Critique de la série Gangs of London, créée par Gareth Evans et Matt Flannery (2020)
Attention, certaines images peuvent choquer
En 2011, le réalisateur Gareth Evans voit sa réputation grandir et devenir internationale avec la sortie du film d’action The Raid, qui connaîtra une suite encore plus appréciée, The Raid 2, en 2014. Ces deux réalisations sont avant tout portées sur la mise en scène de l’action, avec des scènes de combat particulièrement mémorables.
Le réalisateur passe au format série et propose, en 2020, Gangs of London. On quitte le milieu du banditisme violent de l’Indonésie pour rejoindre celui de l’Angleterre. La situation de départ est assez simple et le premier épisode pose très bien toutes les bases. Un jeune garçon gypsy reçoit par SMS une adresse à laquelle il doit se rendre pour tuer la personne qui s’y trouve. Pas de chance, celle-ci s’avère être un des parrains les plus puissants de Londres. Ce qui semble d’abord engager la série vers un récit de vengeance et de traque à l’homme prend des allures bien plus sociales, politiques et métaphysiques. Le scénario gagne en profondeur, sans se perdre dans une trop grande complexité.


L’assassinat de ce parrain, Finn Wallace, vient perturber l’organisation générale de tous les gangs de Londres, notamment parce que la famille Wallace contrôle les ports et donc l’entrée de marchandises illégales variées. La traque s’inscrit alors dans un contexte où chaque gang essaye de tirer son épingle du jeu, entre associations et trahisons. Toutefois, la série ne s’arrête pas là. Deux intrigues, qui pourraient paraître secondaires, prennent progressivement le dessus. La première est celle qui tourne autour du personnage d’Elliot Finch, policier infiltré qui profite du chaos entre les gangs pour se rapprocher de plus en plus de Sean Wallace, fils héritier de Finn, qui se sent chargé de rétablir l’honneur familial. Le personnage d’Elliot permet évidemment d’accentuer la tension de certaines scènes tout en dépassant le manichéisme que l’on peut souvent reprocher aux productions focalisées sur des scènes de combats.

La seconde intrigue concerne directement Sean Wallace et sa quête. La série navigue alors habilement entre le traitement de la thématique familiale et la situation personnelle d’un personnage profondément torturé. Les personnages de Sean et d’Elliot évitent à la série de tomber dans la facilité de personnages stéréotypés sur lequel le scénario s’appuierait pour avancer.

Ce simple résumé peut pourtant interpeller les personnes qui ont vu The Raid 2, tant les thématiques et les schémas scénaristiques se ressemblent : flic infiltré qui assume la majeure partie des scènes de combat, fils d’un parrain en pleine crise personnelle, question centrale de la famille et j’en passe.
Si l’on constate aisément que Gangs of London permet à Gareth Evans d’exploiter un peu plus profondément les sujets qui l’intéressent, il faut surtout remarquer que le format de la série lui octroie un espace où son habileté dans la mise en scène de l’action peut s’épanouir dans des scènes plus classiques, parfois plus introspectives.

En ce sens, cette série semble réussie non pas par la mise en scène de l’action mais par la manière dont est développé tout ce qui l’encadre. La geste de Gareth Evans gagne véritablement en maturité, en comparaison des The Raid. Là où ces deux films se concentraient avant tout sur l’action, le scénario étant au service des affrontements, il y a comme une inversion de paradigme dans Gangs of London.

Cette inversion, à nouveau, est identifiable dans le traitement des personnages de Sean et d’Elliot. Dans la série, les passages violents dépendent toujours de ces deux personnages, directement ou indirectement. Dans sa quête de vengeance, Sean déclenche une véritable guerre, qui donne lieu à des scènes d’actions collectives, souvent massives, avec des affrontements à l’arme à feu. Ces scènes, qui pourraient être très classiques, ont une portée symbolique pourtant complexe. Par exemple, dans l’épisode 2, Sean Wallace décide d’attaquer le camp de gypsies où se trouve le jeune assassin de son père. L’assaut est militaire, c’est un véritable massacre. La séquence, de prime abord, permet d’illustrer la violence de Sean, violence qui semble insatiable.

C’est la première fois qu’on voit le personnage avec une arme et tuant d’autres personnes. Pourtant, plus tôt dans l’épisode, deux scènes nuancent l’idée. Tout d’abord, le père du garçon vient voir Sean pour négocier, ce qui lui est refusé. En réalité, au sein des organisations criminelles, Sean est le seul à vouloir recourir à la violence. Lors des réunions de crises pour s’organiser suite à la mort inattendue de Finn Wallace, tout le monde préfère à la violence les négociations et les intérêts bien compris, puisque seul le business compte. On pourrait donc penser que Sean s’enferme dans une spirale vengeresse que même les criminels les plus cruels n’approuvent pas.

