Critique de Fritzi, film d’animation de Ralf Kukula et Matthias Bruhn (sortie repoussée à cause du confinement)
Fritzi, sous titré Histoire d’une révolution, nous immerge dans l’atmosphère de cet automne 1989 qui marqua l’histoire. Face à un film d’animation allemand extrêmement réaliste, remarquable par la précision et le souci du détail des réalisateurs Ralf Kukula et Matthias Bruhn, nous sommes immédiatement plongés dans l’ambiance de l’époque et amenés à revivre la situation d’une guerre froide séparant les peuples, à travers les yeux d’une enfant.
Le film retrace la fin de la guerre froide, avant la chute du mur de Berlin et l’effondrement du bloc soviétique, illustrant notamment les violences des autorités, la propagande et la censure. Cette situation englobe une histoire touchante qui prend sa source au cœur d’une séparation de deux meilleures amies : Fritzi et Sophie. Cette dernière ne sait pas qu’elle quitte l’Est pour rejoindre l’Ouest et pense qu’elle part en vacances avec sa mère. Elle laisse alors son chien à Fritzi qui, comprenant que Sophie ne reviendra pas, va tout faire pour la rejoindre et le lui rendre. L’innocence de la jeune fille va peu à peu disparaître au fur et à mesure de ses actions, elle va comprendre la situation et l’ampleur de sa gravité. Cependant, sa détermination l’animera toujours, elle prendra ainsi part à la lutte et à la révolution contre le gouvernement.

Un espoir, fruit de l’innocence d’une jeune fille : Fritzi
L’espoir et l’obstination sont des sujets prônés par le film. En effet, l’enfant incarne l’innocence et la naïveté du fait de son âge (12 ans) mais aussi de son éducation. Ses professeurs et ses parents tentent de ne pas l’alarmer ; ils ne lui expliquent pas la situation de guerre froide, d’une réelle Allemagne divisée en deux camps, deux gouvernements et idéaux différents voire opposés. Cela entraîne donc une grande détermination chez elle pour retrouver son amie Sophie. Ainsi, Fritzi ne se rend pas compte du danger qu’elle côtoie en tentant de franchir la frontière, elle croit inlassablement qu’elle va réussir à retrouver Sophie et s’implique corps et âme pour y parvenir. Malgré les difficultés qu’elle rencontre sur son chemin, elle n’abandonne jamais et n’hésite pas à se confronter à ses parents ou à son professeur pour obtenir ce qu’elle veut. Elle incarne complètement l’espoir du film dans un contexte d’instabilité politique, de révoltes et d’affrontements, ce qui portera ses fruits puisque la chute du mur et les retrouvailles des populations sont également illustrées par les réalisateurs.
Ainsi, nous sommes amenés à vivre cette période historique difficile et marquante à travers le regard d’une enfant, qui tente d’évoluer normalement au cœur de ce chaos. Cela rend le film accessible à tous et permet d’expliquer à un enfant ce qu’il s’est passé. Le fait qu’il s’agisse d’un film d’animation caractérisé par le dessin en deux dimensions, diminue dans ce cas, l’effet de violence et permet de la représenter de façon moins frontale par rapport à un film en images réelles. Le film se sert de son potentiel d’éducation à l’image pour rendre compte de cette période historique peu lointaine, en la transmettant aux nouvelles générations supposées connaître leurs racines et l’histoire du monde.
La lutte et l’union des peuples
Fritzi met également l’accent sur la lutte pacifiste du peuple contre les gouvernements. Malgré la division de Berlin en deux camps (RDA/RFA), nous sommes face à des gens qui se soutiennent et s’entraident. Ils luttent ensemble et se réunissent clandestinement pour faire évoluer la situation. Beaucoup de manifestations se terminent en combat avec les autorités, ce qui n’était pourtant pas le but des populations manifestantes. Cela n’empêche pas le peuple de continuer à se battre pour être libre. L’union, le fait d’agir ensemble pour une même cause, porte à terme ses fruits.

