Je me laisserai posséder par l’esprit d’un brasier que la haine a mal éteint.
– Scylla
A Most Fitting Feat : Scylla et Sofiane Pamart
Tandem incandescent
© & ℗ Urban Pias, Abyssal, 88Touches Production
Feu ! Flow ardent atteint les portes de poudrière sur prod embrasée et clip enflammé. Je lance cette chronique rap avec un premier volet consacré au feu, force primitive qui colle au rap comme un Dragibus sur tes gencives. Ça commence chaudement avec un morceau de 2018 pour te glisser le numéro des pompiers au cas où. “Charbon”, son indépendant sorti juste après l’album Masque de Chair (une pépite), dépeint la vive persévérance dont fait preuve le rappeur belge Scylla et prédit un magnifique album à venir : Pleine Lune, fruit nocturne d’une pleine collaboration avec le pianiste Sofiane Pamart. Plus que jamais, les deux artistes sont en osmose dans ce clip peu à peu consumé par les flammes and that, my dear friend, is a Most Fitting Feat.
Je ferai comme si demain n’existait pas, oui
Je ferai comme si demain n’existait pas, oui
En espérant que l’Âme du monde guide mes pas
Je serai purifié par le feu dans le pire des cas
Nekfeu: Les étoiles vagabondes
Feu premier du nom

Je redeviens humble, les yeux vers le ciel, c’est pas l’Homme qui a crée le feu, c’est la foudre
– Sous les nuages
En cet an de grâce 2019, difficile de parler feu sans citer le fennec… Deux ans et demi après le légendaire Cyborg, Nekfeu, mi-homme mi-machine, Rhapsode astral et Prince des flammes délivre son troisième album solo, Les étoiles vagabondes, peu après doublé d’une Expansion de 16 titres. L’attente est récompensée, le projet est colossal : 34 titres et plus de deux heures d’écoute pour notre plus grand plaisir. Séisme de haute magnitude dont l’épicentre est notre cœur. Le fennec a frappé fort et dévoile un album viscéral, produit par la crème des beatmakers déjà présents sur Cyborg (on retrouve Diabi, Hugz et Hologram Lo’). Nourri par ses voyages aux Etats-Unis, au Japon et en Grèce, l’artiste a serti ses instrus de samples des musiciens locaux conférant à l’album une diversité et une richesse inégalées. Le texte est toujours autant travaillé et le cheminement de l’album se calque sur le périple initiatique de l’artiste : un début houleux et torturé avant les premiers pas vers la sérénité… Mentions spéciales : “Ecrire” ; “Ciel noir” ; “Le bruit qui court” ; “Dernier soupir” ; “Compte les hommes” ; “Oui et non” ; “Energie sombre” ; “Óλα Καλά” ; “A la base”…
J’vois le diable en Testarossa, la vie est un test harassant
J’ai peur que mon destin ressemble à c’que mon intestin ressort
Ouais c’est clair qu’ils m’ont déçu (qui ?)
Ces cœurs qui mentent sans arguments
Moi, j’aime quand les choses simples provoquent l’écarquillement des yeux
Quand j’ai mal, la lune est belle (ouais) mais le soleil est terne et si j’comptais ces moutons, j’plongerais dans le sommeil éternel
– Compte les hommes (Feat. Alpha Wann)
Révolution sur BPM : Médine
Texte incendiaire
Din Records
Quand t’allumes un feu
Ne dis pas « c’est la faute aux allumettes »
Ils ont ouvert le feu
Ils ont pris une centaine de nos âmes humaines
No drama, no more
C’est vos guerres mais nos morts
J’te l’répète encore : l’amour des siens c’est pas la haine des autres
Le rappeur normand Médine fait de ce beau texte fleuve un brûlot politique et fait grincer des dents comme ongle contre tableau noir en soulignant les connexions multiples entre les djihadistes et les hauts-fonctionnaires français. Sacrilège ? Non, l’artiste pointe juste du doigt les nombreux financements en faveur de groupes terroristes effectués en parallèle de beaux discours au nom de la paix. Médine déclame les vérités qui dérangent. Et c’est probablement pour cela qu’il n’a pas été autorisé à se produire au Bataclan. Non je déconne c’est parce que la France est un pays islamophobe et il ne faut pas s’étonner qu’elle confonde un poète avec un barbare quand les autorités prennent son propre peuple pour un ennemi. Quand la cécité devient fascisme, la révolution devient nécessité.
