Scream : Crime et sentiment

Critique de Scream de Wes Craven, 1996

A l’occasion de la 25e édition du festival international du film fantastique de Gérardmer, un grand prix des grands prix a été décerné suite à un vote en ligne. Le grand gagnant, sans vraiment créer la surprise, n’est autre que Scream du regretté Wes Craven, décédé en 2015. Cette distinction, entièrement méritée il faut le dire, est l’occasion de revenir sur un film qui a marqué, et qui continue de marquer, des générations de spectateurs.

Une série de meurtres commis à l’arme blanche par un tueur déguisé en costume d’Halloween vient troubler la tranquillité de la ville de Woodsboro. Sidney Prescott, une lycéenne qui se remet à peine du décès de sa mère, va se retrouver malgré elle au centre de cette histoire, et découvrir que le tueur pourrait être bien plus proche d’elle qu’elle ne le croit.

Scream est sans doute le film qui a le plus influencé ma cinéphilie, et également une des oeuvres qui m’a le plus marqué en tant que spectateur. Il m’a encouragé à regarder les films dont il se veut l’héritier, autant  vous dire que j’ai vu de nombreux slashers, et à me pencher sur le reste de l’oeuvre de son réalisateur. Du point de vue des deux cas, Scream représente un véritable sommet. Jouissif, hilarant, terrifiant, il n’a de cesse de m’inviter, chaque année, à le revisionner.

J’ai donc, naturellement, revu Scream récemment. Mais fait intéressant, j’ai revu Scream en regardant Better Watch Out de Chris Peckover (2016), un film d’horreur se déroulant la veille de noël au sein d’un pavillon de banlieue américaine. Sympathique, mais assez oubliable. Pour être plus précis, j’ai revu Scream à chaque fois qu’un téléphone sonnait dans le film. Ce que je voyais à l’écran, ce n’était alors plus le téléphone du pavillon, mais celui de Casey, la première victime de Ghostface, mais aussi celui de Sydney. Pour dire les choses autrement, la sonnerie du téléphone dans Better Watch Out m’a transporté à Woodsboro. Je suis passé, en l’espace d’un instant et en ne le réalisant qu’après coup, d’un film à l’autre. Scream m’a donc marqué à un point où je ne peux m’empêcher de penser au film dès que retentit une sonnerie de téléphone. Davantage que la distinction que le film a reçu cette année à Gérardmer, c’est ce sentiment étrange et assez fascinant qui me pousse aujourd’hui à écrire sur celui-ci. Ce sentiment, il trouve sa source il y a dix ans de cela, suite à mon premier visionnage, non pas du film, mais de son ouverture. 

Casey est seule chez ses parents, dans une villa isolée. Le téléphone sonne, elle décroche. L’horreur commence. Elle n’en réchappera pas. L’élément central de cette ouverture, c’est ce téléphone qui intervient dès le premier plan du film, et dont la sonnerie retentit déjà avant l’apparition de celui-ci. Il est l’objet qui relie la fille au tueur. Et plus que ça, on peut dire qu’il est la première arme du tueur, sinon son arme la plus redoutable, et de fait un élément central de la mise en scène de Wes Craven. Je pourrai même aller plus loin, et dire que l’épouvante qui se dégage de cette ouverture n’est rendue possible que par la présence de ce téléphone.

Comme je l’ai dit, la sonnerie investit déjà le film avant même que le premier plan sur le téléphone apparaisse et que Casey décroche. Le lien entre le tueur et la jeune fille est créé, et on sait qu’elle ne sera pas en mesure de le couper lorsqu’on observe le deuxième plan. Un décadrage s’opère progressivement et semble souligner deux choses : le trouble qui commence à gagner Casey, et plus intéressant, la mise en évidence de la baie vitrée en arrière-plan, et donc d’un espace hors-champ, l’extérieur de la villa, depuis lequel peut être passé le coup de fil. Le troisième plan vient confirmer cette hypothèse. On est cette fois-ci situé à l’extérieur de la maison, avec au premier plan une balançoire attachée à la branche d’un arbre, qui bouge légèrement. Quelqu’un était là avant que nous prenions connaissance de cet espace. De façon efficace, Craven choisit de mettre en évidence dès les trois premiers plans du film que Casey est à la merci de celui qui est à l’autre bout du fil. Libre à cette personne à présent de jouer avec elle par l’intermédiaire du téléphone. Celui-ci devient donc une arme pour le tueur, mais également un outil pour le metteur en scène. Wes Craven, tout comme le tueur, va s’amuser à jouer avec l’espace dans lequel est enfermée Casey. On observe ainsi une insistance sur les ouvertures qui mènent vers l’extérieur de la maison : la baie vitrée, les fenêtres, la porte d’entrée. Ces différents plans, associés à la voix du tueur qui provient du téléphone, sont alors plus que de potentiels hors-champs. Un glissement s’opère. Ils sont à présent des objets sur-investis d’une tension qui va peu à peu s’immiscer dans l’espace quotidien de Casey,  devenant le point de départ du scellement de son destin tragique. Une porte n’est alors plus une porte, mais un point marquant une impossibilité de non-retour pour le personnage. Et cela, grâce au metteur en scène, qui décide d’insister en filmant la porte à plusieurs reprises, et à la voix du tueur, et donc à l’objet de laquelle celle-ci émane. Par l’utilisation d’un téléphone, Wes Craven investit les objets les plus quotidiens d’une tension qui semble d’emblée condamner ses personnages.

Scream est un film qui nous éclaire sur la vision qu’a son réalisateur de l’épouvante. L’horreur, elle ne naît pas des monstres, des esprits, ou même des tueurs masqués. Elle est déjà là, dans les lieux dans lesquels nous vivons, elle émane des objets qui participent de notre quotidien. C’est de là que naît la terreur dans ses films. Les lieux qui nous sont les plus familiers ne nous permettent plus de nous sentir en sécurité. Dans Scream, ce surgissement passe par une sonnerie de téléphone, une voix inquiétante et insistante à l’autre bout du fil, et des plans sur une porte d’entrée. Une simplicité qui n’est donc qu’apparente, et qui révèle un véritable talent de metteur en scène et une vision singulière de ce qu’est l’épouvante. Ainsi, le cinéma de Wes Craven, à l’image de la maison de vacances dans La dernière maison sur la gauche (1972), ou de la caravane dans La colline a des yeux (1977) fait intervenir l’horreur dans nos foyers, et sa présence est mise en évidence avant même sa manifestation à l’écran. Scream est donc un film qui mérite sa réputation, son grand prix au festival de Gérardmer, et plus encore son grand prix des grands prix. A bientôt j’espère, pourquoi pas pour parler à nouveau de Wes Craven, mais surtout pour parler d’autres films, et de cinéma.

Photo : Dimension Films (Etats-Unis), Les Films Number One (France)

 

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