Ecrit par Arthur Gavat
Dans un article de qualité supérieure, je déplorais que le discours réac sur-valorisant la difficulté dans le jeu vidéo trouvait malheureusement un écho, voire une validation dans le comportement de certaines équipes de développement. Cependant, ma rencontre récente avec Celeste m’a fait réaliser que ce triste état de fait ne peut en aucun cas s’étendre à toute l’industrie. Celeste est l’illustration parfaite d’une gestion de la difficulté qui ne soit ni élitiste, ni viriliste, ni réactionnaire.
Celeste est donc un jeu de plate-forme en 2D sorti fin 2017 sur PS4, Xbox One, PC et Switch (je l’ai personnellement fait sur Switch), développé par le petit studio Matt Makes Games. Il raconte la difficile ascension de Madeline sur le mont Celeste au fil de niveaux tous plus ardus les uns que les autres. Car Celeste est un jeu dur. C’est un jeu impitoyable, où chaque mouvement se doit d’être millimétré et où le droit à l’erreur est un concept vague et incertain. La petite dizaine de niveaux composant l’aventure principale est déjà à s’arracher les cheveux, mais ce n’est rien comparé aux « faces B » des niveaux, versions alternatives de ceux-ci encore plus retorses. Jusqu’ici, rien ne semble incroyable, des platformers 2d bien exigeants, il y en a eu des kilotonnes ces dernières années, et il y en a eu tout autant dans les années 1980-1990, alors qu’est-ce qui différencie Celeste du tout-venant des pâles copies de Super Meat Boy ?
C’est sans doute le discours qu’a le jeu sur l’idée de difficulté et de challenge au sein même de la narration. Je m’explique : le but du jeu est de gravir le mont Celeste, immense montagne, dont on ne semble pas voir le sommet, et chaque niveau est en fait un palier dans cette ascension. Et le but de notre héroïne, Madeline, quand elle se lance dans cette ascension, est d’atteindre une paix intérieure, de résoudre « ce qui ne va pas avec elle ». Subtilement et très sensiblement, c’est le thème de la santé mentale que le jeu aborde : Madeline fait face à une forme de jumelle maléfique que l’on devine être une matérialisation de sa maladie, et au fil de l’histoire et des niveaux, il ne s’agira pas de vaincre ce doppelgänger mais bien de vivre avec, de l’accepter. Pour Madeline, gravir le mont Celeste, c’est traverser le chemin sinueux, ardu et jonché d’obstacles insurmontables vers une forme – sinon de guérison – de paix intérieure : au fil de son aventure, elle apprend par exemple à mieux gérer ses crises de paniques au moyen d’un mini-jeu basé sur de réels exercices de respiration. Ainsi, en liant la difficulté ludique au thème de la santé mentale, le jeu tient un double discours très juste et très sensible sur chacun de ces deux thèmes.
Si le jeu fait donc preuve d’une grande intelligence dans l’intégration narrative de sa difficulté, le discours extra-diégétique qu’il tient sur celle-ci est tout aussi novateur. Conscients de l’impitoyable exigence de leur titre, les développeurs de Celeste ont rajouté un « mode assisté ». Le jeu propose donc à chaque joueur.euse en début de partie d’activer, ou non, ce mode, qui permet d’être invincible, ou d’avoir un plus grand nombre de dashes, etc. Quand on décide de l’activer, un message des développeurs s’affiche et explique en substance ceci : ils ont pensé le jeu comme un jeu très difficile, et ils conseillent de jouer sans ce mode, mais chaque joueur.euse est différent.e et il est tout à fait compréhensible de ne pas avoir envie/pas le temps/pas le « niveau » pour faire le jeu sans ce mode. De plus, l’activer ne bloque aucun contenu du jeu, ce n’est pas une sous-façon de faire le jeu, pas une difficulté facile qui ne permet pas de voir la « true ending » comme on le voit bien trop souvent. Matt Makes Games tient ici un discours d’ouverture, de compréhension et surtout ne juge pas celui ou celle jouant en assisté. Et cette sensibilité rejoint finalement celle qui est déployée dans la narration, en faisant un jeu particulièrement cohérent, intelligent et novateur dans son rapport au challenge.
Crédit image : Matt Makes Games