Une seconde scène, dans un flash-back, présente Sean enfant, lors d’un rituel instauré par son père. Ce dernier fait enterrer une personne vivante, ne laissant dépasser que la tête, recouverte d’un seau, et ses fils doivent la tuer d’un coup de fusil. Sean n’y arrive pas, c’est son frère qui le fait à sa place – frère qui, désormais, est considéré comme la brebis galeuse de la famille, car homosexuel et toxicomane. Le personnage de Sean porte donc en lui un double paradoxe : il n’aime pas la violence mais se sent, d’une certaine manière, contraint d’y participer, de façon exacerbée, pour des raisons familiales et sociales. La série appuie surtout la marginalité de son comportement dans l’environnement de la grande criminalité. Lui qui refuse la violence y plonge excessivement, quand ses bras droits comme ses adversaires, qui assument pourtant des actes profondément violents, préfèrent avant tout la négociation et la discussion. Le personnage évolue d’abord pour s’adapter à cet environnement, cherchant à avoir la même envergure que son père, pour, à la fin de la série, mieux chercher à sortir de ce monde.

Si le personnage de Sean incarne le cinéma d’action bourrin et excessif, présenté comme paradoxal voire problématique, le personnage d’Elliot soulève d’autres questions, à travers la mise en scène. Policier infiltré, il joue un jeu extrêmement délicat, d’autant plus qu’il sait lui-même qui, parmi les membres de la police, est corrompu ou non. Là où la violence de Sean Wallace est présentée comme inattendue, « mal placée », celle d’Elliot est tout aussi étonnante. Alors que l’on pouvait s’attendre à une intrigue d’infiltration et d’espionnage, avec la mise en scène qui va avec, la série propose, avec ce personnage, ses scènes de combat les plus brutales. On comprend cette logique dès le premier épisode, qui présente deux scènes où Elliot devient, plus ou moins volontairement, une machine à tuer.

Si Sean Wallace, et tous les autres caïds, sout souvent représentés maniant des armes à feu ou des explosifs, Elliot, lui, se bat avant tout avec ses poings. On est très loin des combats de The Raid, qui mettaient en valeur les chorégraphies du Pencat Silak et se permettaient souvent un simple principe de neutralisation de l’adversaire. Dans Gangs of London, Elliot tue, de manière brutale et toujours pour survivre. La plupart du temps, la logique narrative des productions d’action repose sur le dépassement d’obstacles, autant symboliques que physiques. Chaque scène de combat fait ainsi avancer le scénario, par la victoire comme par la défaite. Dans Gangs of London, rares sont les scènes d’actions qui ne mènent pas à la mort, ce qui ne fait pas avancer le scénario à proprement parler mais le recompose, lui donne de nouvelles orientations.

Attention, la suite de l’article contient des spoilers importants
L’épisode 5 sert presque de manifeste à cette logique qui guide la série. Dans cet épisode, le jeune homme qui a tué Finn Wallace est caché par sa famille dans une maison de campagne où se trouve une fabrique de munitions. Le garçon a déjà quitté le camp lorsque Sean attaque. Toutefois, son père s’y trouve encore mais celui-ci réussit habilement à survivre à l’attaque, puis à rejoindre cette maison. L’épisode aboutit à une scène d’assaut, encore plus militaire que celui du camp. Au-delà du déchaînement de violence, de tirs et d’explosions, cette séquence s’achève avec le meurtre du jeune garçon, que son père cherche à protéger de son corps, en vain. La série exacerbe une forme de fatalité : certains personnages doivent mourir. Mais cette fatalité n’est ni métaphysique ni divine.



De tout ce qu’y a pu être résumé jusqu’à présent, on pourrait penser que le jeune garçon gypsy se fait tuer par Sean ou un membre de son gang. Ce n’est pas le cas. En réalité, toute l’intrigue se dévoile progressivement en se déployant autour d’un grand mystère : qui voulait la mort de Finn Wallace ? Ce qui bouleverse le plus Sean, c’est ce mystère. Non seulement le pilier familial meurt mais on ne sait pas vraiment comment ni pourquoi. La série se focalise principalement sur la crise existentielle de Sean qui semble devoir se construire dans un cadre familial qui lui était une contrainte mais qu’il doit désormais redéfinir lui-même. Si Sean doit naviguer face à l’absurdité de la mort de son père, le sens émerge progressivement.

