Critique de l’album studio Spiritual Instinct (Alcest, 2019) croisée avec le live.
Alcest, groupe de black metal français créé en 2000 par Neige nous a offert le 25 octobre 2019 son dernier album Spiritual Instinct. Leur précédent album, Kodama (2016), inspiré de la célèbre Princesse Mononoké de Miyazaki, avait fait des ravages. En effet l’album avait reçu un succès fou auprès des fans et avait même permis à Alcest de récolter de nouveaux admirateurs, d’ancrer son nom dans les mémoires et de se propulser en haut de la scène. Il n’y avait qu’une chose sur les réseaux sociaux : Alcest. J’avais d’ailleurs personnellement découvert le groupe après la sortie de cet album.
En sortant Spiritual Instinct, Alcest relevait deux défis : celui de ne pas décevoir les fans après le presque légendaire Kodama, mais aussi celui de prouver que leur changement de label n’allait pas nuire à leur image. En effet, en avril 2019, le groupe annonce sa signature chez Nuclear Blast (anciennement chez Prophecy Productions) et on sait tous à quel point un changement de label peut avoir de l’influence sur un groupe : changement de style, voire même de genre, d’image, de mentalité ou nouveaux horizons, les labels imposent parfois leurs envies aux groupes, contraints de se plier à leurs exigences. Pas seulement le label, mais le temps aussi peut changer un groupe, maturité, nouvelles envies… Et ça s’est vu avec Bring Me the Horizon, Lost Society, ou encore Kreator. Alcest qui avait déjà placé la barre très haut avait donc gros à jouer.

Cependant, Alcest revient inchangé, bien que l’album se démarque des cinq précédents avec son côté plus sombre. Nous sommes là bien loin du très lumineux Shelter (2014). Neige nous livre ses angoisses sur un fond musical bien plus rythmé mais toujours aussi magique, donnant un côté encore plus intime à l’album, qui touche particulièrement les fans. Leur entrée chez Nuclear Blast leur donne plus de moyens et de temps pour la réalisation de leurs projets. N’oublions pas non plus que c’est un des labels les plus influents en terme de metal, ce qui offre au final à Alcest plus de positif, que de négatif.
Six morceaux sont présents sur Spiritual Instinct : « Les jardins de minuit », « Protection » et « Sapphire » sont, je pense, bien plus sombres que « L’île des Morts », « Le Miroir » et « Spiritual Instinct », ainsi l’album peut se découper en deux parties. C’est « Sapphire » qui selon moi, représente le mieux l’album et le voyage spirituel auditif qu’il est. Une vraie poésie musicale, voire même instrumentale, car si l’on entend des paroles, ce sont des mots improvisés, inventés par Neige. L’album me semble plutôt réussi, bien qu’il me faille une certaine humeur pour l’écouter, comme la discographie complète d’Alcest en général. Les fans, eux, sont cependant mitigés, Kodama ayant eu un succès fou, certains ont du mal à apprécier autant l’un que l’autre. Cependant, on ne retrouve pas de « C’était mieux avant », le groupe continue sur sa lancée. Ce n’est qu’une question de temps pour les sceptiques.
Sceptiques ou non, ils ont répondu à l’appel. Le 6 février, Alcest entamait leur tournée européenne « Spiritual Instinct tour » en compagnie de Kaelan Mikla et Birds in Row et pour leur troisième représentation (08.02.2020), la tournée passait par Lyon. Par chance, j’étais au Ninkasi ce soir-là ! La date, sold out, nous était proposée par l’association Sounds Like Hell Productions.
Je vous avoue m’être ruée sur les places lorsque le nom de Birds in Row a été annoncé en novembre dernier. Mais cela ne m’a pas empêché d’être agréablement surprise par la prestation d’Alcest.

Premières parties
Kaelan Mikla
Elles sont islandaises, elles sont talentueuses, elles sont jeunes, elles sont magnifiques. Voilà ce qui me vient en tête concernant le trio musical féminin de Kaelan Mikla. Le nom m’était inconnu avant de le croiser sur l’affiche. Sur Instagram, le groupe considère sa musique comme du post-punk. Or c’est bien plus que j’ai découvert samedi soir : une musique envoutante, avec des influences coldwave, synthwave, punk, pop, et j’en oublie sûrement. Sans oublier le plaisir d’entendre un chant islandais.
Le concert commençait comme une cérémonie : longues robes noires, encens, lumières violettes, fumée. Un synthé, une basse, un looper et une voix douce, mais aussi parfois menaçante. C’est la recette qui a permis aux islandaises de chauffer la salle. Dès les premières notes, le groupe a su envoûter le public, qui n’a cessé de les applaudir et encourager pendant leurs 40 (courtes) minutes de show. Une musique tout droit sortie d’un rêve ou d’un conte. Premier groupe de la soirée, et déjà une si belle découverte, la soirée aurait pu s’arrêter là, j’aurais été satisfaite. Mais le programme garantissait encore plus de frissons auditifs.
