation. Je crois que le film est juste mal pensé, ce qui est très frustrant. Tout commence avec Neïla qui arrive en retard et se fait véritablement agresser par Pierre, son professeur. La scène ne fait que poser un principe antagoniste qui sera nécessairement dépassé. On rentre rapidement dans ce qui est censé être un discours sur le discours, ou un discours sur l’art oratoire. Le film adopte une position très pédagogique et Pierre devient autant le professeur personnel de Neïla que celui de la personne qui regarde le film. Cette position pédagogique devient une sorte de masturbation pseudo-intellectuelle sur la rhétorique, qui s’accompagne de la facilité propre au film. Il ne faut que 22 minutes pour voir Pierre écrire « Schopenhauer » sur son tableau et parler de L’Art d’avoir toujours raison. C’est un phénomène assez caractéristique du film. Le scénario n’est qu’une somme de facilités scénaristiques, qui prennent vie par l’intermédiaire d’une réalisation sans aucune identité. Mais pire encore, chaque détail est une facilité, chaque idée est une idée « bof ». Prenons le cas de Pierre et de sa solitude. Le film essaye de construire une relation entre Neïla et Pierre ; pour ce faire, on trouve la scène qui voit Neïla rencontrer la mère de Pierre, dans une maison de retraite. Ce qui aurait pu servir d’élément déclencheur ou, plus largement, d’épaississant à une relation déjà trop stéréotypée est évacué si vite qu’elle ne semble être présente que pour sa fonction narrative. C’est une idée intéressante en principe puisqu’elle permet de renforcer les racines du lien entre Neïla et Pierre, pour mieux le défaire artificiellement par le pseudo-rebondissement final. Mais le film ne se permettant pas le luxe de la subtilité, on se retrouve avec une scène très courte et voir simplement Neïla parler à une vieille qui se décide après quelques phrases à insulter son fils, ce n’est franchement pas intéressant. L’artifice scénaristique demeure bien trop présent. La seule scène que j’ai un tant soit peu appréciée est celle du Loup-garou. Au début du film, Neïla et sa bande d’amis jouent au Loup-garou de Thiercelieux. On voit dans un cadre ludique, en continuité de l’approche pédagogique, Neïla gagner grâce à ses talents rhétoriques. Mais ces « talents rhétoriques » sont avant tout une manière de parler et d’utiliser certains mots. En somme, il n’y a pas vraiment de talents. La scène a pourtant un intérêt parce que l’on sent que le film essaye. Il essaye de suivre cette logique pédagogique, de montrer un contraste de monde entre les deux personnages principaux et aussi, un peu, de jouer avec la rhétorique. Mais cet essai est très loin d’être abouti.
Cette absence de talent, dès le début du film, révèle la difficulté que le film rencontre pour traiter l’artificialité du discours rhétorique et de l’art oratoire. C’est véritablement là où le film se rate alors qu’il aurait pu être une sorte de comédie dramatique standard. Le Brio est un film qui est censé fonctionner grâce au côté cool de l’éloquence. Il y a deux choses sympathiques avec l’éloquence. D’abord, son effet peut aider le film à être impressionnant et spectaculaire. Un discours bien écrit et bien dit peut vraiment devenir un véritable moment de réussite pour un film. Ensuite, il y a le côté « culture » de l’éloquence. L’art oratoire exploite énormément l’argument d’autorité pour le combiner à d’autres pratiques oratoires. Dans l’imaginaire, être éloquent, c’est jouer avec les mots et avec la culture. Le Brio se fait donc plaisir et nous tartine de références. En plus de se masturber sur les figures de styles et la liste des 38 manières d’avoir raison du livre de Schopenhauer, on nous balance à la pelle des noms. Évidemment, ce name-dropping est artificiel et facile, sans aucune surprise. Neïla doit démontrer que l’amour rend heureux, elle convoque alors, oh grand dieu, Roland Barthes et ses Fragments d’un discours amoureux. Le cliché n’est ainsi plus seulement dans les personnages mais dans le traitement du sujet même du film…
En parlant de cliché, abordons par l’intermédiaire du personnage de Pierre ce qui me pose le plus problème dans ce film. Pierre est l’incarnation du vieux professeur de droit cynique à souhait. En plus d’être agressif, méchant, détestable, lâche, il ne cesse de répéter que ce qui compte, c’est d’ « avoir toujours raison, la vérité on s’en fout ». C’est sans doute la seule chose que je partage avec ce film. Le personnage de Pierre est là pour incarner un cynisme assez appuyé, qui sera mis à mal durant le film. Fondamentalement, l’art oratoire est présenté comme un artifice qui tient de la manipulation et non de la pensée. Je pense personnellement que l’art oratoire, fondamental en politique, est un discours qui n’a que faire de la vérité. Le film insiste donc bien pour dire qu’il n’y a pas d’idées et que ce discours manipulateur demande de la rigueur et une construction. En ce sens, le film cherche toujours à montrer des discours artificiels, créés pour gagner un concours et rien d’autre. Cette exploitation de l’artifice est le défaut majeur du film. C’est à cause de cette position que la fin ne fonctionne pas. Neïla arrive au conseil de discipline de Pierre, qui risque la radiation en vue de son comportement, et propose un discours plein d’émotions. Le film semble alors dire « Regarde, elle a appris l’éloquence mais maintenant elle maîtrise tellement cette éloquence qu’elle peut enfin tenir un discours spontané et sentimental qui soit efficace ». Je peux admettre cette conclusion, pourtant facile, mais ça ne marche pas. Le raté de cette fin accentue l’erreur commise par le film. Le Brio nous dit bien que l’éloquence, c’est de l’artifice. On a donc sans cesse des discours artificiels, quels qu’ils soient, et toute l’émotion de ce discours final, qui se veut grandiose et impressionnant, est nécessairement absente ou inopérante.
L’enjeu du film était donc, je crois, de réussir à développer une éloquence cinématographique, c’est-à-dire une éloquence qui ne soit pas le simple fruit d’un discours prononcé ou lu. Je crois que, pour cela, le film aurait dû montrer une éloquence politique (donc artificielle) en utilisant une éloquence esthétique ou d’ordre littéraire, c’est-à-dire avec style et intelligence. Au contraire, Le Brio fonctionne en doublon et à l’artifice du discours éloquent s’ajoute l’artifice du cinéma et de la mise en scène. L’enjeu de l’éloquence est qu’elle ne paraisse pas artificielle pour atteindre un maximum d’efficacité. Pour que les discours montrés dans le film soient éloquents, il fallait nécessairement réfléchir à une manière de gérer l’artificialité du cinéma. Le Brio se consacre plus au medium qu’il cherche à montrer qu’au médium utilisé à cette fin. Tout est tellement mis en scène, facile et sans subtilité qu’à aucun moment il ne peut y avoir d’éloquence autre que cette pseudo-éloquence très politique qui ne s’épanouit que dans un principe de représentation.
Le Brio se perd ainsi dans ce qu’est la représentation et confond la représentation d’ordre politique et la représentation comme image, qui soutient une esthétique, un style et une intelligence. Le film est donc raté mais n’est pas mauvais pour autant. Il est juste très standard et sans valeur ajoutée. Le film s’en sort grâce à sa position pédagogique et peut s’avérer être un divertissement sympathique mais oubliable pour découvrir l’éloquence, la construction et la maîtrise du discours. Si toutefois vous êtes familier des questions de représentations et de discours, je vous conseille tout de même d’aller voir Le Brio simplement pour voir Daniel Auteuil dire « Wallah ».
Crédits : Pathé Distribution