Les personnes qui attaquent la maison de campagne pour tuer le jeune gypsy sont employées par les mêmes qui ont payé ce garçon pour tuer Finn Wallace. Il s’avère que tout ce qui se passe depuis le début est plus ou moins orchestré par « Les Investisseurs », un groupe mystérieux qui traite avec les gangs et qui cherchent avant tout le profit. Ce groupe incarne explicitement la puissance de la finance et, plus largement, la prédation qu’engage le capitalisme. Ces personnes sont toujours présentées dans une limousine noire à l’intérieur parfaitement sombre.

La série, à travers ce groupe, aborde la violence de deux manières, toujours autour des personnages de Sean et d’Elliot.
Tout d’abord, avec Sean, nous voyons comment un individu, progressivement, se brise. Si la mort du père perturbe le cadre familial, celui-ci implosera puis explosera, littéralement. L’implosion a d’abord lieu dans l’épisode 4, avec un magistral plan-séquence. Alors que les Wallace essayent en urgence de soigner Elliot, blessé en sauvant Sean d’un tir de sniper, une de leurs servantes tente à son tour d’assassiner Sean. Elle fait partie des mercenaires engagés par les « Investisseurs ». Le plan-séquence termine l’épisode sur ce plan, reflet du miroir brisé par la balle qui devait tuer Sean.

La menace intérieure à la famille est d’autant plus importante que Alex et Ed Dumani, les bras droits considérés comme des frères, voient eux aussi le comportement de Sean comme un danger et s’associent avec « Les Investisseurs » pour l’écarter du business familial. Tout ce plan tombe à l’eau du fait d’une trahison finale, celle du père désormais mort. En réalité, si Finn Wallace a pu être assassiné, c’est parce qu’il fréquentait en secret une femme, Floriana, le couple adultère attendant un enfant et l’homme souhaitant alors abandonner les Wallace pour refaire sa vie. Afin d’assurer quoiqu’il arrive une vie confortable à Floriana, il avait préparé différents transferts d’argent automatiques à sa mort, à une hauteur de 500 millions de livres. Sean est désormais une proie, doublement rejeté par son père.

À bout, il décide de faire exploser le dernier immeuble construit par sa famille, immeuble qui représente autant sa famille que les affaires ou encore, par son caractère phallique, toute l’autorité et la domination qui lui ont été imposées. Cette explosion signe l’émancipation de Sean. Elle fait écho au premier plan de la série, plan-séquence de la vue subjective d’un homme suspendu à cet immeuble, alors en construction. Sean, dont le père vient d’être tué, torture l’homme et l’immole. La destruction de l’immeuble promet alors l’émergence d’un nouveau Sean.

La série prend le temps de nous montrer, certes sans subtilité mais par la mise en scène, le moment de rupture où Sean bascule. Alors qu’il est en cachette, dans un immeuble désaffecté, avec sa mère, il s’aventure dans une pièce, ayant entendu un bruit. Ce bruit vient d’un simple pigeon, coincé. Dans la pièce, se trouve un miroir brisé, qui déclenche chez Sean une crise : il hurle sans cesse «Pourquoi ?» et va jusqu’à envisager le suicide.
N’arrivant pas à mettre fin à sa vie, son attention est vite attirée par le pigeon, qui essaye de sortir par la fenêtre. Sean ouvre la fenêtre et, baigné de lumière, voit l’immeuble de sa famille. La symbolique est très explicite mais permet de bien souligner la révélation vécue par le personnage, tout en faisant avancer le scénario.

À la tête d’une des plus grandes organisations criminelles d’Angleterre, Sean devient un terroriste recherché par les autorités mais aussi une cible gênante à éliminer pour certaines familles rivales comme pour le groupe d’investisseurs. De nouveau, la série reste surprenante, sur deux plans. D’abord, on pourrait s’attendre à une nouvelle chasse à l’homme, qui mettrait le personnage de Sean cette fois-ci en situation de combats pour sa survie. Ce n’est pas le cas : au contraire, par son émancipation, Sean devient précisément ce qu’il rejette – un homme calculateur, stratège et plutôt égoïste, c’est-à-dire, son père. Toutefois, il tentera de reconstruire sa famille, à sa manière, par l’amour plus que par la violence.