Birds in Row
Le trio, masculin cette fois, originaire de Laval a pris la place, déjà bien chauffée, des Islandaises pour nous secouer les tympans avec leur punk hardcore expérimental. Le groupe nous a mis dans l’ambiance dès le début en installant une guirlande lumineuse sur la scène. 40 minutes de musique bien électrique. Le groupe, qui ne vit que pour les tournées et le contact avec le public se faisait une joie de revenir à Lyon, le public leur a d’ailleurs également fait comprendre qu’ils étaient eux aussi ravis de les voir ou revoir. Paroles dignes d’un spleen Baudelairien qui parlent à tout le monde, oui mais avec puissance et violence. Entre screamo et distorsion Birds in Row nous a fait hocher la tête à n’en plus finir.
Ils ont en partie joué leur dernier album We Already Lost the World (2018), qui se révèle bien plus mature que leurs précédents EP et albums tout en nous proposant la même recette : du hardcore DIY. Et que d’émotions lorsque les premiers accords de « 15-38 » ont parcouru mes tympans, et que les premiers rangs, moi y compris, ont accompagné en chœur les paroles du chanteur « Hate me, love me, we already lost the world ». Frissons. Birds in Row c’était du sport, de l’émotion, des cheveux en vrac, des frissons, du plaisir. Si le public avait faim, il était rassasié, en remerciant le trio de cris et d’applaudissements. Le groupe a d’ailleurs invité à plusieurs reprises le public à les rejoindre après le concert « On trainera par-là, c’est toujours un plaisir de discuter avec vous ». Ils mettent un point d’honneur à effacer cette hiérarchie groupe/public. Ça se ressent, et ça fait plaisir.
Bien plus connus aux États-Unis que dans leur propre région (Mayenne) et des tournés à n’en plus finir, les français se sont rapidement créé un nom dans la scène bien souvent dominée par les américains. Ils ont su garder les pieds sur terre, et on espère que ça va durer car c’est une recette que l’on apprécie particulièrement.
Alcest
Après l’envol de Birds in Row, c’était au tour d’Alcest d’entrer sur scène sous les cris (de joie) du public. 1h30 d’émotions. Pendant le show d’Alcest nous étions tous ensemble, mais aussi tous dans notre univers, transportés par la musique, le chant, l’ambiance, comme dans un rêve collectif éveillé. Ils nous offrent quatre musiques (sur six) de leur nouvel album. Heureusement, c’était l’objectif de la tournée. Un moment magique, très intimiste, quelques larmes coulaient même sur les joues des fans heureux, touchés en plein cœur par ce que nous a livré Neige. Les chansons phares du groupe, comme « Oiseaux de proie » étaient également sur la setlist, pour le plus grand plaisir du public. Neige, simple dans ses interactions avec le public, remercie ses fidèles de toujours être présents malgré le peu de dates françaises programmées ces derniers temps. Il faut dire qu’il n’avait pas l’occasion de parler, entre chaque musique, c’est une foule en délire qui se réveillait, comme pour acclamer leur roi : Neige, touché, portait sa main au cœur. Pas de doute, Alcest a conquis une nouvelle fois son public et je ne pense pas qu’ils puissent le perdre un jour.
Si je ne venais pas particulièrement pour Alcest, je garde un très beau souvenir de ce concert. Je me suis laissée aspirer par les sonorités magiques et les jeux de lumière hypnotisants. Le côté sombre, aussi bien que le côté lumineux du groupe a su gagner mon cœur. Spiritual Instinct, est beaucoup plus touchant en live qu’en studio, la musique nous enveloppe, nous berce, nous accompagne : on ne l’écoute pas, on la vit, on la sens, on la ressent. Beaucoup d’étoiles dans les yeux du public, beaucoup de frissons. Alcest c’était beau, autant auditivement que visuellement parlant.
Seul hic : la voix. En effet, la musique l’étouffait. Et même si ça s’est arrangé au fil du concert, ce n’était pas parfait. Et je ne suis pas la seule à avoir été chagrinée par ce détail, c’est quelque chose qui était dans la bouche de beaucoup de fans à la sortie du concert.
Le mélange des trois groupes est magique, c’est quelque chose de pur, d’émouvant, d’agréable. On sort la tête de nos préoccupations, on en prend plein les tympans, puis on se réveille plus léger. Et ce n’est pas fini ! La tournée se termine en mars, par une date symbolique à Paris, déjà sold out.
Si vous souhaitez en découvrir plus sur la genèse d’Alcest, il existe une vidéo plutôt complète d’Enjoy the Noise à ce sujet, bien qu’elle date de 2014, et par conséquent d’avant Kodama, elle devrait suffire à nourrir votre curiosité: https://www.youtube.com/watch?v=aRt7cSI6B0E
Remerciements : Merci à Lukas Guidet de m’avoir autorisé à utiliser ses photos.
Crédits photo : Alcest / Lukas Guidet (noir et blanc) / Marianne Pedrono (couleur)