Avez vous déjà entendu parler du film de danse ?
Non, pas celui qui évoque la danse dans une narration, ni celui qui l’étudie, tel qu’un documentaire le pourrait. Mais plutôt le cinéma qui entreprend une réelle relation avec cet autre art qu’est la danse. Un dialogue simple, à la recherche d’une fusion qui pourrait toucher le public sans lui exposer une histoire narrée ou des faits concrets, explicites. Un cinéma qui ose faire glisser la caméra sur des corps en mouvement. Celui qui prend le risque de capter un instant dansé sans en retirer toute son essence, car la danse, en elle même, est insaisissable, spontanée, elle est fragment d’un instant.
Filmer juste de la danse. Cela vous paraît peut être banal mais il s’agit d’une immense entreprise. Faire bouger la caméra en fonction des corps, étant en mouvement eux aussi, traduire ce que les corps disent, faire transparaître l’émotion des danseurs, partager l’énergie qu’ils offrent, capter la puissance de la danse qui traverse les corps. Faire apparaître tout cela seulement à l’aide d’un objet froid qu’est une caméra. Il faut certes penser et réfléchir la façon de filmer, il faut faire se mélanger ces deux arts. Il nécessite d’associer le mouvement de la caméra avec celui de la danse, créant un mouvement unique, un genre différent et pourrait-on dire, une forme artistique à part entière. Il faut réussir à capter l’attention du spectateur qui, derrière son écran, n’a pas d’histoire à laquelle se raccrocher, pas de personnage auquel s’identifier, seulement des corps qui dansent mais qui s’expriment, qui parlent sans émettre un seul mot. Il faut que le spectateur puisse lire sur les corps.
La danse filmée implique une réelle ouverture d’esprit. Chaque spectateur interprète ce qu’il souhaite à travers la danse qui s’exprime, ainsi celle-ci touche, ou non, chaque être de manière différente. Là est la beauté de la liaison de ces deux arts. Sans mot, juste des corps et des mouvements bruts, que chacun reçoit à sa manière et associe à ce qu’il souhaite. La danse peut évoquer n’importe quel élément ; sujet de la vie quotidienne, engagement politique ou autre encore, sans émettre une seule parole et conserve ainsi une certaine authenticité que les mots ont tendance à falsifier. La caméra peut réussir à transmettre cela, à l’aide d ‘une réflexion et d’un travail approfondi. Ainsi, lier danse et cinéma peut, certes, sembler risqué. Laisser une trace d’un art qui est éphémère en lui-même paraît impensable, absurde. Cependant, de nombreuses œuvres nous laissent penser qu’oser établir une relation entre les deux, ne serait-ce que furtive, discrète ou même subtile en vaut la peine.
Nous pouvons évoquer le célèbre film de danse allemand intitulé Pina réalisé par Wim Wenders en 2011. Il est généralement qualifié de documentaire mais nous pourrions cependant le classer dans les films de danse. En effet, la danse est ici le principal sujet, c’est elle qui s’exprime, sans aucun mot ajouté pouvant être en lien avec ce qui est dansé. Il est vrai, ce film retrace de nombreuses sensations et de nombreux sentiments transmis seulement par le biais de la danse. Les corps parlent à la place des bouches. La lutte, la liberté, l’amour, la force, le désespoir, la beauté, le désir, la réconciliation et autres sujets encore sont perceptibles à travers le mouvement. La danse est mise en scène dans divers lieux qui nous font entrer dans des univers changeants. Les visages dansent avec les corps, la caméra réussit à capter l’essentiel. Les danseurs exploitent uniquement ce qui est déjà là ; leur expérience, leur passé, l’instant, l’espace, la nature, leur émotion, leur corps. Rien de plus. Aucun ajout, aucune futilité. Ils ne vont pas chercher ailleurs, ils créent avec ce qu’ils ont déjà et le développent. Le spectateur est touché notamment par l’exceptionnel travail des danseurs et la singularité de celui de Pina Bausch, chorégraphe et danseuse allemande qui incarne une figure majeure dans l’évolution de la danse, notamment concernant la danse contemporaine et la danse théâtre.
La caméra sait ce qu’elle doit filmer et comment les danseurs évoluent. Elle capte l’intention importante, l’expression forte des danseurs pour être envoyée de manière brute au spectateur qui n’a pas l’habitude de voir cela. Le film s’inspire de la vie quotidienne, des quatre éléments que sont la terre, le feu, le ciel et l’eau ainsi que de quatre pièces de danse ; Le Sacre du printemps, Kontakthof, Café Muller et Vollmond . La 3D est remarquablement bien maniée pour mettre en avant la danse de Pina que l’on pourrait qualifier de contemporaine. Cependant, il serait plus juste de ne faire entrer sa danse dans aucun mouvement, aucune case, aucun genre car elle est unique et indéfinissable. L’être humain est ici mis à nu face à la caméra qui réussit à faire transparaître la fragilité, la force, la sensibilité de l’humain dans sa complexité et ses multiples émotions. Ici, on raconte l’humain par la danse ; c’est ce que Pina Bausch voulait réussir à accomplir pleinement. Nous pouvons le dire, son travail a abouti.

Il faut noter que le réalisateur Wim Wenders travaillait en collaboration avec Pina Bausch pour le film. Cependant, elle décède lors de la préparation du film ce qui entraîne sa suspension. A la demande des danseurs, le réalisateur reprend son travail pour donner naissance à un réel hommage empli d’émotions, à la chorégraphe.
Ce film peut, certes, être qualifié de documentaire car la danse est entrecoupée par de courtes interviews des danseurs eux-mêmes mais il n’y a pas de narration ici. Il s’agit d’un hommage où les danseurs témoignent de leur expérience traversée aux côtés de Pina Bausch. Ce qui est dansé n’illustre pas concrètement les paroles émises par ces derniers car là n’est pas le but. Ainsi, la danse à elle toute seule parle. La caméra danse, elle aussi, et entre en communication avec cet art, elle danse autour des danseurs, c’est pourquoi tout est très bien retranscrit, dévoilant de façon très fidèle un aperçu du travail de Pina Bausch.

»Dansez, dansez, sinon nous sommes perdus », Pina Bausch.
Crédits photos : Cristophe Péan – Donata Wenders