L’idée de communauté, la force que peut engendrer un groupe soudé sont aussi représentées par l’image touchante de la famille. En effet, celle de Fritzi nous est présentée presque comme un modèle : des parents aimés et aimants, une fille, un fils plus jeune et le chien venant s’intégrer à une famille déjà bien liée. Dans cet esprit, le film nous dévoile des images fortes réveillant nos émotions comme lorsque le père revient à la maison sans prévenir, après avoir été embarqué par la police. Sa femme se jette dans ses bras, puis le fils puis la fille, pour former un câlin collectif. Nous avons ensuite la sensation d’une proximité, en transformant ce plan d’ensemble à un plan plus resserré sur le groupe, leurs expressions et leurs positions, créant l’image »idéale » d’une famille traditionnelle.
A contrario, les autorités publiques sont ici dévalorisées et illustrées par des personnages antipathiques, auxquels on ne s’attache pas. En effet, nous pensons tout de suite au professeur de Fritzi ; un personnage presque caricatural, disproportionné, avec des traits effrayants, laids, qui s’exprime toujours en grimaçant et vociférant. Il est donc très péjoratif et montré comme quelqu’un d’austère voire exécrable. Les policiers sont dévoilés comme étant vicieux, hautains, violents, d’une méchanceté gratuite, presque dénués d’humanité. Ils sont toujours montrés avec leurs armes en main, des visages figés, ouvrant leur bouche seulement pour déverser des ordres ou des menaces. La figure de l’autorité est donc dévalorisée, représentée par la violence et l’intolérance.

Un film subtilement engagé
A travers une histoire fictive et la dimension historique du film s’insèrent également des sujets dénoncés par les réalisateurs qui adoptent une approche plutôt manichéenne. Evoquons tout d’abord la place des médias, enjeu majeur de la guerre froide, considérés comme des armes. En effet, souvent représentés en arrière fond par la télévision, la radio, le film en donne une image assez péjorative en nous montrant qu’ils diffusent généralement des informations partielles, fausses ou peu claires. Un moment clé du film illustre ce propos : la télévision annonce que la frontière n’en n’est plus une et que les populations peuvent désormais circuler librement. En effet, l’incompréhension des parents de Fritzi, le manque de clarté dans les déclarations des politiques (marquées par le fait que les forces de l’ordre elles-mêmes ne sont pas encore au courant des faits, retenant ainsi les populations à la frontière), confirment ce fait. La censure, la désinformation et la propagande de l’époque sont également pointées du doigt par la manière d’enseigner, par la présence d’un régime autoritaire et par la puissance du rôle des médias contrôlés par le gouvernement .
Comme nous l’avons évoqué précédemment, le comportement de la police à cette époque est beaucoup dénoncé par le film ; la figure du policier se caractérise par une autorité violente, des actes injustifiés comme l’embarquement de certains manifestants. Elle est perçue comme inhumaine et sera finalement vaincue par le peuple. Cela fait inévitablement écho à des questionnements actuels, aux dénonciations des comportements de certains policiers, au fonctionnement de l’institution policière et à la manière dont elle est dirigée. Le film met en lumière le fait que, pendant la guerre froide, la police n’en n’est pas vraiment une et use de son pouvoir à mauvais escient. Elle se permet notamment de s’introduire chez les gens sans autorisation ni raison valable, saisissant et emprisonnant les populations voulant fuir à l’ouest. Une scène de suspens reste en tête par rapport à ce sujet : Fritzi s’introduit dans l’appartement de son amie Sophie alors que cette « fausse police » y pénètre également quelques minutes plus tard entraînant l’enfant à se cacher sous le lit, ce qui lui permet de découvrir le comportement de ces hommes.

