Criminal Squad : Vous avez dit braquage ?

Critique de Criminal Squad de Christian Gudegast, 2018

Un film de braquage. 2h28. 50 Cent et Gerard Butler au casting. Un groupe de braqueurs contre un groupe de flics. On s’attend à de l’action pure, de l’explosion, de la tension pendant 2h28, un énorme spectacle. Criminal Squad en est tout le contraire. J’ai vu ce film simplement parce que j’aime bien les films de braquage, surtout à cause de la structure que ça implique, avec une première partie qui prépare le braquage puis une seconde partie qui est dans le cœur de l’action. Je vais rentrer maintenant dans les détails et si vous avez envie de voir ce film, ne lisez pas cet article, que ce soit pour les spoilers potentiels ou pour vivre la surprise que j’ai moi-même vécu devant ce film (je n’en ferai pas un article sinon). Pour revenir à la question de l’action, sur 2h28, on trouve l’introduction du film, qui est un braquage, et la fin du film, qui est une course-poursuite basculant en fusillade. Il n’y a pas plus de scènes d’actions et le braquage en lui-même n’a rien de spectaculaire puisqu’il peut se résumer à un mec qui met de l’argent dans des sacs poubelles pour les récupérer à la déchèterie. Ce qui m’a ainsi beaucoup surpris, c’est le traitement de l’action que le film propose. On retrouve tous les codes d’un Fast&Furious, avec l’idée des groupes antagonistes, d’un enjeu-évènement, d’un monde criminel. Pourtant, jamais le film ne propose de scènes spectaculaires à explosion et effet spécial.

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50 Cent en pleine action

Plus qu’un film de braquage, Criminal Squad est un film sur des gens qui veulent faire un braquage et d’autres qui cherchent à les en empêcher. On obtient alors un ensemble assez complexe puisque le film reprend très bien les codes du film de braquage mais dévie par son traitement de l’action vers quelque chose de plus intéressant qui se focalise avant tout sur les personnages. On peut s’interroger par exemple sur les scènes familiales du personnage joué par Gerard Butler, Big Nick. Sa femme quitte le foyer familial avec leurs enfants au début du film, parce que ce cher Nick couche avec des prostituées et a fait la grossière erreur d’envoyer un SMS à sa femme plutôt qu’à une prostituée. Ce simple fait qui semble tenir du prétexte scénaristique est pourtant très bien exploité en tant que tel, avec beaucoup de silence et une gestion du cadre qui sait jouer de la caméra à l’épaule. Les difficultés familiales que rencontre Nick sont semées à travers le film et fonctionnent en circuit fermé, ce qui rend leur analyse assez difficile. Souvent, par exemple, on essaye de développer une partie plus sentimentale et torturée d’un personnage tête-brulé et puissant. Ici, Nick est seulement troublé par cette situation dans les scènes qui concernent la dite situation, en somme, sa vie privée n’a aucune influence sur ses compétences de flics, à ce que l’on peut voir. On pourrait y voir une gratuité étrange ou même une erreur de scénario. Pourquoi rajouter, dans un film qui fait déjà presque 2h30, une proto-intrigue autour d’un personnage principale sans l’exploiter réellement ?