Dans une des dernières scènes de la série, Sean, caché, organise une rencontre avec Alex Dumani et Elliot Finch. La scène a son importance a priori puisque Sean convoque Alex pour le convaincre de ne pas le tuer, insistant sur l’amour qu’il y a entre eux. D’autre part, Sean convoque aussi Elliot, alors qu’il a appris que ce dernier était un flic infiltré. Plutôt que de l’éliminer, il lui donne une carte sim contenant des informations pour faire tomber légalement le groupe des « Investisseurs ». Toute la scène est filmée en gros plan sur des visages qui semblent exténués par leurs sentiments, déchirés par ce qui devrait être fait et ce qui peut être fait. Alors que le discours de Sean à Alex insiste sur l’union d’un « toi et moi », Elliot pénètre progressivement dans le cadre, entre les deux, comme l’ombre infiltrée qu’il devait toujours être. Il saisit l’arme d’Alex et assassine Sean.



Elliot, le personnage de la justice, qui essayait de naviguer moralement dans son rôle de flic infiltré, élimine celui qui, avec le temps, est devenu proche de lui et lui a fait confiance jusqu’au bout. Qu’il s’agisse de justice ou de morale, l’acte est terrible. Pourquoi un tel geste ? On apprend que les « Investisseurs » l’ont contacté en lui expliquant que Sean Wallace devait mourir, pour ne pas divulguer d’informations compromettantes s’il était arrêté. Comme moyen de pression, le groupe menace Shannon Dumani, avec qui Elliot a commencé une relation amoureuse, ainsi que son fils, les deux représentant les images de la femme et du fils d’Elliot, décédés. Tout est toujours une question de famille. Toutefois, au-delà du chantage, le groupe promet à Elliot une nouvelle vie, où il sera totalement libre.

C’est sans doute là l’exploit de cette série. Dans une séquence où Elliot passe d’une salle d’interrogatoire à un tunnel de métro, puis une station et, enfin, la surface, les plans sur son visage, de plus en plus heureux, alternent avec des souvenirs de son fils, de sa femme et de Shannon. Une fois à l’air libre, dans un plan d’ensemble, Elliot reçoit un appel des « Investisseurs », qui lui annoncent le recontacter plus tard, comme une menace et le signe d’une domination. Dans un dezoom panoramique, la caméra abandonne Elliot dans la foule urbaine pour terminer la saison sur un plan d’ensemble, montrant Londres et le nuage de fumée fraîche, laissé par l’explosion de l’immeuble des Wallace.
Ce simple mouvement de caméra résume sans doute le propos de la série. Elliot, qui passe par la violence en cherchant la justice, Sean, qui passe par la stratégie en cherchant le bien moral, sont tous deux incapables d’échapper au système, système mystérieux, indéterminé, indéterminable, kafkaïen. Quand Elliot reçoit l’ordre d’assassiner Sean, il demande « Who are you people », qu’on pourrait traduire par « Mais vous êtes qui ? », question qui reste sans réponse. La série accentue particulièrement ce propos sur la structure qui dépasse l’individu en faisant assassiner Sean, en plein projet d’émancipation hors de la violence, par Elliot, qui est l’individu du concret, des poings, celui qui, durant la série, a toujours réussi à se sortir d’affaire par la force. Ainsi, l’intelligence ou la violence, toujours liées à l’amour, souvent familial, ne peuvent pas rivaliser avec le système qui enveloppe l’individu.

Si j’analyse la conclusion d’un point de vue pessimiste, sans doute parce que cela convient à mes lubies personnelles, on pourrait penser que la carte sim de Sean en possession d’Elliot constitue un symbole d’espoir, suggérant que la justice constitue une forme de contre-système. Au contraire, le simple appel reçu par Elliot et sa mise en scène suggèrent bien que celui-ci est à la merci complète de ce mystérieux groupe, dont on a pu constater, à plusieurs reprises, qu’il connaissait les faits et gestes de tout le monde.