Djihadistes et hauts fonctionnaires
Sont les deux faces d'une même pièce
Et il y aura bientôt deux enfers
Si ces chiens rentrent au jardin d'Eden
Moi j'appelle pas ça le progrès
Un cannibale qui mange à la cuillère
Stock de ruptures : Damso
Crépitement et vacillement
Feu de bois, jeu de voix, suis-moi
Je te veux pas, fuis-moi, je te veux toi
Feu de bois, jeu de trois, un des deux est de moi
Un des trois est de nous, aidez-nous, aidez-moi
Feu de bois, jeu de voix, tu me dois, Dieu te voit
Montre-moi que du doigt ce que t’as fait de moi
Creux de joie, queue de rois, fée des bois
Fais de moi ce qu’on a fait de toi
Sur le toit, sûre de toi, tu t’y crois
C’est déjà ce qu’on a fait de moi
Fais de toi, fais de nous
Maestria technique et prouesse de lyriciste. Sur une instru aussi propre que sobre, Dems fait pleuvoir les assonances sur le feu de bois que représente sa relation en déclin, et c’est beau à en pleurer. Rien à ajouter.
Les flows de l’Amazone : Keny Arkana
« Arkana la dernière maîtresse du feu »
Probablement l’une des figures les plus militantes du rap-jeu dans la mesure où elle crache allègrement sur les dogmes mercantiles de cette industrie (coucou Skyrock), la vénérable Keny Arkana n’a plus rien à prouver. Mue par une colère fertile et un bel anticapitalisme, elle ne respecte rien et donne voix aux sans-voix. Parmi ses faits d’armes, on compte de très nombreux concerts sauvages, la karcherisation d’une effigie de Sarkozy lors d’un concert où était invitée la ministre de la culture d’alors, et un discours anti-Macron et anti-Le Pen durant les campagnes présidentielles de 2017. C’est-à-dire au même moment où le groupe historique IAM invitait à voter En Marche. C’était la débandade, une fois de plus, une icône légendaire se ramollissait comme des Smacks restées trop longtemps dans le lait. Tristement, on essaie de se remémorer les glorieux titres “La fin de leur monde” et “Demain c’est loin” pour oublier que le groupe a désormais autant de ferveur politique que Manuel Valls sous codéine. Il faudrait peut être songer à s’arrêter avant de souiller inéluctablement l’image qu’on a de vous ET JE PARLE AUSSI POUR TOI RENAUD mais rien de grave, big up aux Retraités Extrêmement Doucereux. Breeeeeef, la même année, Keny Arkana signait sa dernière mixtape. L’equisse 3 est jalonnée par 4 chansons primordiales, chacune consacrée à l’un des 4 éléments. Nul besoin de préciser le morceau d’introduction de la mixtape : l’artiste a ouvert le feu et marche sur les braises avec une aisance déconcertante dans ce titre fort qui souligne sa position d’outsider.
(Petit teasing : la sortie de son troisième album studio, L’exode, est prévue pour fin 2019)
Je reprends du service donc on remballe les rimes hypocrites et les grands jeux
J’manie les rimes solaires au mic’ je maitrise l’élément feu
J’ai fui les croisées qui m’accuse ma plume est hérétique
Car la nature est féérique
Le verso du disque : Pyroman
Instrus Prométhéennes

Pour finir en beauté, l’écoute des sons du jeune prodige Pyroman était inévitable. Le beatmaker a volé le feu sacré pour l’insuffler dans des prods inimitables que l’on retrouve chez Kalash, Niska (“Réseaux”), Damso (“Smog”) ou encore Lorenzo (“Fume à fond”). Je vous propose de conclure sur l’écoute du morceau titre de l’album Mwaka Moon (2017) de Kalash accompagné d’un Damso doux et frais comme un Baileys. L’instru planante de Pyroman permet au duo titanesque de s’enjailler en toute sérénité et nous donne envie de surfer sur la voie lactée.
(C) 2017 Capitol Music France
J’pars dans le Mississippi, là où personne sait qui j’suis
J’suis damné, j’suis rôti
Dent d’or dans biscuit
J’bois encore et encore, histoire d’oublier mes torts
Sur une bête de beat de Pyroman sous les feux de la rampe, je me brûle les ailes