Les Hallucinations Collectives, festival lyonnais de cinéma de genre et de bissophiles organisé par l’association Zonebis au Comoedia, cinéma phare de la ville lyonnaise, nous fait le plaisir cette année de placer cette édition 2018 sous l’égide de la sorcière, à travers sa thématique «Sabbat Mater ». Faisant honneur à la revendication renouvelée de cette figure par certains mouvements féministes et par son apparition répétée dans le cinéma contemporain, nous avons ainsi eu le droit à divers films la mettant à l’honneur, de façon singulière, militante ou non. Dans son édito, le festival prévient d’emblée les critiques en refusant d’emprunter un bord politique, mais avec plutôt pour visée de faire rayonner le cinéma de genre. La sélection Sabbat Mater incluait The Lords of Salem (2012) de Rob Zombie, interprétation hallucinée des procès en sorcellerie, Baba Yaga (1973) de Corrado Farina, une adaptation de Guido Crepax (Valentina et Baba Yaga), Season of the Witch (1972) de Georges A. Romero sur les pérégrinations occultes d’une desperate housewife, Kissed (1996) de Lynne Stopkewich sur la passion d’une embaumeuse.
Si cette figure est revendiquée dans les années 1970 par les mouvements féministes issus de la wicca (Starhawk) ou non (Silvia Federici) et amplement utilisée par le cinéma d’exploitation de la même période comme défouloir de pulsions premières et bouc émissaire social, elle revient en puissance de façon contemporaine, notamment chez les rétro-futuristes nostalgiques de cette esthétique du cinéma d’horreur des seventies et du giallo (Carpenter Brut en musique, Rob Zombie au cinéma par exemple). Je suis donc allée voir Baba Yaga, d’abord poussée par mes recherches universitaires sur cette figure de la sorcière, avec pour problématique sa double appartenance au registre de la revendication féministe et figure cristal d’une forme de misogynie trans-historique, puis réjouie de la mise en valeur du cinéma de genre à Lyon, en plus dans un cinéma plutôt actif et central dans cette ville. Le hall du cinéma était donc ajouré d’une exposition de planches de bandes dessinées de Guido Crepax, d’un stand de goodies aux colorations métal et d’une longue file de bissophiles, la plupart habillés de noir et ayant revêtu leurs plus belles rangers pour l’occasion. On ne se refait pas, au moins le Comoedia diversifie sa clientèle avec ce type de programmation.
Baba Yaga est annoncé comme un film d’exploitation ayant eu à subir diverses coupes dans sa pellicule originale, comme beaucoup de films de ce type. Corrado Farina ayant ainsi soigneusement laissé à sa production la mission de finaliser le film pendant qu’il partait se reposer en vacances, à la grande surprise de découvrir que son film a été complètement remonté dans son dos, la production estimant qu’il était trop long. Ajoutée à cela, la bonne idée de la production de tailler directement dans le négatif original de la pellicule, mutilant définitivement le film. Enfin, ne reste plus que la suppression par la censure italienne de deux scènes érotiques et le film pouvait définitivement sortir, dénaturé. Le film est remonté dans les années 2000 permettant à Farina d’achever son Director’s cut, mais c’est la première version mutilée que nous avons pu voir, la plus facile à trouver.
Baba Yaga se présente, comme promis, comme un film de série B de bonne qualité, prêtant à rire par ses défauts mais avec quelques aspects vraiment réussis, notamment l’univers visuel qui nous est proposé, magnifié par la photographie d’Aiace Parolin. Le film nous raconte l’histoire de Valentina, jeune photographe émancipée, symbole d’une génération de libération féminine. Son destin bascule, lorsque, manquant de se faire renverser, une mystérieuse Baba Yaga demande à la revoir, lui arrachant la pince de sa jarretière, qu’elle ne manquera pas de mordiller sensuellement de façon quelque peu ridicule pendant la première moitié du film. S’en suit une suite d’événements paranormaux qui interrogeront Valentina sur la nature des cadeaux de cette femme aux penchants saphiques. Le nom de Baba Yaga nous montre bien la voie, mais nous n’en dirons pas plus.
Au regard du film, l’influence du giallo se fait sentir dans la réalisation, dans la façon dont les cris et autres bruits sont amplifiés jusqu’à la caricature, le sang artificiel coule délicatement dans des traînées rouge écarlate, la tension malsaine voire érotique est amplifiée par un piano omniprésent. La gestion du rythme et le scénario pêchent un peu, mais renforcent le plaisir moqueur du spectateur qui pourra se délecter des cris ridicules, des moues boudeuses et sensuelles surjouées, du don Juan caricatural digne d’un film porno des années 1970, ou encore des publicités d’un racisme tellement décomplexé que leur absurdité prête à rire. Mention pour la pub pour la lessive qui reprend la trame d’un film noir, dans lequel un gangster noir est poursuivi par un policier blanc qui finit par lui lancer une poudre blanche énigmatique. Le gangster se met alors à hurler et s’évapore, laissant une poudre noire sur le sol. La voix de la publicité se met alors à vanter les mérites de sa lessive qui rend le linge « plus blanc que blanc ». Et oui, quarante ans plus tôt, c’était possible, et les publicitaires chinois de Qiaibo n’ont rien inventé lorsqu’ils ont sorti une publicité pour lessive du même acabit, mais en 2016.
On sort donc du visionnage de ce film à la fois amusé, charmé du kitsch et du ridicule du film, mais aussi rempli d’une atmosphère délicieusement nostalgique, qui n’est pas sans évoquer celle de Suspiria, la maestria en moins. En effet, le manoir, la pièce mystérieuse dans lesquelles des femmes s’adonnent à du SM, la façon de représenter une sexualité et un désir féminin de façon latente et vénéneuse, sont présents dans les deux films. Les sorcières apparaissent soit comme des mères toxiques qui empêchent les jeunes filles de grandir et d’épanouir leur désir, comme on le voit dans ce pensionnat de jeunes femmes infantiles dans le film de Dario Argento; ou comme une figuration angoissée d’un désir lesbien sadique, de la vieille femme pervertissant la jeune par des pratiques SM, qui sera sauvée par le héros robuste à la fin du film. Les stéréotypes sont présents, le film se goûte donc comme le plaisir d’un autre temps, entre délice et petit arrière goût souffré.