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Big Nick et sa fille

Pour essayer de comprendre l’enjeu de ces scènes de tourment familial, qui sont tout de même peu présentes dans le film, je crois qu’il faut se pencher sur la fin et le traitement de la mort qui y est proposé. C’est là aussi quelque chose de très étonnant venant d’un film de braquage : la vie a son importance, on ne tire pas tout le temps, partout et sur tout le monde. Au début du film, lors du tout premier braquage, l’équipe de braqueurs en vient à tuer un policier, ce qui semble leur poser problème. Il sera précisé durant l’enquête autour du groupe de braqueurs que ces derniers ne tuent qu’en dernier recours et ne s’attaquent jamais aux civils. En ce sens, la mort n’est pas un évènement gratuit et tout le monde ne passe pas son temps à se prendre une balle et mourir, comme on le trouve peut-être trop dans certaines fusillades de films d’actions. C’est ce qui nous mène à la course-poursuite finale et à la mort des braqueurs. Le personnage joué par 50 Cent se fait abattre en pleine course et agonise un temps au pieds du policier qui l’a abattu. En parallèle, le chef des braqueurs, Merrimen, coriace, se fait finalement abattre de plusieurs balles par Nick mais le film prend le temps et montre à quel point tuer coûte au personnage. Finalement, l’affrontement entre Nick et Merrimen, qui sont les deux chefs des groupes antagonistes, est le symbole de deux personnages qui s’accrochent absolument à la vie. Merrimen est à la fin dans une position de survie pure, il sait qu’il ne peut pas s’échapper mais continue à lutter. En face de lui, Nick, qui a passé tout le film à vouloir arrêter Merrimen et son groupe, ne veut pas le tuer. D’une certaine manière, les deux incarnent une force de vie. Le fait d’avoir plusieurs gros plans du visage de Nick une fois qu’il a tué Merrimen souligne bien la façon dont la mort impressionne le personnage. C’est alors ce qui peut expliquer la proto-intrigue familiale autour de ce personnage. Le film lui ajoute une certaine complexité et cette complexité permet à Nick de ne plus apparaître seulement comme un personnage. Il est un flic très compétent, corrompu, complètement immoral, violent mais qui conserve pourtant ce petit quelque chose d’humanité que l’on ne voit pas si souvent dans un film d’action.

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La complexité de Nick est alors à l’image du film, qui trouve sa durée importante dans un goût prononcé pour les plans longs et contemplatifs, plutôt bien accompagnés par la bande-originale de Cliff Martinez. Le fait de privilégier par moment des plans caméra à l’épaule ou de proposer des scènes d’actions réalistes accentue l’épaisseur des personnages. La scène très clichée du personnage de 50 Cent qui intimide le petit ami de sa fille prend alors une tout autre saveur, rappelant un peu des scènes de la série des Ocean’s de Steven Soderbergh. L’ensemble du film propose finalement un travail différent du film de braquage et le rapport au temps des plans permet aussi de voir à quel point Christian Gudegast, le réalisateur, a ici un sens du rythme. Les plans durent, dans un silence parfois étonnant, et c’est une très bonne idée. En accord avec son traitement de l’action, le film évite l’écueil d’un surdécoupage et ne confond pas rythme et rapidité, ce qui, pour ma part, a effacé la potentielle sensation de longueur qu’un film de 2h28 doit ou devrait avoir. En ce sens, Criminal Squad a quelque chose d’original et d’un peu insaisissable. Il se situe dans une sorte de non-lieu du genre et propose un film de braquage éclaté et très épanoui, qui reprend des dynamiques classiques pour les retravailler. En bon exemple de ce phénomène, on trouve la scène du milieu du film, au cadrage serré et à la lumière travaillée, d’une source extérieure floue qui donne à la scène une dimension onirique, arrêtée dans le temps, tout en montrant des visages qui semblent hésiter entre l’ombre et la lumière, à l’image des deux personnages, usage de la lumière somme toute classique mais qui révèle de fait une maîtrise. On voit dans cette scène Merrimen rentrer chez lui et rencontrer Nick, qui vient de coucher avec sa femme (ce qui était un piège tendu par Merrimen). La situation est motivée scénaristiquement par toute cette logique de stratégie du braquage mais cette entrevue de presque une minute se fait sans aucun mot, uniquement avec des regards et des plans, qui signalent véritablement un geste cinématographique et donc une distance vis-à-vis d’une approche plus classique. C’est ce geste qui fait toute l’originalité du film puisque c’est lui qui s’empare du genre du film de braquage mais aussi de nos attentes pour proposer un résultat surprenant. Et en parlant d’originalité, de ce que j’ai pu raconter ici, si vous n’avez pas vu le film, vous pouvez vous dire que les braqueurs finissent tous morts et échouent. Disons que le film s’en sort autrement et rend un hommage plus ou moins explicite à un grand film assez connu, mais je vous laisse découvrir ça.

Crédits : Ma_Co2013, Metropolitan Filmexport

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