Une telle approche de la condition de l’individu semble l’aboutissement logique des thématiques développées jusqu’à présent par Gareth Evans. Gangs of London lui permet de mettre en scène l’explosion du cadre familial pour se préoccuper de l’individu qui, une fois seul, semble dépourvu de puissance. À la fin de la saison, seuls deux membres de la famille Wallace sont encore en vie, Billy et sa sœur, parce qu’ils ont fui à temps. Billy, le marginal de la famille, avait embrassé cette marginalité en étant prêt à quitter la famille du jour au lendemain, ce qui lui sauve la vie. Il emmène avec lui sa sœur, qui, bien avant Sean, a rejeté sa famille autant à cause des crimes que de la violence structurelle.
Ce lien entre le système, la famille, l’individu est le noyau de la série. Il est traité dans toutes les sous-intrigues. Lale, à la tête du gang kurde, trafique de la drogue pour soutenir le PKK et cherche à se venger d’Asif, à la tête de la Mafia pakistanaise, qui a tué sa famille. Elle tue alors son fils, fraîchement élu maire de Londres après une campagne financée par son père. Luan, chef de la mafia albanaise, est obsédé par la protection de sa famille, cible de Mosi, chef de gang nigérian indirectement floué par les manipulations financières de Finn Wallace.
Lale Le fils d’Asif
L’usage de l’action n’est donc pas qu’un simple plaisir de mise en scène ou un outil scénaristique. La représentation d’une violence brutale exacerbe à la fois la domination d’un système mais aussi l’incapacité à échapper à ce système, quoiqu’il arrive. En proposant de nombreux passages à l’esthétique léchée, focalisés sur le tourment intérieur des personnages, Gareth Evans donne un relief subtil et complexe à son cinéma d’action. Il y a vraisemblablement non pas une volonté de simplement mettre en scène la violence mais bel et bien de la faire comprendre à l’audience, presque à la manière d’une tragédie. Pour cela, Gareth Evans sait appliquer à bon escient ce qu’il sait faire en terme d’action.
Par exemple, Mosi incarne l’un des personnages les plus violents. Victime d’un jeu financier dont il dépend, il ne sait combattre un tel système qu’à coup de machette. Il se rend ainsi à Londres pour massacrer les employés d’une banque qui sert au blanchiment d’argent. Croyant s’attaquer au jeu, il ne détruit que les personnes qui travaillent dans cette banque, qui sont autant des pions que lui.
La mise en scène de ce passage est très intéressante. Contrairement aux combats d’Elliot, focalisés sur une violence brute et viscérale, la caméra, dans un plan-séquence, reste figée sur le visage de Mosi, qui avance dans la banque pendant que ses hommes de main massacrent tout le monde.
Voilà la représentation de la violence : d’abord sous-entendue, par des mouvements en arrière-plan mais aussi des cris, puis profondément explicite dans le visage de Mosi. Si la caméra saisit cette violence terrible, celle de la volonté plus que du geste, on comprend aussi toute la tragédie de celle-ci, puisqu’elle n’est que la réaction à une autre violence, une violence supérieure, une violence sans visage, immatérielle, qui échappe à la caméra. Toute cette première saison de Gangs of London semble chercher à faire surgir un tant soit peu cette violence presque métaphysique.
Si cet article se focalise sur l’enjeu principal de Gangs of London, il faut aussi signaler la grande densité de cette série, qui aborde énormément de thèmes, de manière assez complexe, sans perdre l’audience. Il faut d’ailleurs saluer une vraie maîtrise du rythme, sans doute héritée du cinéma d’action pure. La série associe avec un bel équilibre l’action et des scènes intimistes, plus calmes. Puisque l’analyse proposée dans cet article s’appuie particulièrement sur les personnages de Sean et d’Elliot, il faut saluer le casting, avec Joe Cole en Sean Wallace et, en Elliot Finch, Sope Dirisu, acteur issu du théâtre et habitué des pièces de Shakespeare.

Gangs of London est ainsi à l’image d’un nouveau cinéma d’action, rendu célèbre par la franchise John Wick, qui ne souhaite plus en rester à un simple travail sur la mise en scène des combats. En ce sens, il est intéressant de noter que cette question de l’individu face au système, ou face à quelque chose qui le dépasse et le rend impuissant, est, la même année, au cœur d’une série d’action anglaise bien accueillie par la critique, ainsi que d’une série thriller indienne aux multiples récompenses, Paatal Lok (disponible sur Amazon Prime).

Dans Paatal Lok, on suit un policier qui enquête sur la tentative d’assassinat d’un journaliste. Il découvre et affronte alors un monde qu’il sera contraint de rejoindre. Si la question d’un « système » qui écrase l’individu reste assez vieille, on constate qu’elle tend à se renouveler régulièrement, souvent dans le cadre d’un travail sur la forme. Sans doute sommes nous actuellement dans une telle période de renouvellement, d’autant plus intéressante qu’elle semble pouvoir être doublement mondialisée. D’une part, elle peut avoir lieu dans différents pays, avec différentes cultures, mais surtout, elle est désormais traitée dans le format série, format mondial et viral par excellence. Avec une saison 2 annoncée pour 2022, on peut espérer que Gangs of London continue sur sa lancée en participant à ce mouvement et enrichisse encore le genre du cinéma d’action.
Crédits : AMC+, Sky Atlantic, Cinemax, Amazon Prime Video