Double concert Magma/King Crimson le 2 Juillet aux Nuits de Fourvière de Lyon
Au programme, le meilleur du rock progressif
Comment passer à côté d’une telle soirée à l’affiche si alléchante ? Rarement une double programmation lors d’un concert des Nuits de Fourvière n’aura été si pertinente et satisfaisante. Voici deux groupes complètement distincts, mais dont la réunion au cours d’une même soirée était cependant de l’ordre de la nécessité. Nous avons d’un côté les anglais de King Crimson, menés par le guitariste Robert Fripp, de l’autre les français de Magma, dirigés par la batterie de Christian Vander. Tous deux nés en 1969, ce sont deux groupes à l’identité musicale reconnaissable entre toutes. Deux univers ayant traversé les générations et les genres pour arriver jusqu’aux gradins de Lyon le temps d’une soirée mémorable. On peut y voir du rock progressif (appellation fourre-tout), du jazz ou du fusion, voire de l’expérimental… Mais c’est avant tout dans les deux cas une énergie flamboyante, une folie créative, nous laissant un important patrimoine. Ce double concert a été l’occasion d’un puissant retour 50 ans dans le passé, dans une époque affranchie de toute contrainte et ayant pour seule règle la vie de la musique. Pendant 3h notre passion mélomane a été comblée par des sons immortels.
Magma, Christian Vander déchaîné
La setlist Magma :
1. Köhntarkösz (1974)
2. Mekanïk destruktïw kommandöh (1973)
3. Ehn deiss (Offering)
Accompagné de ses nombreux musiciens, avec une section rythmique au premier plan (un bassiste et un pianiste en parfaite symbiose avec Vander), Magma a interprété deux albums en intégralité quasiment sans interruption. Ces deux œuvres, loin d’être les plus évidentes à entendre en live (on aurait pu s’attendre à Kobaïa ou Üdü Wüdü), nous ont ramenés au début de leur immense carrière. Leur musique, le zeuhl inventé par Vander, est portée par leurs inimitables cuivres, des chants lyriques, des sonorités uniques, rappelant encore que seul Magma fait du Magma. Tous les groupes peuvent envier cette légende française, ce groupe atypique dont la langue si mystérieuse, le kobaïen, résonne depuis 1969. Vander n’est pas un homme ordinaire, il est batterie. Emporté par ses rythmiques imprévisibles, habité par ses compositions, on reste stupéfait devant tant de virtuosité. Magma en live, c’est un vrai trip quasi psychédélique. On oublie peu à peu où l’on se trouve, on quitte les arènes, emporté par leur univers. Une vraie communication se fait avec le public qui vit une expérience auditive inouïe.
On regrette toutefois l’absence dans la setlist de morceaux de la période Laurent Thibault. Immense producteur de musique, Thibault est le co-fondateur du groupe et le co-inventeur avec Vander de l’univers Kobaïa, avant son départ à la fin des années 70. Il devient alors directeur du célèbre studio du Château d’Hérouville, et sera à tour de rôle l’ingénieur du son de David Bowie, Alice Cooper, T-Rex, Iggy Pop, Higelin, Madness, Nougaro et tellement d’autres musiciens reconnus mondialement, qui ont ainsi tous d’une certaine manière goûté à l’école Magma. Même si aucun de ses albums produits pour le groupe n’a été joué, Thibault demeure l’autre moitié de l’âme de Magma. Il est présent dans la nostalgie du « C’était hier… » lancé par la femme de Vander lors du live. Thibault a produit de vrais chefs-d’œuvres tels Kobaïa (1970), Wurdah Itah (1974), Üdü Wüdü (1976), que l’on redécouvre à chaque écoute. Mais l’autre grand producteur de Magma est le si singulier Giorgio Gomelsky, mis à l’honneur lors de cette soirée par le choix des deux albums interprétés. Producteur, imprésario, directeur artistique des Rolling Stones, Beatles, Moody Blues, Yardbirds, il est surtout l’une des plus belles rencontres faites par Vander, lui ayant permis d’étendre davantage le génie du groupe au reste du monde.
Ce concert a réanimé ce son de Magma, si spécial, imprévisible, planant, nous transportant vers des contrées auditives jamais découvertes ailleurs. Magma, et leur Zeuhl, c’est un rock indémodable, car jamais de son temps. Ce concert l’a encore prouvé : parfois nous ne savions pas ce que l’on écoutait, mais ça avait bien lieu. Nous quittions la terre pour le tout-puissant Kobaïa.
