Critique de His Dark Materials, saison 1, 2019
His Dark Materials : À la croisée des mondes
Si, comme moi, vous avez grandi en lisant la trilogie fantasy, À la croisée des mondes, de Philip Pullman (1995-2000), vous avez probablement frémi quand la BBC a commandé son adaptation en série en novembre 2015 (4 ans avant la sortie du projet) : serait-ce enfin une adaptation digne de ce nom ? allait-elle pouvoir effacer l’échec cuisant du film de 2007 ? Si ce chef d’oeuvre de la littérature jeunesse n’est jamais tombé sous vos yeux, tout d’abord, shame, mais surtout, vous avez difficilement pu échapper aux nombreuses annonces des boîtes de production (BBC, Bad Wolf et HBO) qui ont réuni lecteurs et néophytes dans un enthousiasme commun, particulièrement autour du casting. Dafne Keen (Logan, 2017), Ruth Wilson (Golden Globe de la meilleure actrice pour The Affair, 2014-2018), James McAvoy (Split et Glass, 2017-2019 ; franchise X-Men…) et Lin-Manuel Miranda (un prix Pulitzer pour Hamilton, trois Grammy Awards, un Emmy Award et trois Tony Awards dont deux pour Hamilton) incarnent ainsi les principaux protagonistes. En fin 2019, les huit épisodes, écrits principalement par Jack Thorne, avec l’aide de Pullman lui-même, ont répondu à cette excitation.
La première saison reprend l’intrigue du premier tome, Les Royaumes du Nord (Northern Lights) : elle se déroule dans un monde similaire au nôtre, mais comme coincé à l’époque victorienne. Chaque personne est accompagnée de son « daemon », une expression extérieure de leur âme qui prend l’apparence d’un animal (celui des enfants est capable de changer de forme avant de se fixer à l’âge adulte). La société est soumise au Magisterium, une Église toute-puissante et radicalisée, à laquelle l’université échappe grâce à l’asile scholastique.
Le Magisterium Le Maître de Jordan College (Clarke Peters) et son daemon corbeau, Alicia
On suit alors l’histoire de Lyra Belacqua et de son daemon Pan, des protégés du Jordan College à Oxford. Lors du retour à Jordan de son oncle, Lord Asriel, Lyra découvre l’existence d’une particule appelée la « Poussière » que le Magisterium estime dangereuse et porteuse de péché (peut-être même le Péché Originel). Peu de temps après, son ami Roger disparaît, ainsi que de nombreux enfants des Gitans, peuple nomade ayant accosté sur les rives d’Oxford. Lyra, aidée par les Gitans et l’aléthiomètre, un objet qu’elle seule peut lire et qui répond à toutes ses questions, s’engage alors dans une quête pour retrouver son ami, découvrir ce qu’est la Poussière et échapper aux manigances de sa mère, Mrs Coulter, agente du Magisterium et personnage troublé. Son périple la mène sur les terres du Grand Nord, où elle croisera la route d’un aéronaute, d’un ours en armure et d’une sorcière.
Lyra Belacqua et son daemon Pan
Un travail d’adaptation
Dans l’ensemble, la série est plutôt saluée par la critique, même si certains lui reprocheront de trop lisser le monde noir et dur de Pullman. Cependant, elle reste une adaptation réussie du livre, et pour cause, apprenant des erreurs des nombreuses séries issues de romans qui l’ont précédée et de l’échec du film, elle ne suit pas linéairement la trame du premier livre. Elle commence dès le deuxième épisode à introduire des éléments du tome 2 (La Tour des anges ou The Subtle Knife, 1997) : les mondes parallèles et Will Parry (Amir Wilson), un adolescent issu de notre monde et du même âge que Lyra qui va l’accompagner dans la suite de ses aventures.
Le personnage de Will Parry (Amir Wilson), issu de notre monde
La série se permet ces ajouts et décalages car elle est plus à même de développer deux intrigues parallèles grâce à la continuité visuelle des acteurs, notamment avec le personnage de Lord Boreal (Ariyon Bakare), qui traverse régulièrement entre les deux mondes. Cela permet également de donner plus de profondeur, plus rapidement, au personnage de Will. Il sera ainsi déjà familier et même agréable aux yeux des spectateurs, lorsque son rôle grandira nettement pendant la deuxième saison. Par ailleurs, cette prise de position quant à la timeline des romans n’est pas dissimulé mais est au contraire très affirmée dès le générique de l’œuvre : on y voit apparaître la Poussière, le Magisterium, l’aléthiomètre, mais aussi la Tour des anges, avec un effet de lumière qui rappelle le Miroir d’Ambre (titre du troisième tome), les passages entre les mondes, et enfin les différents mondes parallèles mêmes.
