Pop Team Epic : Une bouffonnerie issue du néant

Ecrit par Arthur Gavat

Je n’ai jamais été un grand fan d’animé. Pour être honnête, ma culture en la matière se résume à Dragon Ball Z en VF quand j’avais 9 ans et récemment Cowboy Bebop que mon coloc m’a fait découvrir. Je ne doute pas de l’infinie richesse de ce genre, mais je n’ai simplement jamais trop accroché. Mais courant mars 2018, tout le monde sur Twitter s’est mis à partager des mèmes tirés d’un animé étrange, aux dessins extrêmement simplistes et qui se résumaient souvent à deux lycéennes japonaises brandissant leurs majeur. Intrigué, je me suis renseigné et ai finalement appris et compris qu’il s’agissait de Pop Team Epic, un animé comique trouvable gratuitement et légalement sur YouTube en VOSTFR. Pop Team Epic est un objet indescriptible, forme d’enchaînement absurde de micro-sketches mettant en scène deux lycéennes japonaises, Popuko et Pipimi, quand ce ne sont pas juste d’autres personnes que l’on ne reverra jamais. Les styles d’animations évoluent constamment au sein d’un même épisode : animation 2D « classique », animation volontairement immonde pour des séquences dérangeantes (les moment « bobune mimimi »), stop motion avec des poupée en tissu, et pixel art s’enchaînent comme si de rien n’était et font de Pop Team Epic une série totalement imprévisible et absurde dans sa structure comme dans son humour. Autre excentricité du show : Popuko et Pipimi ne sont jamais doublées par les mêmes personnes et chaque épisode existe en deux versions – une où les lycéennes sont doublées par deux femmes et une où elles sont doublées par deux hommes. Pour donner une idée de l’absurdité ambiante qui règne dans un épisode de Popputepipikku, voici la structure type d’un gag : Popuko et Pipimi discutent de rien en animation 2D, cut sur le studio de doublage où les comédiennes jouent leur rôle avant de décréter que cette série est bien trop merdique (sic) et sortent du studio. Le plan reste sur une salle d’enregistrement vide où, sous les bancs, on distingue tant bien que mal les figures de Popuko et Pipimi regardant la caméra en face avec une musique inquiétante en fond. Et c’est tout. Pas de chute, rien. Le plan reste tel quel un moment et la série enchaîne sur autre chose, sûrement une séquence entièrement doublée en français (oui) ou un documentaire sur les baleines.

Un nouveau continent

Pop Team Epic a, à mes yeux, un statut que peu d’œuvres comiques peuvent se targuer d’avoir : elle m’a provoqué ce que j’appellerais un choc comique. Qu’est-ce qu’un choc comique, donc ? De la façon dont je l’entends, le choc comique, c’est un moment où l’on rit d’une façon totalement nouvelle, un moment où l’on rit à quelque chose ou de quelque chose d’une façon dont on n’avait jamais ri avant. Quand cela se produit – et c’est rare – il y a quelque chose de jubilatoire, comme si l’on découvrait un nouveau continent. Mais pour que cela survienne, une certaine radicalité dans la comédie semble nécessaire : impossible d’avoir l’impression de rentrer dans un nouveau monde s’il s’agit de vannes entendues des dizaines de fois. C’est notamment pour ça que malgré le fait que ces œuvres soient très drôles, je ne range pas Community, Kaamelott, OSS 117 ou la trilogie Cornetto d’Edgar Wright dans la catégorie des œuvres ayant provoqué chez moi un choc comique. En revanche, j’y range le Monty Python’s Flying Circus, La cité de la peur, les cartoons de Tex Avery, certaines YouTube Poop et, donc, Pop Team Epic. L’écart qui sépare ces deux catégories semble donc à mon sens se trouver dans une sorte de radicalité comique partagée. Et cette radicalité paraît finalement s’exprimer par un enfoncement toujours plus profond dans l’absurde. Bien sûr, la sélection que j’ai opérée ici est purement subjective et liée à mon vécu ; et je ne fais qu’essayer de toucher du doigt une sensation qui peut très bien m’être propre. Toujours est-il qu’il me semble possible de tisser un lien entre ces œuvres, formant une catégorie à part. Ce ne sont pas des œuvres « meilleures » que celles ne m’ayant pas provoqué de choc (je n’irai pas défendre la supériorité d’une YouTube Poop face à Community) mais elles marquent des jalons sans doute plus importants dans mon histoire personnelle de la comédie. Et c’est donc ce titre de jalon et d’œuvre choc que Pop Team Epic a rapidement gagné à mes yeux.

