João Gilberto s’est éteint samedi 6 juillet 2019, à l’âge de 88 ans. Difficile de trouver les mots pour rendre hommage à celui dont la musique a accompagné de nombreuses vies au quotidien. La douceur de sa voix et de ses mélodies a été pour beaucoup un souvenir d’enfance, une première rencontre avec le jazz, le Brésil et sa langue enchanteresse. Avec Getz/Gilberto (1964), João Gilberto a probablement signé un des albums les plus iconiques et les plus unanimement connus et reconnus du XXème siècle. Mais sa carrière protéiforme ne saurait être résumée en quelques chansons, si belles soient-elles.
Le début de carrière de João Gilberto est assez chaotique, jouant dans plusieurs formations sans réel succès, allant même jusqu’à être renvoyé de l’une d’elles. Après quelques temps d’errance, il passe plusieurs mois dans la ville de Minas Gerais, où il joue sans relâche dans une petite salle de bain pour travailler le son de sa voix et son jeu de guitare. Profitant de l’acoustique de la pièce pour développer un nouveau style, il compose la première chanson de bossa nova : “Bim-Bom”, chanson qui évoque les blanchisseuses du fleuve São Francisco.
Fort de ces nouvelles expérimentations, il retourne à Rio où il commence à travailler avec Antonio Carlos Jobim (également présent sur Getz/Gilberto) et Vinicius de Moraes, poète et dramaturge auteur de la pièce Orfeu da conceição dont l’adaptation au cinéma Orfeu Negro de Marcel Camus, sera récompensé de la Palme d’or en 1959. Le poète également compositeur et parolier écrira pour João Gilberto plusieurs chansons dont “Garota de Ipanema” qui deviendra “The Girl from Ipanema”, standard immédiat du jazz et autant repris, cité que parodié, faisant partie parfois inconsciemment du paysage sonore de nombreux lieux, des salles d’attentes aux ascenseurs. Le titre est presque devenu un cliché sur le Brésil et sur ces lieux improbables qui peuvent faire sourire. Mais il demeure une beauté intemporelle dans ce texte presque chuchoté, comme une déclaration, un moment de sincérité, où le temps semble suspendu comme dans “Corcovado”. « Quero a vida sempre assim, Com você perto de mim », l’instant devient éternité.
Le succès de l’album vaut à João Gilberto une reconnaissance immense, notamment auprès de Chet Baker, Toots Thielemans ou Michel Petrucciani qui s’inspirent de cette douceur si particulière dans leurs compositions, reprenant parfois les titres du chanteur. Cette manière de composer légèrement traînante et cette voix posée parfois à contre-temps, font de la bossa nova un style libre et propice au lyrisme. La langue portugaise riche de cette tradition lyrique et populaire du chant, trouve avec la bossa nova une expression nouvelle. L’accent brésilien si particulier atteint avec João Gilberto une douceur contemplative et une force évocatrice, la langue devient empreinte d’une musicalité proprement poétique. Ce rythme de samba ralenti si particulier de la bossa nova, permet également une structure musicale plus proche du jazz dans laquelle la voix devient un instrument soliste à part entière, tantôt rapide, tantôt mélancolique.
Ce nouveau style permet également l’émergence d’autres figures importantes de la musique brésilienne comme Chico Buarque, Hyldon ou plus tard Gilberto Gil qui participe à l’album Brasil en 1980. Cet album signe le retour de João Gilberto au Brésil, auquel il dédie ses chansons. “Aguarela do Brasil”, chanson populaire, qui ouvre l’album, offrant six minutes de crescendo progressif se terminant dans un moment de chant collectif, comme un hymne au Brésil et au peuple brésilien. La bossa nova se transforme en samba puis en batucada. C’est avec une émotion nouvelle que João Gilberto retrouve son pays et ce qui l’inspirait au quotidien. Devenu « O mito », le mythe, il poursuit les concerts et les albums notamment avec João en 1991, pour lequel un orchestre vient accompagner les ballades à la guitare toujours si singulières.
La musique de João Gilberto reste et restera toujours cet enchantement empreint de mélancolie. Une joie de la langue et une douceur musicale qui fait encore le bonheur de nombreux auditeurs dans le monde entier et qui sera encore à l’honneur pour longtemps. Dans toutes ses formes et dans ses dérivés, la bossa nova ne cesse d’inspirer les musiciens et les compositeurs dans ce qui est devenu un genre à part entière héritier de la poésie lyrique et du jazz. Le rythme si singulier de la bossa nova, des musiques de film aux mix trip-hop, devient reconnaissable et identifie immédiatement à João Gilberto et à tout ce que peut évoquer sa musique du Brésil, de l’amour, de l’amitié et du monde. Il ne reste qu’à souhaiter que sa musique ne cesse de nous accompagner dans ce long apprentissage de la « ciência de viver pra não sofrer ».