King Crimson, Robert Fripp dans les étoiles
La setlist KING CRIMSON :
1. « Larks’ Tongues in Aspic, Part One »
2. « Neurotica »
3. « Epitaph »
4. « Easy Money »
5. « Indiscipline »
6. « Moonchild »
7. « The Court of the Crimson King »
8. « Radical Action II »
9. « Level Five »
10. « Starless »
11. « 21st Century Schizoid Man » (Rappel)
King Crimson était parmi les premiers (In the Court of the Crimson King date de 1969), et ils sont aussi parmi les dernières légendes. Le groupe est toujours guidé par le merveilleux Robert Fripp, dernier membre original, prônant comme un sage sur son siège, derrière sa guitare au son si reconnaissable, et son synthé aux bruits et distorsions propres à l’univers du groupe. King Crimson a joué très fort, avec la puissance de trois batteries servant d’affiche aussi impressionnante visuellement que rythmiquement.
Fripp est l’un des plus grands artistes de son époque. Il a inventé avec King Crimson un rock novateur, entre jazz et musique classique, d’une modernité toujours copiée aujourd’hui. Et la carrière de Fripp s’étend au-delà du groupe, avec une importante collaboration avec Brian Eno avec qui il a grandement contribué à l’innovation dans le domaine de l’électro et de l’ambient. Mais ce sont aussi de nombreuses participations à des albums devenus cultes en grande partie grâce au son de sa guitare. On pense à “Heroes” (1977) de David Bowie, dont les longues notes en écho résonnent encore dans tous les cœurs, mais aussi à Fear of Music (1979) des Talking Heads, Parallel Lines (1978) de Blondie, ou le premier album de Peter Gabriel en 1977.
Musicien de légende, Robert Fripp est le chef d’orchestre d’un groupe modèle au sommet de son art lors de ce concert. Des dérives jazz fusion nous emportent parfois là où on ne s’y attend pas, prolongeant des morceaux cultes tels « Epitath » dans une plongée onirique. Solos sur solos (parfois presque abusivement, comme avec la démonstration bluffante de la dextérité des 3 batteurs en battle, à la polyrythmie renversante). Mais ce qui impressionne surtout, c’est leur complicité fascinante au service de tubes que nous attendions tous avec impatience. « Epitath », « Starless », « 21st Century Schizoid Man »… que des classiques qui ont réjoui les 4000 spectateurs du théâtre.
Était présent Mel Collins aux cuivres et à la flûte, qui marqua la soirée de quelques solos hors-pairs, après avoir entamé une joyeuse « Marseillaise » en début de set. Ancien membre de Camel et du Alan Parsons Project, et aussi prestigieux guest chez les Rolling Stones, Dire Straits, Clapton, Eric Burdon, et tant d’autres, il remplace au saxophone et à la clarinette Ian McDonald. Ce dernier est un membre fondateur de King Crimson ayant grandement participé à la composition du premier album, avant de fonder le groupe culte Foreigner en 1976 avec Mick Jones.
Le chanteur Jakko Jakszyk également à la guitare rythmique porte un instrument sur lequel est imprimée la mythique pochette du premier album In the Court of the Crimson King (1969), aujourd’hui considéré comme l’un des albums les plus influents de tous les temps, et grandement mis à l’honneur lors du live (quasiment joué en intégralité). A également été joué l’album Red (1974), chef-d’œuvre absolu, ravivé avec une performance inimaginable de « Starless », peut-être le plus beau et le plus sophistiqué des morceaux du groupe.
A refaire, pendant qu’il est encore temps…
En somme, ce double concert n’a réuni que des grands musiciens, pour une musique sensationnelle, remise en avant avec série de tubes et solos réchauffant le cœur. 1h20 pour Magma, 1h40 pour King Crimson, 3h suffisamment bien remplies pour repartir la tête pleine de mélodies, de sonorités jamais poussiéreuses, ne donnant que l’envie de retrouver cette musicalité qui nous soutiendra toute notre vie. 3h hors du temps, hors de notre quotidien. Ceux qui étaient présents planent encore grâce à cette musique extraterrestre si touchante.
Merci pour ce retour sur ce qui fut de toute évidence un grand moment de musique lice dans un écrin magistral. Je suis personnellement plus Crimsonien que kobaien, mais je ne doute pas que tous deux offrirent un set a la mesure des lieux.
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