Critique de Scandale (22 janvier 2020) de Jay Roach
Fox News. Megyn Kelly, Gretchen Carlson et Kayla Pospisil dans un ascenseur. Elles se sondent, s’observent du coin de l’œil. La seule scène où les trois protagonistes sont réunies se joue sur le mode du silence. Prises en étau dans cet ascenseur, où chaque étage nous fait pénétrer plus intimement dans un système patronal qui pense posséder le corps des femmes, elles incarnent un basculement. Kayla est sur le point de céder aux avances perverses de Roger Ayles, le patron de Fox News, Gretchen se fait licencier, et Megyn regarde, sachant que quelque chose d’important a lieu, mais refuse de s’engager. Assurément la meilleure scène du film, le traitement est enfin subtil : les portes de l’ascenseur se referment sur ces trois femmes tout comme les lois du silence, de l’acceptation tacite, les oppriment. On y voit la difficulté de la sororité féminine dans les grandes entreprises américaines, l’exposition au grand jour de la misogynie du capitalisme, et le secret communautaire des agressions sexuelles. Le tout est rythmé par un écho, une voix de femme qui mime le tic tac du mécanisme en marche : la bombe est sur le point d’exploser. Mais, il n’en résultera que quelques étincelles. Un feu d’artifice qui rate son final.

Certes, il est impossible pour Gretchen de porter plainte contre le géant américain Fox News, c’est un combat perdu d’avance. Une fois que ses avocats exposent ce fait, cet enjeu est évacué, et tout se concentre autour de Roger Ayles, le patron de Fox News qui peut être mis en tord. Pourtant, le film ne soulève pas le problème que cela pose, on refait du fameux « système » un ennemi imbattable, et ce n’est qu’un fantasme de penser que la dictature du voyeurisme de la cuisse est définitivement abolie. Contre quel « système » les personnages entrent-ils en révolte ? Qui se bat réellement ? On ne saisit pas bien où le film nous mène. L’ambiguïté ne signifie pas la complexité. Et ce n’est pas en montrant plusieurs manifestations du féminisme qu’il existe un propos politique. Quel rôle joue le féminisme dans la lutte politique ? Tout le long du film on est tenus en haleine pour comprendre. Réponse : Rien. On est conquis par le format reportage de gauche, à la manière de The Big Short. Mais si chez Adam McKay ce choix permet d’appuyer l’engagement politique du film, ici on a juste l’impression d’un film de gauche qui tente de représenter un féminisme de droite qui ne s’accepte pas comme tel. C’est trop.

Pour le réalisateur et le scénariste, être une femme signifie toujours être féministe. On peut être féministe et conservatrice, travailler dans une structure qui soutient Trump corps et âme, comme l’est Kayla, une américaine bien pensante qui va être tragiquement victime de Roger Ayles. On peut être féministe malgré soi, comme Megyn Kelly qui clame « je ne suis pas féministe, je suis avocate », cette même Megyn Kelly qui tiendra des propos terrifiants sur le blackface deux ans plus tard. On assiste finalement plus à une critique du pouvoir, qui donne l’illusion d’être tout puissant comme Roger Ayles. Ce qui est en soi banal.

Le film refuse de s’engager, et se cache derrière un faux semblant de complexité. Le seul engagement est finalement auto-référentiel, et tient à la prestation des trois actrices. La réussite du film : questionner le corps des femmes lorsqu’il est pris dans la médiatisation. Les prothèses illusoires de Charlize Theron rivalisent avec le visage figée de Nicole Kidman, qui tente de reprendre possession de son corps en se montrant sans maquillage en pleine émission. Quand Kayla est victime de sa plastique, et que Roger Ayles lui ordonne lentement de relever sa jupe – scène glaçante –, on ne peut s’empêcher à ce que toutes les actrices doivent subir à Hollywood. Le problème du film se trouve ici, on assiste à des actrices qui se mettent en scène et non à un film post #Metoo.