Dafne Keen et Ruth Wilson, forces de la série
Si James McAvoy et Lin-Manuel Miranda étaient parmi les acteurs les plus attendus de la série, leur rôles respectifs de Lord Asriel et Lee Scoresby sont finalement assez secondaires (particulièrement au cours de cette première saison). C’est loin d’être le cas des personnages de Lyra et de Mrs Coulter, toutes deux grandement incarnées par Dafne Keen et Ruth Wilson. La première, dont on avait déjà pu voir un aperçu du talent dans Logan, parvient à saisir l’innocence enfantine de Lyra mais aussi la grande maturité de cette enfant qui se rend progressivement compte de tout ce qui pèse sur ses épaules (le destin du monde en gros).
La seconde offre une performance incroyable du personnage très complexe qu’est Mrs Coulter. Femme brillante et agente très importante du Magisterium, elle est la mère de Lyra. Elle semble l’aimer profondément, tout en ne sachant pas exactement ce que cela signifie. Elle veut la protéger, mais aussi l’utiliser pour parvenir à ses fins. Car, en elle, cet « amour » côtoie son caractère manipulateur, froid et son avidité pour le pouvoir. C’est cette ambivalence que Ruth Wilson réussit à capter et à rendre, dès que son personnage apparaît à l’écran.
Or, Lyra est, elle aussi, prise entre un sentiment d’amour pour celle qui est sa mère et sa haine pour celle qui ne fait que lui mentir et la manipule. L’alchimie des deux actrices est alors palpable, et nous offre des scènes d’une tension incroyable, mise en valeur par le travail de la photographie.
Image et musique
En évoquant la photographie d’une telle série, on ne peut pas manquer de mentionner les effets spéciaux, omniprésents dans les séries actuelles, encore plus dans les séries fantasy. Cependant, toutes ne travaillent pas autant la photographie que celle-ci. Les paysages sont certes très beaux et époustouflants, mais la photographie, c’est aussi montrer les relations entre les personnages, parfois mieux que ne le peuvent les acteurs même. Lors de l’épisode 6, Lyra échappe une nouvelle fois à Mrs Coulter en l’enfermant dans une chambre, un plan nous montre alors d’un côté, cette dernière hurlant et frappant contre la porte, et de l’autre, Lyra, hurlant et frappant aussi contre le boitier électronique pour clore la porte. La puissance du passage est portée par les actrices mais est aussi intensifiée par le parallèle des images.
Mais les effets spéciaux ne se réduisent pas non plus à de beaux paysages. Ils sont particulièrement présents pour représenter les daemons. On apprécie alors leur qualité, particulièrement dans des scènes comme le combat entre Pan et le daemon de Mrs Coulter (un singe doré). Ils sont aussi mis à l’épreuve avec les ours en armure, peuple du Grand Nord dont l’un d’eux, Iorek Byrnison a une dette envers Lyra et l’accompagne une partie de l’aventure. Leur omniprésence rendait leur qualité nécessaire, et le contrat est rempli.
Enfin, on ne manquera pas d’évoquer la musique. Pour quelqu’un qui a grandi avec la lecture de ces romans, le thème sonne juste et comme si on l’avait toujours entendu, comme s’il nous avait déjà bercé au moment de la lecture. On doit cette musique à Lorne Balfe, qui a composé pour de nombreux films d’action (Pacific Rim Uprising, 2018 ; Six Underground, 2019), des films d’animation (Les Pingouins de Madagascar, 2014 ; Lego Batman le film, 2017), des jeux vidéo (Assassin’s Creed III, 2012 ; Beyond : Two Souls, 2013) et d’autres séries (Sons of Liberty, 2015 ; co-compositeur de The Crown, 2016). Cette grande expérience et sa variété lui permettent alors de composer une bande originale complète qui s’accorde parfaitement à l’univers victorien, futuriste et fantaisiste de Pullman.
Crédits : HBO, BBC One, OCS