« Un anime merdique »

Avant d’en finir avec cette critique déjà beaucoup trop longue d’un anime qualifié de « merdique » par ses créateurs, j’aurai aimé interroger Pop Team Epic sous un autre angle, celui de l’état actuel de l’humour sur internet. Je me souviens avoir pensé à mon premier visionnage de l’anime que c’était « du shitpost fait animation ». J’entends par là que l’humour de Pop Team Epic peut facilement se rapprocher du shitpost, la pratique consistant à littéralement « poster de la merde » sur les réseaux sociaux : mèmes obscurs, blagues incompréhensibles, images illisibles et déformées sont autant d’éléments qui rendent l’humour actuel sur les réseaux sociaux totalement incompréhensible au profane, et souvent au connaisseur. Pour le constater, il suffit de jeter un oeil au compte twitter ShitpostBot : je défie quiconque de m’expliquer ne serait-ce qu’une seule des images que poste ce compte. C’est un amalgame absurde d’images de la culture de masse tellement usées qu’elle se sont finalement vidées de leur sens. Nous vivons tellement à l’âge de l’ironie que l’idée même de second ou de premier degré n’a plus de sens, tant toute blague est cachée sous un nombre de couches d’ironie absolument impossible à déterminer (à tel point que « how many layers of irony are you on ? » est un mème en soi, et qu’il peut être utilisé sincèrement, ou au second degré ou au… impossible de savoir). Finalement dans cet humour d’avant-garde, qui pratique un enfoncement dans l’absurde sans doute jamais atteint, la blague est bien souvent qu’il n’y a pas de blague. Pop Team Epic est à mon sens un prolongement de cet esprit shitposteux : il y a cet auto-dénigrement qui est à la base de la pratique : un anime « merdique » fait du shitpost, c’est finalement logique. Il y a ensuite la sur-utilisation d’images de la culture de masse, tellement vues, revues et usées qu’elle n’ont plus aucun sens (ici par exemple la figure de la lycéenne japonaise). Même le titre de l’anime peut se lire de cette façon : « Pop Team Epic » ne veut strictement rien dire. C’est un enchaînement vide de sens de termes récurrents dans la pop-culture et la culture internet, et c’est à mon avis dans cette optique mi-ironique mi-nihiliste que ce titre a été choisi. Il y a enfin la pratique d’un hermétisme comique, où la nature même d’un gag est souvent si obscure que la blague réside bien souvent dans le fait qu’il n’y en a pas. Et de fait, il y a eu résonance entre internet et Pop Team Epic : je l’ai dit, c’est via d’obscurs mèmes sur Twitter que j’ai découvert l’anime.

Esprit Dada es-tu là ?

Alors de quoi Pop Team Epic est-il le nom ? Que dire de cet humour s’enfonçant plus profondément que jamais dans l’absurde, consistant en un collage vide de sens d’images de la culture de masse ? Il me semble qu’on peut assez aisément lire cet humour (le shitpost comme Pop Team Epic) comme une forme de réactivation dadaïste. En effet, quels étaient les traits définitoires de Dada ? La perte du sens en art dans un monde qui était lui aussi aussi vidé de son sens ; la pratique du collage et le réinvestissement de l’image de masse et de tout ce qui est issu de la vie contemporaine. Hugo Ball a écrit à propos de Dada que le mouvement était « une bouffonnerie issue du néant ». Remplaçons Dada par Pop Team Epic et nous obtenons quelque chose de similaire en tous points. Dada est né de l’après-Première Guerre mondiale, Pop Team Epic et le shitpost sont nés du capitalisme contemporain. Combinons cela à une culture de l’ironie absolument omniprésente, et l’émergence d’objets aussi étranges que Pop Team Epic n’a finalement pas grand chose de surprenant.

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