Le film évoque également, bien que succinctement, la question du harcèlement. Plus étroitement : le rejet à cause de la différence. Fritzi est rapidement mise de côté, perçue comme l’enfant rebelle de la classe car elle ne suit pas les idées du groupe principal et cherche plus loin que ce qu’on lui inculque à l’école, elle n’hésite pas à riposter et à s’exprimer sur des sujets « sensibles ». Le groupe d’élèves en vient à l’exclure complètement, à se moquer et à la rabaisser. Le film évoque donc bien l’influence qu’un groupe peut avoir sur une personne si cette dernière ne veut pas être rejetée, tout comme la personnalité de certains jeunes qu’ils peuvent enfouir au fond d’eux, uniquement pour plaire au groupe. Le film suggère évidemment de ne pas suivre ce chemin. Par la figure de Fritzi qui ne se laisse pas faire et garde ses idées bien ancrées, il incite au contraire à défendre ses propres pensées et ne pas suivre naïvement un groupe.
Un autre point semble important à relever. Celui qui concerne les clichés hommes – femmes encore présents aujourd’hui. Ils sont rapidement évoqués de façon plutôt abstraite dans le film et souvent déconstruits. D’abord la croyance qu’un homme doit toujours être fort, solide et courageux alors que le personnage féminin est plus souvent peureux. Ce cliché est déconstruit par les réalisateurs grâce au personnage de Fritzi qui se révèle déterminée, débrouillarde et très courageuse. La scène où elle grimpe habilement dans sa cabane nichée en haut d’un grand arbre est représentative de cette idée, son ami hésite avant de la rejoindre et a beaucoup plus de difficultés qu’elle. Elle lui demande s’il a peur, celui-ci nie rapidement en rougissant légèrement et tente maladroitement de grimper à l’arbre. Une autre scène est aussi pertinente lorsqu’ils se retrouvent à nouveau tous les deux pour essayer de franchir la frontière, Fritzi n’hésite pas y aller et se fait ainsi emprisonner alors que son ami s’enfuit.
La rapide évocation des clichés catégorisant les hommes et les femmes naît également d’une réflexion faite par le père de Fritzi à la mère de Sophie lorsqu’il constate le grand nombre de bagages pris alors qu’elles sont censées partir deux semaines. Il déclare : « Ha les femmes ! », autre cliché de la femme supposée avoir besoin de beaucoup plus d’affaires qu’un homme.

Une histoire touchante
Nous sommes très vite surpris par l’émotion qui peut nous saisir lorsque nous nous y attendons le moins. La liaison créée entre Fritzi et le chien de Sophie est marquante tout comme celle qu’elle va nouer avec son camarade de classe, qui la soutient dés le début. L’amour qui nait peu à peu entre eux est illustré de manière pudique et subtile, ce qui est d’autant plus attendrissant. Les personnages principaux sont très attachants, à l’image de la mère de Fritzi, bienveillante et compréhensive. La scène lorsqu’elle pleure seule sur le canapé, du fait de l’embarquement de son mari, est particulièrement émouvante, marquée par le désarroi de Fritzi qui l’observe secrètement, ne sachant que faire. De la liberté d’un chien, Fritzi va finalement se battre pour la liberté d’un pays et contribuer au bouleversement historique que connaît cette période. L’esthétique du film nous plonge dans une ambiance chaleureuse et agréable, une colorimétrie harmonieuse et travaillée nous est offerte, faisant voyager dans un univers qui nous paraît aussi proche que lointain. Les couleurs chaudes rassurent tandis que l’ambiance grisée installée lors des passages plus sombres contraste, laissant place à une certaine froideur allant de pair avec un léger suspens. La lumière est également très travaillée qu’elle soit naturelle ou artificielle.
Les réalisateurs ont réussi à reconstruire une période marquante de l’Histoire du monde en racontant une histoire fictive autant touchante que captivante. Le mélange de ces deux éléments donne naissance à un film d’animation inspirant, informatif et marquant. Il sort le 4 novembre 2020, à 5 jours du 31ème anniversaire de la chute du mur de Berlin.